Par une décision en date du 26 février 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions d’obtention d’un dégrèvement de taxe foncière en cas d’inoccupation partielle d’un bien immobilier. En l’espèce, une société s’était vu assujettir à des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les années 2017 à 2020. Estimant qu’une partie de son bien immobilier était restée inexploitée durant cette période, elle avait sollicité auprès de l’administration fiscale une décharge partielle de ces impositions.
Suite au rejet de sa réclamation, la société a saisi le tribunal administratif de Strasbourg, qui a confirmé la position de l’administration et rejeté sa demande. Les premiers juges ont estimé que le bien formait un ensemble immobilier constituant un groupement topographique unique faisant l’objet d’une exploitation commune, ce qui faisait obstacle à l’obtention d’un dégrèvement partiel. La société a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, soutenant que le raisonnement du tribunal était entaché d’une erreur de droit.
La question juridique posée à la Haute juridiction administrative était donc de savoir si la notion d’exploitation commune d’un ensemble immobilier pouvait priver un contribuable du bénéfice d’un dégrèvement partiel de taxe foncière, alors même qu’une fraction de cet ensemble, susceptible d’une utilisation séparée, était demeurée inexploitée.
Le Conseil d’État censure le jugement du tribunal administratif. Il juge que la seule circonstance qu’un ensemble immobilier fasse l’objet d’une exploitation commune est sans incidence sur la définition de l’unité d’évaluation foncière. Pour déterminer si un dégrèvement partiel est possible, le seul critère pertinent est celui de savoir si la partie inexploitée est « susceptible de location ou d’exploitation séparée », indépendamment de l’unité d’exploitation globale. La Haute juridiction, en censurant le raisonnement des juges du fond, précise ainsi la notion d’unité d’évaluation foncière (I), tout en renforçant les garanties offertes au contribuable en cas d’inoccupation partielle de ses biens (II).
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I. La clarification de la notion d’unité d’évaluation foncière
Le Conseil d’État profite de ce litige pour opérer une distinction nette entre l’exploitation effective d’un bien et sa potentialité d’utilisation. Il rejette ainsi l’approche fonctionnelle adoptée par les juges du fond (A) au profit d’une analyse matérielle de la configuration des lieux (B).
A. Le rejet du critère de l’exploitation commune comme facteur d’unicité
Le tribunal administratif avait fondé sa décision sur le fait que l’ensemble immobilier faisait « l’objet d’une exploitation commune » pour en déduire son caractère unitaire et, par conséquent, refuser le bénéfice du dégrèvement. Cette approche revient à considérer l’usage économique global du bien comme le facteur déterminant de son unité foncière. Le Conseil d’État prend le contrepied de cette analyse en affirmant que « la circonstance que des immeubles fassent l’objet d’une exploitation commune est sans incidence pour apprécier s’ils peuvent chacun faire l’objet d’une utilisation distincte ».
Cette affirmation clarifie de manière décisive l’interprétation des articles 1494 du code général des impôts et 324 A de son annexe III. L’unité d’évaluation ne dépend pas de la stratégie d’exploitation choisie par le propriétaire à un instant donné, mais des caractéristiques intrinsèques du bien. En dissociant l’unité d’exploitation de l’unité d’évaluation, le Conseil d’État évite qu’un propriétaire soit pénalisé fiscalement pour une organisation de son activité qui, bien que globalisante, n’altère pas la divisibilité matérielle de son patrimoine immobilier.
B. La consécration du critère de l’utilisation distincte potentielle
En écartant le critère de l’exploitation commune, le Conseil d’État rappelle la prééminence du seul critère pertinent, celui de la possibilité d’une utilisation ou d’une location séparée. La solution repose sur une lecture stricte des dispositions du I de l’article 1389 du code général des impôts, qui subordonne le dégrèvement partiel à la condition que l’inexploitation affecte « une partie susceptible de location ou d’exploitation séparée ». Le raisonnement est donc centré non pas sur l’usage effectif mais sur la potentialité d’usage.
L’analyse doit donc porter sur l’agencement matériel de l’immeuble. Une fraction de propriété sera considérée comme distincte si elle dispose d’accès propres, de compteurs individualisés ou de toute autre caractéristique permettant à un occupant de l’utiliser indépendamment du reste du bâtiment. Cette approche, plus objective, se fonde sur des constatations matérielles plutôt que sur une appréciation de la stratégie commerciale du contribuable. La décision ancre ainsi la définition de l’unité foncière dans la réalité physique des biens, offrant une base plus stable et prévisible pour l’établissement de l’impôt.
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II. Le renforcement des garanties du contribuable face à l’inoccupation partielle
Cette clarification conceptuelle emporte des conséquences significatives sur les droits des propriétaires immobiliers. La solution retenue apparaît comme une mesure pragmatique adaptée à la réalité économique (A) et sa portée devrait sécuriser la gestion fiscale tant pour les contribuables que pour l’administration (B).
A. Une solution pragmatique alignée sur la réalité immobilière
La décision commentée fait preuve d’un grand réalisme économique. Dans le contexte actuel, il est fréquent que des ensembles immobiliers, notamment à usage commercial ou industriel, connaissent des périodes d’inoccupation partielle. Soumettre l’intégralité d’un tel bien à la taxe foncière, alors qu’une de ses fractions ne génère aucun revenu et n’est pas utilisée, constituerait une charge excessive et inéquitable pour le propriétaire.
En permettant un dégrèvement partiel dès lors qu’une partie du bien est matériellement divisible et inexploitée, le Conseil d’État assure une meilleure adéquation entre l’impôt dû et la capacité contributive réelle attachée au bien. Cette jurisprudence protège le contribuable contre une interprétation trop extensive de l’unité foncière qui aurait pour effet de neutraliser le mécanisme de dégrèvement prévu par le législateur. Elle reconnaît que la vacance d’une partie d’un grand ensemble n’est pas nécessairement le fruit d’un choix de gestion mais peut résulter des fluctuations du marché.
B. La portée de la décision pour l’administration et les redevables
Au-delà de son caractère équitable, cette décision a vocation à sécuriser le régime du dégrèvement partiel. Pour les propriétaires, elle offre une ligne directrice claire : la démonstration du droit au dégrèvement reposera sur des éléments factuels et matériels prouvant la possibilité d’une exploitation séparée, indépendamment de l’organisation globale de leur activité. Cela leur confère une meilleure prévisibilité et facilite la constitution de leurs dossiers de réclamation.
Pour l’administration fiscale, la règle est également simplifiée. Son contrôle ne portera plus sur la notion, parfois subjective, d’exploitation commune, mais sur l’examen objectif de la configuration des locaux. En définitive, cette décision devrait limiter les contentieux en établissant une méthode d’analyse unifiée et en prévenant les divergences d’interprétation. Elle réaffirme que le droit fiscal, tout en visant à appréhender la matière imposable, doit se fonder sur des critères objectifs et respectueux de l’intention du législateur.