| N° de la saisine : 25007321 | Thématiques : Caméras individuelles, exploitants de service de transport |
| Organisme(s) à l’origine de la saisine : ministère de l’aménagement du territoire et de la décentralisation | Fondement de la saisine : article 10 de la loi n° 2025-379 du 28 avril 2025 relative au renforcement de la sûreté dans les transports |
L’essentiel :
1. La CNIL a été saisie pour avis par le ministère de l’aménagement du territoire et de la décentralisation d’un projet de décret visant, d’une part, à prévoir les modalités d’application de l’article L. 2241-6-1 du code des transports qui pérennise l’utilisation des caméras individuelles par les agents assermentés des opérateurs de transport, et d’autre part, à mettre à jour les dispositions du décret n° 2016-1862 du 23 décembre 2016 relatif aux caméras individuelles des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.
2. Elle considère que le ministère devra guider les opérateurs de transport dans la rédaction des doctrines d’emploi des caméras individuelles afin de garantir leur harmonisation.
3. La CNIL estime que le projet de décret devra être complété sur certains points, notamment sur les motifs permettant le déclenchement d’un enregistrement, et sur les droits des personnes.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés,
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Sur la proposition de Mme Sophie Lambremon, commissaire, et après avoir entendu les observations de M. Damien Milic, commissaire du Gouvernement,
Adopte la déliberation suivante :
I. – La saisine
A. – Le contexte de la saisine
L’article 2 de la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, a autorisé, à titre expérimental, l’utilisation de caméras individuelles par les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP (article L. 2251-4-1 du code des transports). L’article 64 de la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés a pérennisé cet usage.
Le présent projet de décret vise à codifier les dispositions du décret n° 2016-1862 du 23 décembre 2016 relatif aux conditions de l’expérimentation de l’usage de caméras individuelles par les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP (CNIL, SP, 8 décembre 2016, délibération, projet de décret, n° 2016-387, publié).
Par ailleurs, l’article 113 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (« LOM ») a élargi l’utilisation des dispositifs de caméras individuelles aux agents assermentés des opérateurs de transport public de personnes ferroviaire, guidé ou routier, à titre expérimental, à compter du 1er juillet 2020 et pour une durée initiale de quatre ans (CNIL, SP, 12 novembre 2020, délibération, projet de décret, n° 2020-111, non publié). L’article 13 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques (« JOP ») de 2024 a prolongé cette expérimentation jusqu’au 1er octobre 2024.
Les agents assermentés mentionnés au 4° du I de l’article L. 2241-1 du code des transports sont notamment chargés de missions de lutte contre la fraude et les incivilités. Il s’agit des agents commerciaux de contrôle (les contrôleurs), mais également des agents d’accompagnement et d’accueil en gare, des agents de prévention et des agents des services internes de sécurité des opérateurs de transport (autres que ceux de la SNCF et de la RATP).
L’article 10 de la loi n° 2025-379 du 28 avril 2025 relative au renforcement de la sûreté dans les transports a pérennisé ce dispositif à et l’a rendu également applicable aux agents des exploitants des services de transport exerçant des missions de nature équivalente à celles exercées par les agents assermentés sur les lignes transfrontalières.
B. – L’objet de la saisine
La CNIL a été saisie pour avis d’un projet de décret relatif à l’usage de caméras individuelles par les agents mentionnés au 4° du I de l’article L. 2241-1 du code des transports (agents assermentés), par les agents de l’exploitant du service de transport ou de l’entreprise de transport exerçant des missions de nature équivalente à celles exercées par les agents mentionnés au même 4° et par les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, pris en application de l’article 10 de la loi n° 2025-379 du 28 avril 2025 relative au renforcement de la sûreté dans les transports, par le ministère de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.
Le projet de décret vise à :
– prévoir les modalités d’application de l’article L. 2241-6-1 du code des transports qui pérennise l’utilisation des caméras individuelles par les agents assermentés des opérateurs de transport public de personnes ferroviaire, guidé ou routier ;
– mettre à jour les dispositions du décret n° 2016-1862 du 23 décembre 2016 relatif aux conditions de l’expérimentation de l’usage de caméras individuelles par les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, qui n’avait pas été modifié ni codifié à la suite de la pérennisation le 25 mai 2021 de cette expérimentation.
II. – L’avis de la CNIL
A. – Sur la doctrine d’emploi des caméras individuelles
La CNIL prend acte de l’obligation pour chaque opérateur de transport mettant en œuvre un dispositif de caméras individuelles de rédiger une doctrine d’emploi de ces caméras afin d’informer, guider et former les agents dans leur utilisation. Cette doctrine d’emploi indiquera la marche à suivre pour l’information des mineurs (utilisation de phrases claires, simples, courtes et recours à des éléments visuels), des personnes en situation de handicap et des locuteurs étrangers, notamment sur les lignes transfrontalières.
La CNIL considère que le ministère devra guider les opérateurs de transport dans la rédaction de ces doctrines d’emploi afin de garantir leur harmonisation.
Par ailleurs, conformément au projet d’article R. 2241-19, les enregistrements audiovisuels ne pourront être transmis en temps réel que lorsqu’il existe un risque immédiat d’atteinte à l’intégrité de l’agent porteur de la caméra ou d’un autre agent. La CNIL considère que la doctrine d’emploi devra contenir une liste détaillée des situations justifiant cette transmission en temps réel des enregistrements.
B. – Sur les motifs permettant le déclenchement d’un enregistrement audiovisuel
L’article 4 du décret n° 2021-543 du 30 avril 2021 portant sur l’expérimentation des caméras individuelles des agents assermentés des exploitants de services de transport précise les motifs permettant de déclencher un enregistrement.
Le projet de décret ne comporte pas de disposition précisant les motifs susceptibles de déclencher un enregistrement tant pour les caméras individuelles des agents des exploitants de transport que celles des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP. La CNIL considère que des précisions devront être ajoutées sur ce point dans le projet de décret.
C. – Sur les droits des personnes
S’agissant des caméras individuelles des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, le projet de décret ne comporte pas de disposition sur l’information orale délivrée au moment du déclenchement de l’enregistrement et sur les situations nécessitant une information en différé. De plus, le projet de décret ne précise pas si l’information générale du public relative aux caméras individuelles des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP se fera par voie de panneaux d’affichage. La CNIL prend acte de ce que le projet de décret précisera ces points, à l’instar de ce qui est prévu au II du projet d’article R. 2241-18 et au projet d’article R. 2241-23 du code des transports pour les agents des exploitants et entreprises de transport.
Concernant les caméras individuelles des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP et celles des agents des exploitants et entreprises de transport, le projet de décret ne mentionne pas les modalités d’exercice des droits à l’effacement et à la limitation du traitement aux projets d’articles R. 2241-23 et R. 2251-78. L’analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD)-cadre précise que le droit à l’effacement s’exerce directement auprès de l’opérateur de transport responsable de traitement et qu’afin d’éviter de gêner des enquêtes et des procédures administratives ou judiciaires ou d’éviter de nuire à la prévention ou à la détection d’infractions pénales, aux enquêtes ou aux poursuites en la matière, ce droit peut faire l’objet de restrictions en application du 3° du II de l’article 107 de la loi « informatique et libertés ». Dans ce cas, la personne concernée par ces restrictions peut exercer son droit auprès de la CNIL dans les conditions prévues à l’article 108 de la même loi. La CNIL prend acte de ce que le projet de décret précisera les modalités d’exercice des droits à l’effacement et à la limitation du traitement, et le cas échéant les restrictions attachées à ces droits, conformément aux articles 106 à 108 de la loi « informatique et libertés ».
D. – Sur les mesures de sécurité
Afin de répondre à l’obligation de garantie d’intégrité et de sécurité des enregistrements jusqu’à leur effacement, la CNIL rappelle qu’il est indispensable de mettre en œuvre un ensemble de mesures techniques concernant les caméras et les terminaux de téléversements. A ce titre, si elle accueille favorablement l’emploi systématique de supports d’enregistrement embarqués chiffrés avec mémoire non amovible, le chiffrement des données en transit et la limitation des accès aux enregistrements par le biais d’une authentification multifacteurs, elle rappelle qu’il est également nécessaire :
– d’envisager la signature des enregistrements directement au niveau des caméras, avec des algorithmes conformes à l’annexe B1 du référentiel général de sécurité (ou de préciser dans l’AIPD si ces modalités sont déjà mises en place) ;
– d’envisager l’horodatage et l’identification (numéro de la caméra) par le biais de mécanismes de tatouage numérique ou « watermarking » (ou de préciser dans l’AIPD si ces modalités sont déjà mises en place).
La CNIL prend par ailleurs acte de ce qu’aucun opérateur n’a pour l’instant prévu la mise en place de la transmission d’images en temps réel. Elle invite néanmoins le ministère à envisager les potentielles évolutions d’une telle mise en place et à encourager les opérateurs à envisager d’ores et déjà l’ensemble des mesures techniques qui garantiraient la sécurité et l’intégrité du flux de données.
Enfin pour les données de journalisation, la CNIL rappelle que le but principal d’un tel système est la détection et la prévention d’opérations illégitimes sur les données collectées. A ce titre, elle encourage la tenue de contrôles proactifs des traces collectées pour permettre la détection des comportements anormaux de la part des agents accédants. Elle rappelle également que doivent être mises en œuvre toutes les mesures techniques permettant d’assurer l’intégrité de ces données (conservation sur serveur ségrégé, conditions d’accès spécifique, etc.).
E. – Sur le caractère anonyme des données
La CNIL prend acte de ce que les mesures d’anonymisation des images utilisées à des fins pédagogiques se fait par le biais d’un logiciel spécifique (permettant le floutage automatique des visages et le masquage/la suppression du son).
La CNIL rappelle cependant qu’il est extrêmement difficile d’anonymiser des vidéos (c’est-à-dire de rendre impossible toute réidentification ultérieure des personnes, par la mise en œuvre de procédés de floutage par exemple) par un procédé systématique, tout en préservant leur utilité pour une exploitation ultérieure. Ces contraintes conduisent donc le plus souvent à se limiter à une simple pseudonymisation des vidéos, ce qui permet leur utilisation pour les finalités assignées au traitement sans porter une atteinte disproportionnée aux droits des personnes (CNIL, SP, 3 février 2022, avis sur un projet de décret pris en application de l’article 61 de la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, n° 2022-012, publié). Elle prend acte de ce que le projet de décret sera modifié afin de substituer les termes « anonymisées » par « pseudonymisées ».