Cour de justice de l’Union européenne, le 4 mai 2006, n°C-290/03

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les obligations des États membres en matière d’évaluation environnementale pour les projets autorisés en plusieurs étapes. En l’espèce, une autorité locale avait délivré un permis de construire sur avant-projet pour un centre de loisirs sans exiger d’évaluation des incidences sur l’environnement. Postérieurement, lors de la demande d’approbation des points techniques détaillés, dits « points réservés », les caractéristiques complètes du projet ont été révélées, faisant apparaître un risque d’incidences notables sur l’environnement. Une résidente a contesté la décision d’approbation finale, arguant qu’une évaluation environnementale aurait dû être menée à ce stade tardif. Les juridictions nationales ont rejeté sa demande au motif que le droit interne n’imposait une telle évaluation qu’au moment de la délivrance du permis initial sur avant-projet. Saisie en dernière instance, la plus haute juridiction nationale, confrontée à l’articulation entre son droit interne et la directive 85/337/CEE, a interrogé la Cour sur la portée de ce texte. Il s’agissait de déterminer si la directive impose de procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement au cours de la seconde phase d’une procédure d’autorisation, lorsqu’il apparaît que le projet est susceptible d’avoir des incidences notables, alors même que le droit national ne le prévoit pas. La Cour a répondu par l’affirmative, estimant qu’une évaluation doit être effectuée dès lors que le risque d’incidences notables devient manifeste, y compris lors d’une étape ultérieure à l’autorisation de principe. Cette décision conduit à examiner la lecture finaliste que fait la Cour de la procédure d’autorisation et de ses exigences, avant d’en mesurer les conséquences sur les prérogatives des autorités nationales.

La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation fonctionnelle de la notion d’autorisation, conçue pour garantir l’effet utile de la directive. Elle consacre ainsi une définition communautaire autonome de l’autorisation, qui s’applique de manière flexible aux procédures d’urbanisme se déroulant en plusieurs phases.

A. L’affirmation d’une conception communautaire de l’autorisation

La Cour établit d’abord que la notion d’« autorisation » ne saurait dépendre exclusivement des qualifications retenues par les droits nationaux. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les termes d’une disposition du droit communautaire qui ne renvoient pas expressément au droit des États membres doivent recevoir une interprétation autonome et uniforme. En l’occurrence, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 85/337 définit l’autorisation comme « la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser le projet ». Pour la Cour, bien que cette définition doive s’appliquer à des décisions de droit interne, sa portée relève exclusivement du droit communautaire. La qualification d’une décision comme « autorisation » doit donc être effectuée « en application du droit national en conformité avec le droit communautaire ». Cette approche préserve la primauté et l’uniformité du droit de l’Union, en évitant que les objectifs de la directive ne soient contournés par des particularités procédurales nationales. En définissant l’autorisation comme l’acte qui confère le droit de *réaliser* le projet, la Cour adopte un critère matériel et finaliste, centré sur l’effet concret de la décision plutôt que sur sa dénomination formelle en droit interne.

B. L’application de la notion aux procédures à plusieurs étapes

Cette définition matérielle permet à la Cour d’appréhender les procédures d’autorisation complexes, fréquentes en matière d’urbanisme. Elle juge qu’un processus comprenant un permis de construire sur avant-projet et une approbation ultérieure des points réservés constitue, dans son ensemble, une « autorisation » au sens de la directive. La Cour précise que l’évaluation des incidences sur l’environnement doit intervenir avant que l’autorisation ne soit octroyée. Se fondant sur une jurisprudence antérieure, elle rappelle que dans une procédure à plusieurs étapes, l’évaluation doit en principe avoir lieu lors de la décision principale. Cependant, elle ajoute une précision fondamentale : « Ce n’est que si ces effets ne sont identifiables que lors de la procédure relative à la décision d’exécution que l’évaluation devrait être effectuée au cours de cette dernière procédure. » Il en découle une obligation pour l’autorité compétente de procéder à une évaluation, même après l’octroi du permis initial, si les informations révélées au stade de l’approbation des points réservés font apparaître un risque d’incidences notables. Cette évaluation doit alors être globale et porter sur tous les aspects du projet non encore examinés.

En subordonnant le moment de l’évaluation à la disponibilité des informations pertinentes, la Cour renforce considérablement la portée de la directive et assure la protection effective de l’environnement. Cette solution pragmatique a des implications importantes pour les systèmes juridiques nationaux, qu’elle contraint à une plus grande souplesse procédurale.

II. La portée renforcée de l’obligation d’évaluation environnementale

La décision de la Cour dépasse le simple cadre de l’espèce pour imposer aux États membres une obligation de vigilance environnementale continue tout au long du processus décisionnel. Elle consacre ainsi la primauté de l’objectif de protection de l’environnement sur la rigidité des cadres procéduraux nationaux.

A. La prévalence de l’objectif de protection sur le formalisme procédural

En imposant une évaluation dès que les incidences notables d’un projet deviennent apparentes, la Cour garantit l’effectivité de la directive 85/337. Une solution contraire aurait permis qu’un projet, dont l’impact réel n’est révélé que tardivement, échappe à toute évaluation approfondie, vidant ainsi la directive de sa substance. Cette jurisprudence sanctionne indirectement les stratégies de « saucissonnage » ou de présentation initialement minimisée de projets d’envergure. Elle illustre l’application du principe de précaution, en exigeant que le doute sur les conséquences environnementales soit levé par une évaluation complète avant toute décision irréversible. La Cour affirme ainsi que le respect des objectifs environnementaux de l’Union européenne ne peut être entravé par des règles de procédure nationales qui segmentent artificiellement le processus d’autorisation et figent l’appréciation des incidences à un stade précoce, où toutes les informations ne sont pas nécessairement disponibles. Le droit national ne peut donc « empêcher une autorité compétente d’exiger qu’une évaluation des incidences sur l’environnement soit réalisée à un stade ultérieur de la procédure d’aménagement du territoire ».

B. L’impact sur les régimes d’urbanisme des États membres

La portée de cet arrêt est considérable pour les États membres dont le droit de l’urbanisme prévoit des autorisations en plusieurs phases. Ces derniers sont tenus d’adapter leurs procédures pour garantir qu’une évaluation environnementale reste possible jusqu’à la décision finale autorisant la réalisation des travaux. Cette obligation implique que les autorités nationales compétentes doivent réexaminer la nécessité d’une évaluation si des éléments nouveaux et significatifs apparaissent après la délivrance d’une autorisation de principe. La décision confère un caractère de principe à l’obligation de procéder à une évaluation environnementale dans une procédure à étapes, transformant ce qui pouvait être perçu comme une simple faculté en une véritable contrainte juridique. En définitive, cet arrêt établit clairement que la protection de l’environnement, telle qu’organisée par la directive, exige une appréciation dynamique et continue qui s’adapte à l’évolution de la connaissance du projet et de ses impacts potentiels, assurant ainsi que le développement urbain et économique se réalise dans le respect des exigences environnementales de l’Union.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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