Un litige a été initié lorsqu’une société a sollicité un greffier espagnol pour la transmission d’actes notariés à des destinataires situés dans d’autres États membres, en application du règlement n° 1348/2000. Ces actes constataient la résolution unilatérale de contrats de vente immobilière, sans pour autant être liés à une quelconque procédure judiciaire en cours. Le greffier a opposé un refus à cette demande, estimant que la transmission de tels documents sortait du champ d’application du règlement européen, celui-ci ne couvrant selon lui que les transmissions s’inscrivant dans un cadre processuel existant. La société requérante a alors formé un recours contre cette décision de refus devant le juge de première instance et d’instruction de San Javier. Saisi du litige, ce dernier a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice de l’Union européenne deux questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer si la notification d’actes qualifiés de purement extrajudiciaires, effectuée entre des personnes privées en dehors de toute procédure, relevait bien du règlement, ou si au contraire le champ d’application de ce dernier se limitait exclusivement à la coopération judiciaire entre États membres dans le contexte d’un procès déjà engagé. La Cour a jugé que la signification et la notification d’un acte notarié, même en dehors de toute procédure judiciaire, relevaient bien du champ d’application du règlement n° 1348/2000. La décision commentée consacre ainsi une conception autonome de la coopération judiciaire européenne (I), ce qui a pour effet d’étendre de manière significative le champ d’application matériel du règlement relatif à la signification et à la notification des actes (II).
I. L’affirmation d’une conception autonome de la coopération judiciaire européenne
L’arrêt rendu par la Cour de justice étend la portée du règlement sur la notification des actes en s’appuyant sur une définition extensive de sa propre compétence et des notions qu’il contient. Pour ce faire, elle a d’abord écarté une approche restrictive de la notion de fonction juridictionnelle (A) avant de consacrer le caractère communautaire et autonome de la notion d’acte extrajudiciaire (B).
A. Le rejet d’une approche restrictive de la saisine préjudicielle
La Cour de justice a d’abord été confrontée à une exception d’incompétence soulevée par la Commission, qui soutenait que la juridiction de renvoi agissait en qualité d’autorité administrative et non juridictionnelle. La Cour balaie cet argument en opérant une distinction subtile mais fondamentale. Elle reconnaît qu’un greffier, lorsqu’il reçoit une demande de notification, peut agir comme une autorité administrative. Cependant, le juge qui est saisi d’un recours contre le refus de ce même greffier exerce, lui, une fonction de nature juridictionnelle. En effet, ce recours vise à obtenir « l’annulation de cette décision dont il est prétendu qu’elle lèse un droit du demandeur ». En statuant sur l’existence d’un tel droit à la notification transfrontalière, le juge tranche bien un litige. La Cour affirme ainsi que le caractère juridictionnel d’une procédure ne dépend pas de la nature contradictoire de celle-ci, mais bien de sa finalité, qui est de statuer sur un droit allégué.
Cette solution est essentielle, car elle garantit un accès large au juge européen pour l’interprétation du droit de l’Union en matière de coopération judiciaire. Elle précise que dès lors qu’un recours a pour objet de contester une décision administrative qui ferait grief, l’organe statuant sur ce recours exerce une fonction juridictionnelle, le habilitant à poser une question préjudicielle. La Cour rappelle ainsi que « lorsqu’il fait acte d’autorité administrative sans qu’il soit en même temps appelé à trancher un litige, l’organisme de renvoi ne peut être regardé comme exerçant une fonction juridictionnelle ». A contrario, le recours formé contre le refus du greffier caractérise l’existence d’un litige, fondant la compétence de la Cour et la recevabilité du renvoi.
B. La consécration d’une définition communautaire de l’acte extrajudiciaire
Après avoir assis sa compétence, la Cour se penche sur la substance des questions posées et commence par affirmer que la notion d’« acte extrajudiciaire » doit recevoir une interprétation autonome en droit communautaire. Plusieurs gouvernements soutenaient que le contenu de cette notion devait être déterminé par le droit de chaque État membre, arguant de la diversité des listes d’actes notifiables communiquées par ces derniers. La Cour rejette fermement cette approche, la jugeant contraire aux objectifs du traité d’Amsterdam et au choix du règlement comme instrument juridique. Elle souligne que l’objectif de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice commande que les mesures de coopération judiciaire soient ancrées fermement dans l’ordre juridique communautaire, ce qui implique le « principe de leur interprétation autonome ».
Le raisonnement de la Cour est également fondé sur la nature même de l’instrument choisi par le législateur. L’adoption d’un règlement, plutôt que d’une directive, démontre « l’importance que le législateur communautaire attache au caractère directement applicable des dispositions du règlement n° 1348/2000 et à l’application uniforme de celles-ci ». Une définition nationale de l’acte extrajudiciaire aurait créé une application fragmentée et hétérogène du texte, vidant de sa substance l’objectif d’efficacité et de simplification. En qualifiant cette notion de concept autonome du droit de l’Union, la Cour s’assure que le champ d’application du règlement ne pourra être restreint par les particularismes des droits nationaux, garantissant ainsi une sécurité juridique accrue pour les justiciables au sein du marché intérieur.
II. L’extension du champ d’application matériel du règlement
Une fois posés les principes d’autonomie conceptuelle, la Cour en tire les conséquences logiques en définissant largement le champ d’application du règlement. Elle exclut ainsi la nécessité d’un lien avec une procédure judiciaire (A), tout en précisant les conséquences pratiques de cette interprétation extensive (B).
A. L’exclusion d’un lien nécessaire avec une procédure judiciaire
Le cœur de l’arrêt réside dans la réponse à la question centrale : le règlement s’applique-t-il en dehors de tout procès ? La Cour y répond par l’affirmative en s’appuyant sur une interprétation téléologique de la base juridique du règlement, à savoir l’article 65 CE. Ce dernier vise à simplifier la notification transfrontière des actes « dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ». La Cour en déduit que limiter la coopération judiciaire aux seules procédures en cours serait une vision trop étroite de cet objectif. Elle affirme que cette coopération « est susceptible de se manifester tant dans le cadre d’une procédure judiciaire qu’en dehors d’une telle procédure », dès lors qu’elle présente une incidence transfrontière et sert le marché intérieur.
La Cour écarte également l’argument textuel tiré du sixième considérant du règlement, qui ne mentionne que les procédures judiciaires. Elle considère que ce considérant ne fait que décrire un des corollaires de l’objectif principal et ne saurait en limiter la portée générale. L’acte en cause, établi par un notaire, constitue bien un acte extrajudiciaire au sens de l’article 16 du règlement, et sa notification efficace participe à la sécurité des transactions au sein de l’Union, qu’une action en justice s’ensuive ou non. La décision consacre ainsi une vision fonctionnelle de la coopération judiciaire, détachée de la seule sphère contentieuse et mise au service de la vie juridique et économique transfrontalière dans son ensemble.
B. Les conséquences pratiques d’une interprétation large
Enfin, la Cour répond aux craintes exprimées par certains États membres quant à la charge de travail excessive qu’une telle interprétation pourrait faire peser sur leurs juridictions. La réponse de la Cour est pragmatique et souligne la flexibilité offerte par le règlement lui-même. Elle rappelle que les États membres ne sont pas tenus de désigner leurs juridictions comme seules entités d’origine ou requises. L’article 2 du règlement leur permet en effet de confier ces missions à des « officiers ministériels, [des] autorités ou [d’]autres personnes », ce qui inclut notamment les huissiers de justice ou d’autres professions similaires.
De plus, la Cour met en exergue l’existence de voies de transmission alternatives prévues par le règlement, telles que la notification par voie postale prévue à l’article 14 ou la signification directe par les soins d’officiers ministériels de l’État requis selon l’article 15. Ces dispositions, applicables aux actes extrajudiciaires, offrent des alternatives qui permettent de contourner les structures judiciaires étatiques. Par cette approche, la Cour ne se contente pas de livrer une interprétation théorique ; elle en dessine les contours pratiques et rassure les États sur la viabilité de la solution retenue. L’arrêt renforce ainsi considérablement l’efficacité du règlement en tant qu’instrument au service des particuliers et des entreprises pour la conduite de leurs affaires dans l’espace judiciaire européen.