Cour d’appel de Paris, le 11 septembre 2025, n°24/08881

La Cour d’appel de Paris (Pôle 1, chambre 10), par arrêt du 11 septembre 2025, statue sur l’appel d’un jugement du 23 avril 2024 rendu par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris. Une créancière avait obtenu, par ordonnance sur requête du 18 septembre 2023, l’inscription d’hypothèques judiciaires provisoires pour garantir un prêt significatif. Le débiteur a saisi le juge de l’exécution aux fins de mainlevée, invoquant notamment la nullité de la requête faute de signature.

Le premier juge a rejeté les nullités, n’a prononcé qu’une mainlevée partielle, et a maintenu le surplus des inscriptions. L’appelant a sollicité l’infirmation, en soutenant une nullité de fond en raison de l’absence de signature, quand l’intimée plaidait un simple vice de forme régi par l’article 57 du code de procédure civile. Le débat s’est concentré sur la nature de l’irrégularité affectant la requête initiale, déposée dans un contexte où le ministère d’avocat était impératif.

La question de droit portait sur la qualification de l’absence de signature d’une requête lorsque la représentation par avocat est obligatoire, ainsi que sur la sanction procédurale appropriée. La Cour répond que la requête non signée, dans un tel cadre, est entachée d’une nullité de fond, et non d’un vice de forme subordonné à la démonstration d’un grief. Elle retient, à l’appui, que la mention dactylographiée du nom du conseil n’équivaut pas à une signature régulière au sens de l’article 57 du code de procédure civile, et que la vérification de la qualité du signataire est indissociable de l’exigence du ministère d’avocat. Elle annule la requête et, par voie de conséquence, l’ordonnance, et ordonne la mainlevée des mesures conservatoires.

I. La consécration d’une nullité de fond en l’absence de signature lorsque le ministère d’avocat est obligatoire

A. L’exigence de signature au sens de l’article 57 du code de procédure civile

La Cour rappelle avec clarté la portée de l’article 57 du code de procédure civile en matière de requête. Elle affirme que la seule identification dactylographiée du conseil ne suffit pas à satisfaire l’exigence probatoire et authentificatrice attachée à la signature. En ce sens, elle énonce que « Il n’est pas discuté que l’acte ne comporte ni signature manuscrite, ni signature électronique, la seule mention dactylographiée au pied de la requête du nom de l’avocat, ne pouvant constituer une signature au sens de l’article 57 du code de procédure civile qui prévoit que la requête est signée. »

Cette précision réaffirme une fonction essentielle de la signature, à la fois d’imputabilité et de contrôle de régularité procédurale. Dans un contentieux de mesures conservatoires, où l’office du juge est saisi sans contradictoire, l’authentification minimale de l’acte introductif ne souffre pas d’approximation. La Cour refuse donc d’assimiler une identification dactylographiée à une signature, qu’elle soit manuscrite ou électronique fiable, et rétablit une ligne ferme entre les substituts informels et les exigences légales.

B. Le rattachement de l’irrégularité à une nullité de fond en raison du ministère d’avocat

Au-delà de l’article 57, l’arrêt articule la signature à l’exigence même du ministère d’avocat imposé par les textes spéciaux. L’absence de signature ne constitue pas seulement un défaut de forme sur un acte régulier quant à son auteur, mais révèle au contraire l’impossibilité de rattacher l’acte à un avocat, condition substantielle dans la procédure considérée. La formulation est nette : « Dès lors, cette absence de signature d’une requête, dont il n’est pas discuté par les parties qu’elle devait être présentée par un avocat en application des articles L. 121-4 et R.121-6 du code des procédures civiles d’exécution, affecte celle-ci d’une nullité de fond, qui n’avait pas disparu au moment où le premier juge a statué. »

La qualification de nullité de fond emporte d’importantes conséquences. Elle évite au requérant de devoir caractériser un grief, irriguant ici la logique selon laquelle l’absence d’émanation de l’acte d’un avocat, exigé par la loi, atteint la validité même de la saisine. La Cour ajoute que le mode de dépôt initial ne permettait pas une vérification suffisante de l’identité et de la qualité du déposant, ce qui renforce la gravité de l’irrégularité. Cette articulation protège la cohérence du régime du ministère d’avocat, dont la signature constitue le vecteur probatoire minimal.

II. Portée et appréciation de la solution retenue par la Cour d’appel de Paris

A. Les conséquences procédurales tirées par la Cour et la sécurisation des actes

La qualification de nullité de fond entraîne un effet d’entraînement sur les actes subséquents. La Cour l’énonce en des termes brefs et décisifs : « Il convient en conséquence de prononcer la nullité de la requête et, par suite, la nullité de l’ordonnance du 18 septembre 2023 et d’ordonner mainlevée des mesures conservatoires. » L’ordonnance, privée de son support régulier, ne peut conserver d’effet, ce qui justifie la mainlevée des hypothèques judiciaires provisoires.

La décision complète ses conséquences en matière de dépens et de frais irrépétibles, selon la logique classique du succombant. Elle condamne l’intimée aux dépens et rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile. L’économie du litige impose ainsi une stricte vigilance dans la confection des actes initiaux, spécialement lorsqu’ils déclenchent des mesures attentatoires au patrimoine sans contradictoire préalable.

B. La décision au regard du droit positif et des pratiques de dématérialisation

La solution s’inscrit dans une ligne qui distingue les simples vices de forme, nécessitant grief, des atteintes à des conditions substantielles de validité de l’acte. Une partie de la jurisprudence considère l’absence de signature comme un vice de forme, surtout lorsque la représentation n’est pas obligatoire et que l’auteur de l’acte est clairement identifiable. L’arrêt commenté durcit la réponse lorsque la loi impose le ministère d’avocat : sans signature, l’acte n’émane juridiquement de personne habilitée, ce qui justifie la nullité de fond.

Cette analyse est cohérente avec l’office de la signature électronique, conçue comme équivalent fonctionnel de la signature manuscrite si elle répond aux critères de fiabilité. Elle est également compatible avec la dématérialisation des dépôts, à la condition que l’outil permette de rattacher l’acte à son véritable auteur. La Cour rappelle, en filigrane, que la simplification des circuits ne doit pas dissoudre les garanties d’authenticité sur lesquelles repose la loyauté procédurale.

La portée pratique est notable pour les requêtes aux fins de mesures conservatoires. Elle impose une discipline accrue dans la validation des actes avant dépôt, avec un contrôle effectif de la signature, fût-elle électronique, et une documentation fiable de l’auteur. Elle pourrait inspirer, plus largement, une vigilance renouvelée en matière d’actes unilatéraux en procédure civile, lorsque la représentation est imposée par un texte spécial et que la décision intervient hors contradictoire.

L’arrêt éclaire enfin la fonction régulatrice de la nullité de fond, utilisée ici comme instrument de garantie du ministère d’avocat. Il confère un signal clair aux praticiens : l’exigence de signature n’est pas un simple formalisme, mais la condition d’identification de l’auteur habilité. En la réaffirmant à propos d’une requête introductive de mesures conservatoires, la Cour d’appel de Paris consolide la sécurité juridique des actes et la protection du contradictoire différé.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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