Cour d’appel de Montpellier, le 26 juin 2025, n°21/01509

Cour d’appel de Montpellier, 26 juin 2025, 3e chambre civile. Un abri de jardin élevé en limite séparative a suscité un litige entre voisins au sein d’un lotissement pavillonnaire. L’ouvrage, d’environ sept mètres, a été perçu comme occultant la lumière et modifiant la vue depuis l’habitation voisine, générant un différend persistant.

La procédure a débuté par un référé-expertise ordonné le 6 avril 2017, dont le rapport a été déposé le 15 septembre 2017. Une action en démolition, fondée sur l’abus de droit et le trouble anormal du voisinage, a ensuite été engagée devant la juridiction de première instance. Par jugement du 11 février 2021, les demandes ont été rejetées, avec condamnation aux dépens et à une indemnité sur le fondement de l’article 700. Un appel a été interjeté le 8 mars 2021.

Les appelants invoquaient l’intention de nuire, soutenant que l’implantation ne répondait à aucune utilité réelle, et dénonçaient une perte sensible d’ensoleillement et de vue. Les intimés invoquaient la préservation de l’intimité et la normalité des inconvénients en milieu pavillonnaire. Deux thèses s’opposaient, l’une fondée sur l’intention malveillante et l’excès de nuisance, l’autre sur l’exercice légitime du droit de propriété et l’environnement résidentiel.

La question portait d’abord sur les conditions d’un abus de droit de propriété en matière de constructions en limite séparative. Elle portait ensuite sur les critères d’appréciation du trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, au regard de l’environnement et des données d’expertise. La cour a écarté l’abus de droit, affirmant que « le fait de vouloir réduire la visibilité des voisins sur sa propriété pour préserver son intimité constitue une motivation légitime et en aucun cas un abus de droit ». Elle a aussi retenu que « le juge du fond doit rechercher le caractère excessif du trouble en fonction des circonstances de temps et de lieu ». Enfin, elle a jugé que « le caractère anormal du trouble de voisinage invoqué n’est pas démontré », confirmant le jugement entrepris.

I. L’encadrement de l’abus de droit en matière de voisinage

A. Les critères retenus et la cohérence du raisonnement

La cour rappelle que l’abus suppose plus qu’un désagrément, il requiert une intention de nuire ou un exercice dévoyé du droit de propriété. Le raisonnement s’articule autour de la finalité recherchée par l’ouvrage et de la proportion des moyens employés dans le contexte considéré. L’objectif de protection de la vie privée est central dans l’espèce, et sert de mesure de la légitimité de l’implantation choisie.

L’arrêt explicite nettement le critère directeur en relevant que « le fait de vouloir réduire la visibilité des voisins sur sa propriété pour préserver son intimité constitue une motivation légitime et en aucun cas un abus de droit ». La motivation non malveillante prive l’abus de base factuelle, dès lors que l’érection de l’ouvrage répond à un besoin d’intimité au sein d’un lotissement. Le contrôle se concentre alors sur l’usage normal du droit, évalué à l’aune de l’environnement immédiat.

Cette démarche est conforme à l’économie de la responsabilité en voisinage. Elle distingue l’hostilité délibérée des simples choix d’aménagement dictés par le besoin d’intimité. Elle ménage un espace d’autonomie aux propriétaires, sans exonérer pour autant les excès caractérisés. L’ouvrage devient illicite seulement lorsqu’il excède, par sa finalité ou sa disproportion, la mesure de l’exercice normal.

B. L’application au cas et la portée des motifs

L’analyse concrète neutralise les indices subjectifs et privilégie les éléments objectivables du dossier. L’argument tiré de l’éloignement de l’ouvrage des « espaces de vie » est déprécié, car impropre à révéler une intention malveillante en soi. La cour relève, à juste titre, que la configuration d’un lotissement implique des arbitrages constants entre vue, intimité et circulation de la lumière.

Le motif suivant est déterminant et clarifie la méthode: « Le fait que la construction soit éloignée des autres espaces de vie est une appréciation subjective qui est insuffisante à démontrer une intention de nuire dans la mesure où cette implantation était destinée légitimement à limiter la vue des voisins sur la propriété. » Le raisonnement admet donc l’implantation choisie, en la rattachant à une finalité légitime, sans ériger une clause de style défavorable au voisin.

La portée pratique est nette. La motivation est de nature à guider les implantations en limite séparative, là où des solutions de protection visuelle sont fréquentes. Elle invite à documenter l’utilité réelle de l’ouvrage et sa proportion, plutôt que d’arguer abstraitement d’un grief subjectif. Elle ferme, enfin, la voie à une qualification d’abus déconnectée du but poursuivi.

II. La qualification du trouble anormal en milieu pavillonnaire

A. Les critères d’appréciation et le poids de l’expertise

La cour place la qualification dans le cadre traditionnel de la responsabilité pour troubles de voisinage. Elle rappelle que « aux termes de l’article 1253 du code civil, le propriétaire qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ». Le siège normatif importe moins que la méthode, qui privilégie la mesure concrète du trouble allégué.

Le contrôle juridictionnel est resserré par un principe de méthode clair: « Le juge du fond doit rechercher le caractère excessif du trouble en fonction des circonstances de temps et de lieu. » La cour s’appuie sur le rapport d’expertise pour apprécier la luminosité réelle, la présence d’ouvertures alternatives et les ombres portées par les végétaux environnants. Le lotissement sert de référentiel descriptif et de norme d’acceptabilité.

L’arrêt cite des éléments précis et opératoires: « S’agissant de la perte d’ensoleillement, l’expert déclare que la luminosité de la cuisine située en face de l’abri n’est pas affectée dans des proportions excédant le fait de résider dans un lotissement pavillonnaire d’autant que la clarté peut continuer sans ensoleillement direct et que la pièce dispose d’autres ouvertures et notamment une baie vitrée au sud. » Le raisonnement intègre aussi la pluralité des causes d’ombre: « Il ajoute que l’ombre portée des arbres avoisinants s’ajoute à celle de l’abri de jardin et que l’importance du trouble n’excède donc pas la situation et l’environnement général des lieux. »

La conclusion suit logiquement la démonstration technique: « Ainsi, après avoir fait toutes les simulations d’ensoleillement aux différentes saisons, l’expert estime, à juste titre, que la perte d’ensoleillement, si elle constitue un trouble de voisinage, n’est pas excessive dans le cadre d’un lotissement pavillonnaire. » Le défaut de preuve de la dépréciation économique est, pareillement, relevé: « Les appelants ne versent aux débats aucun élément émanant de professionnels de l’immobilier ou autres permettant à la cour de constater l’effectivité de la perte de valeur alléguée. »

B. Valeur, portée et équilibre des intérêts

La solution s’ancre dans une ligne jurisprudentielle prudente, attentive au contexte résidentiel. Elle rappelle que la vue sur le fonds voisin ne constitue pas un droit garanti, spécialement en milieu pavillonnaire sujet aux masques visuels multiples. L’arrêt l’énonce nettement: « S’agissant de la perte de vue, la cour a indiqué plus haut que les appelants ne disposaient d’aucun droit acquis à la vue dans un lotissement pavillonnaire comportant plusieurs types de construction (pavillons, abris de jardin, murs de clôture, arbres) d’autant qu’en l’espèce ils revendiquent injustement une vue sur la piscine et le coin repas de leurs voisins, privant ceux-ci de toute intimité. »

Cette position valorise la cohérence d’ensemble du quartier et invite à raisonner à l’échelle du site. Elle promeut un usage éclairé de l’expertise pour objectiver les nuisances et hiérarchiser les facteurs. Elle protège la liberté d’aménager, sans nier l’existence de troubles, mais en circonscrivant leur excès à des situations dûment caractérisées et prouvées. Elle contient cependant un risque de sous‑appréciation des effets cumulatifs, que la pluralité d’ouvertures peut atténuer sans les éliminer.

La formule finale emporte la conviction au regard du dossier: « Le caractère anormal du trouble de voisinage invoqué n’est pas démontré. » Elle s’inscrit dans un équilibre clair entre intimité et jouissance de la lumière, où la proportion et la preuve gouvernent l’issue. La confirmation s’impose logiquement: « Par conséquent, le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions. »

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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