Par un arrêt en date du 28 janvier 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la nature juridique des mentions informatives contenues dans un acte d’urbanisme et sur la possibilité de les contester devant le juge administratif. En l’espèce, une société civile immobilière, propriétaire d’un immeuble, a déposé une déclaration préalable de travaux en vue de la réfection de sa toiture et de ses façades. Faute de réponse de l’administration municipale dans le délai d’instruction, elle est devenue titulaire d’une décision de non-opposition tacite. À sa demande, le maire lui a délivré un certificat attestant de cette autorisation, mais y a ajouté une mention précisant que la parcelle « ne supporte aujourd’hui aucune surface de plancher affectée à l’habitation et qu’aucun logement ne pourra être créé sans autorisation d’urbanisme ». La société a alors formé un recours gracieux pour obtenir le retrait de cette mention, qui fut implicitement rejeté. Elle a ensuite saisi le tribunal administratif afin de faire annuler cette mention qu’elle jugeait erronée. Le tribunal a rejeté sa demande, conduisant la société à interjeter appel. La cour administrative d’appel, après avoir annulé le jugement de première instance pour une irrégularité de procédure, a statué sur la demande initiale.
La question de droit qui se posait était de savoir si une mention, insérée dans un certificat de non-opposition à une déclaration de travaux et formulant une appréciation sur la destination de l’immeuble sans modifier les droits acquis par le pétitionnaire, constitue un acte faisant grief susceptible d’un recours pour excès de pouvoir. La cour a jugé que de telles mentions, qui se bornent à formuler un constat et un rappel de la réglementation pour l’avenir, sont dépourvues de portée juridique et ne lèsent pas leur destinataire. Par conséquent, elle a déclaré irrecevable le recours intenté par la société requérante, estimant que la mention litigieuse ne constituait pas une décision administrative contestable.
Cette solution conduit à examiner la distinction opérée par le juge entre l’acte administratif décisoire et les énonciations purement informatives (I), avant d’analyser les conséquences d’une telle qualification sur le droit au recours des administrés (II).
I. L’exigence réaffirmée d’un acte faisant grief comme condition de la recevabilité du recours
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse rigoureuse de la nature de l’acte contesté, en distinguant soigneusement le certificat lui-même de la mention qui y a été ajoutée (A), pour en déduire logiquement l’absence de caractère décisoire de cette dernière, et donc l’irrecevabilité du recours (B).
A. La distinction entre l’acte recognitif et la mention superfétatoire
La juridiction d’appel rappelle d’abord la fonction de l’acte délivré par la commune. Le certificat de non-opposition, prévu par l’article R. 424-13 du code de l’urbanisme, a pour seul objet d’attester de l’existence d’une autorisation tacite, acquise à l’expiration du délai d’instruction. Il s’agit d’un acte purement recognitif, destiné à fournir au bénéficiaire un moyen de preuve de ses droits. En l’espèce, l’acte du 22 octobre 2020 remplissait cette fonction, confirmant que la déclaration préalable avait « fait l’objet d’une non opposition en date du 18/09/2020 ».
Cependant, la cour relève que le maire y a ajouté des énonciations étrangères à cet objet. La mention litigieuse, qui porte sur la destination de l’immeuble, est ainsi qualifiée par le juge de simple constat factuel assorti d’un rappel de la réglementation applicable à tout projet futur de changement de destination. La cour souligne que l’administration « s’est, ce faisant, bornée à formuler un constat factuel et à en tirer une conséquence pour l’avenir ». Cette analyse dissocie la partie de l’acte qui constate un droit acquis de celle qui émet une opinion, conférant à cette dernière un statut juridique distinct et inférieur.
B. L’irrecevabilité, conséquence logique de l’absence de portée juridique
De cette distinction découle directement la solution retenue. Le recours pour excès de pouvoir n’est recevable qu’à l’encontre d’actes administratifs produisant des effets de droit, c’est-à-dire modifiant l’ordonnancement juridique. Or, la cour juge que la mention contestée est « dépourvue de toute portée juridique en l’espèce ». Elle ne produit aucun effet sur la situation du requérant, car elle « ne remet pas en cause l’autorisation accordée à la SCI Guetilejuker 5 de réaliser les travaux que cette dernière a déclarés ».
En conséquence, la mention ne peut être qualifiée d’acte faisant grief. Elle ne lèse aucun droit ni intérêt de la société pétitionnaire, qui conserve intacte son autorisation de travaux. L’irrecevabilité du recours est donc la sanction logique de cette absence d’effet juridique. La cour applique ici une jurisprudence constante qui écarte du prétoire les simples avis, vœux, recommandations ou prises de position de l’administration qui ne se traduisent pas par une décision exécutoire. La solution réaffirme ainsi le pragmatisme du juge administratif, qui refuse d’examiner la légalité d’énonciations administratives n’ayant pas de caractère impératif.
II. La portée d’une conception restrictive de l’intérêt à agir en matière d’urbanisme
Si la solution est orthodoxe sur le plan des principes du contentieux administratif, elle n’est pas sans conséquence pour le justiciable, en ce qu’elle donne la primauté à la fonction probatoire du certificat sur les craintes légitimes du pétitionnaire (A), reportant ainsi à plus tard le règlement d’une incertitude juridique (B).
A. La primauté de la fonction probatoire du certificat sur les craintes du pétitionnaire
En refusant de se prononcer sur le bien-fondé de la mention relative à la destination de l’immeuble, la cour fait prévaloir une lecture stricte de la nature du certificat de non-opposition. Pour le juge, cet acte ne peut être le véhicule d’une contestation sur des points de droit qui ne sont pas directement liés à l’autorisation de travaux elle-même. Cette position a le mérite de préserver la clarté des procédures et d’éviter que la délivrance d’un certificat ne se transforme en un audit général de la situation urbanistique d’un bien.
Toutefois, cette approche ne tient pas compte du risque que de telles mentions, bien que non décisoires, font peser sur le propriétaire. Une affirmation par l’autorité administrative compétente du caractère non résidentiel d’un bien est de nature à créer une insécurité juridique pour des transactions futures, l’obtention d’un financement ou le dépôt de nouvelles demandes d’autorisation. La société requérante cherchait précisément à prévenir un contentieux ultérieur en faisant corriger ce qu’elle estimait être une erreur d’appréciation de l’administration. La décision de la cour la prive de cette possibilité d’action préventive.
B. L’incertitude juridique reportée, une conséquence de la solution d’espèce
En déclarant le recours irrecevable, la cour ne tranche pas le désaccord de fond entre la société et la commune sur la destination de l’immeuble. La question de savoir si le bien comporte ou non des surfaces de plancher affectées à l’habitation demeure entière. La décision a pour effet de reporter la résolution de ce conflit à un stade ultérieur, par exemple lors d’une demande de permis de construire pour un changement de destination, qui serait alors susceptible d’être refusée sur la base de l’appréciation déjà exprimée dans le certificat.
Cette solution, si elle favorise une économie procédurale à court terme pour la juridiction administrative, peut être source de complexité pour l’administré. Celui-ci est contraint d’attendre une véritable décision de refus, cristallisant le point de vue de l’administration, pour pouvoir enfin contester l’analyse de cette dernière devant le juge. La portée de cet arrêt réside donc dans le rappel qu’une appréciation administrative, même si elle est formalisée par écrit, n’est pas nécessairement une décision, et que le chemin vers le prétoire demeure strictement balisé par l’exigence d’un acte faisant grief, quitte à laisser subsister des incertitudes juridiques préjudiciables.