L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Versailles le 24 juin 2025 offre un éclaircissement sur l’articulation du droit fiscal interne avec les stipulations d’une convention fiscale bilatérale. Une contribuable fiscalement domiciliée en France, propriétaire de biens immobiliers en France et en Italie, a imputé sur ses revenus fonciers de source française un déficit provenant de ses biens situés en Italie pour les années 2016 et 2017. L’administration fiscale a remis en cause cette imputation, ce qui a conduit à une rectification des impositions dues. Après le rejet de sa réclamation, la contribuable a saisi le tribunal administratif de Versailles, lequel a confirmé la position de l’administration par un jugement du 19 janvier 2023. La contribuable a interjeté appel de cette décision, mais est décédée au cours de l’instance, qui a été reprise par son père. Le requérant soutenait principalement que la convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989 autorisait la déduction des déficits fonciers italiens. La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer si les dispositions de la convention franco-italienne permettent à un résident de France d’imputer un déficit foncier de source italienne sur ses revenus de même nature imposables en France. La cour administrative d’appel y répond par la négative, estimant que la convention limite son mécanisme d’élimination de la double imposition aux seuls revenus positifs. L’arrêt confirme ainsi une lecture stricte des traités internationaux, qui peut aboutir à une fragmentation du traitement fiscal des revenus patrimoniaux du contribuable. Cette solution repose sur une interprétation littérale de la convention (I), dont la rigueur juridique conduit à une situation défavorable pour le contribuable (II).
I. L’exclusion du déficit foncier par une interprétation littérale de la convention
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse textuelle rigoureuse des articles de la convention franco-italienne. Elle rappelle d’abord la règle de répartition de la compétence d’imposition (A) avant d’en déduire une application restrictive du mécanisme correcteur de la double imposition (B).
A. Le principe de l’imposition des revenus immobiliers dans l’État de situation du bien
L’arrêt s’appuie, dans une logique classique, sur l’article 6 de la convention franco-italienne. Cette stipulation attribue à l’État où les biens immobiliers sont situés le droit d’imposer les revenus qui en proviennent. En l’espèce, les revenus, qu’ils soient positifs ou négatifs, tirés des immeubles possédés par la contribuable en Italie, relèvent de la compétence fiscale de l’Italie. Cette règle constitue le fondement de la plupart des conventions fiscales internationales, car elle assure un lien tangible entre le revenu et le pouvoir de taxation. Un résident fiscal français est, en vertu de l’article 4 A du code général des impôts, imposable en France sur l’ensemble de ses revenus mondiaux. Toutefois, cette obligation déclarative n’emporte pas nécessairement une imposition effective sur les revenus de source étrangère, car les conventions visent précisément à éviter ou à atténuer les doubles impositions qui pourraient en résulter. La convention franco-italienne, en réservant à l’Italie le droit d’imposer ces revenus, crée une situation de double imposition juridique potentielle que l’article 24 a pour objet de résoudre.
B. La limitation du mécanisme d’élimination de la double imposition aux seuls revenus positifs
Le cœur du raisonnement du juge se trouve dans son interprétation de l’article 24 de la convention. Cet article prévoit que pour un résident de France, les revenus de source italienne sont également imposables en France, mais le contribuable bénéficie d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français. C’est ce mécanisme qui prévient la double taxation. La cour relève cependant une précision terminologique essentielle dans la rédaction de cet article, qui stipule que « les bénéfices et autres revenus positifs qui proviennent d’Italie […] sont également imposables en France ». Le juge en conclut que les parties signataires ont volontairement limité le champ d’application de cette clause aux seuls revenus excédentaires. Par conséquent, un déficit, étant par définition un revenu négatif, n’entre pas dans le champ des « bénéfices et autres revenus positifs ». Il ne peut donc pas être intégré dans la base de l’impôt français pour y être compensé. Cette analyse littérale conduit à isoler le déficit foncier italien, qui ne peut produire aucun effet fiscal en France, ni en étant déduit des revenus fonciers français, ni en ouvrant droit à un quelconque crédit d’impôt.
II. La consécration d’une solution rigoureuse et désavantageuse pour le contribuable
En validant l’approche de l’administration fiscale, la cour administrative d’appel conforte une solution qui, si elle est juridiquement fondée, n’en demeure pas moins critiquable du point de vue de l’équité et de la réalité économique (A). Cette décision s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante qui privilégie la lettre des traités sur leur esprit (B).
A. La prévalence de la lettre du traité sur la réalité économique de l’investissement
La solution retenue par l’arrêt aboutit à une scission dans le traitement fiscal du patrimoine immobilier du contribuable. D’un côté, ses revenus fonciers français sont imposés, de l’autre, ses pertes foncières italiennes sont ignorées. Or, d’un point de vue économique, un investisseur considère son patrimoine comme un tout et évalue sa rentabilité globale, en compensant naturellement les profits et les pertes. Le droit fiscal interne reconnaît d’ailleurs ce principe en autorisant l’imputation des déficits fonciers sur le revenu global dans certaines limites. La décision commentée crée une rupture dans cette logique. Elle conduit à imposer un contribuable sur une base qui ne reflète pas sa capacité contributive réelle, puisque celle-ci est amputée par une perte économique effective que le droit fiscal refuse de prendre en compte. La stricte adhésion au texte de la convention empêche ainsi une appréhension globale de la situation financière du contribuable, ce qui peut paraître contraire à l’objectif d’une juste répartition de la charge fiscale.
B. Une position conforme à la jurisprudence du Conseil d’État
Si elle est sévère, la décision de la cour administrative d’appel n’est pas surprenante. Elle s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence du Conseil d’État, qui interprète de manière restrictive les clauses des conventions fiscales internationales. Le juge administratif considère qu’il ne lui appartient pas d’étendre les dispositions d’un traité au-delà de ce que ses signataires ont expressément convenu. Modifier l’interprétation d’une convention pour y inclure les déficits, là où seuls les revenus positifs sont mentionnés, reviendrait pour le juge à se substituer aux parties contractantes. Cette orthodoxie juridique garantit la sécurité des relations internationales et le respect des traités. Elle a cependant pour conséquence de laisser subsister des situations de « double non-imputation » des déficits, où une perte n’est déductible ni dans l’État de la source ni dans l’État de résidence. Cette décision confirme donc que, sauf mention expresse contraire dans une convention, un déficit subi à l’étranger ne peut généralement pas être utilisé pour réduire l’impôt dû en France.