Cour d’appel administrative de Versailles, le 23 décembre 2024, n°22VE02902

Par un arrêt en date du 23 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Versailles a annulé un arrêté préfectoral qui accordait une autorisation environnementale pour la construction et l’exploitation d’un parc éolien. Le projet, contesté par une association de protection de l’environnement et des riverains, consistait en l’implantation de trois aérogénérateurs et d’un poste de livraison sur le territoire d’une commune rurale. Les requérants avaient initialement saisi la juridiction d’appel d’une requête en annulation, invoquant plusieurs illégalités, tant sur la forme que sur le fond. En défense, le préfet et la société pétitionnaire avaient soulevé plusieurs fins de non-recevoir, notamment l’irrecevabilité de la requête pour tardiveté et le défaut d’intérêt à agir de certains requérants, tout en contestant le bien-fondé des moyens soulevés. Après avoir écarté les fins de non-recevoir qui auraient pu faire obstacle à l’examen de l’affaire au fond, le juge s’est principalement concentré sur les atteintes aux intérêts protégés par le code de l’environnement. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si un projet éolien, bien que d’ampleur limitée et s’inscrivant dans une logique de densification d’un parc existant, pouvait néanmoins être regardé comme portant une atteinte excessive à la commodité du voisinage en aggravant de manière significative un phénomène de saturation visuelle et d’encerclement paysager préexistant. La juridiction a répondu par l’affirmative, considérant que le projet, en dépit de sa taille modeste, « aggrave de manière significative l’encerclement des horizons […] et le phénomène de saturation visuelle observé à partir de plusieurs points d’observation pertinents », justifiant ainsi l’annulation de l’autorisation.

I. La consolidation d’une méthode d’appréciation rigoureuse de la saturation visuelle

La décision commentée illustre avec clarté la méthodologie que le juge administratif met en œuvre pour évaluer l’impact paysager d’un projet éolien. Cette démarche repose sur une prise en compte globale de l’environnement visuel existant (A) ainsi que sur une analyse concrète des incidences du projet depuis des points d’observation jugés pertinents (B).

A. L’approche globale du contexte éolien environnant

Le juge administratif, pour apprécier l’effet de saturation, ne se limite pas à l’analyse du seul projet contesté. Il procède à une évaluation d’ensemble qui intègre la totalité des parcs éoliens déjà installés ou autorisés dans un périmètre significatif. En l’espèce, la Cour a pris en considération le nombre très important d’aérogénérateurs, près de cent quatre-vingts, situés dans un rayon de dix à vingt kilomètres autour du village concerné. Cette approche globale permet de mesurer l’impact additionnel du nouveau projet non pas de manière isolée, mais en considération de l’état de saturation déjà avancé du paysage. La juridiction rejette ainsi implicitement une vision fragmentée qui consisterait à n’évaluer chaque projet qu’à l’aune de ses propres caractéristiques, sans tenir compte de la pression cumulative exercée sur le territoire. L’arrêt confirme que l’appréciation des inconvénients pour la commodité du voisinage, au sens de l’article L. 511-1 du code de l’environnement, doit s’effectuer au regard de la situation nouvelle créée par l’ensemble des installations.

B. L’analyse concrète de l’impact depuis les lieux de vie

Au-delà de l’inventaire quantitatif des éoliennes, la Cour se livre à une appréciation qualitative de leur impact visuel. Elle opère pour cela une distinction fondamentale entre les simples lieux de passage, tels que les routes, qu’elle juge inopérants pour caractériser une atteinte, et les points d’observation pertinents que constituent les lieux de vie. En l’occurrence, plusieurs villages et hameaux, ainsi qu’un château, ont été retenus comme points d’analyse. Le juge s’appuie sur les pièces versées au dossier, notamment les photomontages, pour évaluer concrètement la configuration des lieux et l’effet des écrans visuels naturels ou bâtis. Il constate que, sur un relief plat et peu boisé, ces écrans ne suffisent pas à masquer l’impact des nouvelles machines. Cette analyse factuelle et pragmatique permet de dépasser les études théoriques d’encerclement pour vérifier si, dans la réalité du terrain, des « espaces de respiration réels suffisants » sont préservés pour les habitants.

II. La sanction d’une atteinte caractérisée à l’environnement et au cadre de vie

En appliquant cette méthode d’analyse, la Cour aboutit à la censure du projet, considérant qu’il franchit le seuil de l’inconvénient acceptable. Elle écarte pour cela l’argument de la simple densification (A) pour consacrer la prééminence de la protection du cadre de vie face à une saturation jugée excessive (B).

A. Le rejet de l’argument de la densification comme facteur exonératoire

La société pétitionnaire soutenait que son projet, composé de seulement trois éoliennes et implanté en prolongement d’un parc existant, relevait d’une logique de densification visant à éviter la dispersion des aérogénérateurs. Cet argument est fréquemment avancé par les porteurs de projet pour justifier l’insertion de nouvelles machines dans un paysage déjà marqué par l’éolien. Toutefois, la Cour ne s’est pas satisfaite de cette présentation. Elle a relevé que le nouveau parc ne se bornait pas à une simple superposition visuelle avec les éoliennes existantes, mais qu’il avait pour effet tangible de réduire les « angles de respiration » observés depuis plusieurs lieux de vie pertinents. L’arrêt signifie ainsi que la densification d’un parc ne constitue pas en soi une garantie contre la censure. Si elle peut être vertueuse dans certains cas, elle ne saurait justifier une aggravation significative de l’encerclement et de la saturation visuelle, en particulier lorsque des seuils d’alerte sont déjà atteints ou dépassés.

B. La caractérisation d’un effet d’encerclement et de surplomb excessif

La décision d’annulation repose en définitive sur la caractérisation d’une atteinte substantielle au cadre de vie des riverains. Le juge estime que le projet, bien que modeste, aggrave de manière significative l’encerclement du village, dont les horizons sont déjà occupés par des éoliennes à l’est, au sud et à l’ouest. L’arrêt met également en exergue le cas spécifique d’un hameau où les habitants seraient confrontés à un « important effet de surplomb et d’écrasement » en raison de la proximité des nouvelles machines. En qualifiant ainsi les inconvénients générés par le projet, la Cour réaffirme que la protection des paysages, en tant que composante de la commodité du voisinage, impose de préserver un équilibre et de ne pas sacrifier entièrement la qualité du cadre de vie à la multiplication des installations de production d’énergie, même renouvelable. Cette décision, bien que rendue en fonction des circonstances propres à l’espèce, témoigne de la vigilance du juge administratif face au risque d’une banalisation et d’une dégradation irréversible des paysages ruraux sous l’effet d’une accumulation d’implantations éoliennes.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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