L’arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 31 décembre 2024 offre un éclairage sur la portée du principe du contradictoire dans le cadre d’une procédure de mise en sécurité engagée en urgence. En l’espèce, une personne avait acquis un immeuble en indivision avec son compagnon. Quelques mois après l’acquisition, le maire de la commune a initié une procédure de mise en sécurité urgente, considérant que l’état du bâtiment présentait un danger. Conformément à la procédure, le maire a saisi le juge des référés du tribunal administratif afin que soit désigné un expert pour évaluer l’état de l’immeuble. L’expert a déposé son rapport, sur la base duquel le maire a pris un arrêté de mise en sécurité urgente, enjoignant aux propriétaires d’exécuter des travaux de consolidation. L’une des propriétaires a alors saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de cet arrêté. Sa requête a été rejetée par une ordonnance du président de chambre, qui a jugé la demande manifestement mal fondée. La requérante a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant que l’arrêté était illégal au motif que les opérations d’expertise s’étaient déroulées sans qu’elle y soit convoquée, violant ainsi le caractère contradictoire de la procédure. La question de droit soumise à la cour était donc de savoir si l’irrégularité tirée du défaut de caractère contradictoire d’une expertise menée en référé est de nature à vicier la légalité de l’arrêté de mise en sécurité urgente pris subséquemment. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que, bien que la procédure d’expertise doive en principe être contradictoire, le moyen tiré de son éventuelle irrégularité est inopérant à l’encontre de l’arrêté de mise en sécurité lui-même, celui-ci pouvant être pris sans procédure contradictoire préalable en cas de danger imminent.
La décision de la cour administrative d’appel clarifie ainsi la hiérarchie des normes et l’autonomie des procédures en matière de police administrative spéciale, en dissociant la régularité de l’expertise de celle de l’arrêté de mise en sécurité (I). Cette solution, qui privilégie la célérité et l’efficacité de l’action administrative face à un danger imminent, confirme la primauté de l’objectif de sécurité sur le respect des garanties procédurales (II).
I. La dissociation de la procédure d’expertise et de l’arrêté de mise en sécurité
La cour opère une distinction nette entre le déroulement de l’expertise et la légalité de l’acte de police qui en découle. Elle commence par réaffirmer l’exigence d’une procédure contradictoire pour l’expertise (A), mais en neutralise immédiatement la portée en jugeant le moyen tiré de sa violation inopérant (B).
A. Le rappel du principe du contradictoire pour l’expertise en matière de péril imminent
Le juge d’appel prend soin de rappeler le cadre juridique applicable à la désignation d’expert par le juge des référés. Il vise l’article L. 511-9 du code de la construction et de l’habitation, qui permet à l’autorité administrative de solliciter une telle mesure, ainsi que l’article R. 531-1 du code de justice administrative, qui régit le référé-constat. C’est de la combinaison de ces textes que la cour déduit l’obligation pour le juge de garantir le caractère contradictoire de l’expertise. En effet, la décision énonce clairement que ces dispositions « imposent au juge des référés, s’il nomme un expert aux fins d’effectuer les missions prévues par l’article L. 511-9 du code de la construction et de l’habitation, de notifier au propriétaire du bâtiment et aux autres défendeurs son ordonnance, l’expertise devant avoir lieu en présence de ces défendeurs ». Cette affirmation liminaire reconnaît le bien-fondé théorique de l’argument de la requérante. La notification de l’ordonnance de référé est la condition nécessaire pour que le propriétaire puisse assister aux opérations d’expertise, faire valoir ses observations et ainsi garantir ses droits. Le principe du contradictoire, principe général du droit, trouve ici une application spécifique dans une procédure pré-décisionnelle.
B. La neutralisation de la portée du principe par le caractère inopérant du moyen
Cependant, après avoir posé ce principe, la cour en écarte radicalement l’application au cas d’espèce en ce qui concerne la légalité de l’arrêté attaqué. Elle juge que le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de l’expertise est « inopérant ». Pour parvenir à cette conclusion, le juge se fonde sur l’article L. 511-19 du code de la construction et de l’habitation, qui autorise l’autorité compétente, « en cas de danger imminent », à ordonner « par arrêté et sans procédure contradictoire préalable les mesures indispensables pour faire cesser ce danger ». La cour en déduit logiquement que si la loi permet de se dispenser de toute procédure contradictoire pour l’édiction de l’arrêté lui-même, un vice affectant une phase préparatoire, telle que l’expertise, ne peut a fortiori entacher sa légalité. L’argument est ainsi jugé sans pertinence pour la solution du litige. Cette dissociation entre la régularité de l’expertise et la validité de l’acte administratif final illustre une application rigoureuse de la hiérarchie des finalités en droit administratif : l’urgence et la sécurité publique priment sur le formalisme procédural.
II. La confirmation de la primauté de l’urgence sur les garanties procédurales
Au-delà de sa technicité juridique, la décision révèle une approche pragmatique de la police de la sécurité des édifices (A), dont la portée est cependant circonscrite par les faits de l’espèce et une motivation subsidiaire (B).
A. Une solution pragmatique au service de l’efficacité de la police administrative
Le raisonnement de la cour administrative d’appel s’inscrit dans une logique d’efficacité de l’action publique. La procédure de mise en sécurité pour péril imminent a pour unique objet de faire cesser rapidement un danger grave pour la sécurité des personnes. Subordonner la validité de l’arrêté à la régularité absolue d’une expertise, qui doit elle-même se dérouler dans un délai de vingt-quatre heures, reviendrait à introduire un facteur de fragilité juridique contraire à l’objectif poursuivi. En jugeant le moyen inopérant, la cour immunise l’arrêté de police contre une contestation fondée sur une phase amont, garantissant ainsi sa robustesse et son effet utile. Cette solution renforce les prérogatives de l’administration dans la gestion des situations d’urgence, en considérant que la protection de la vie et de la sécurité physique constitue un impératif supérieur qui justifie une dérogation au plein exercice du contradictoire à ce stade. La garantie des droits du propriétaire n’est pas pour autant anéantie, mais reportée à un stade ultérieur, celui du contentieux de pleine juridiction où la réalité du péril et la proportionnalité des mesures pourront être débattues.
B. La portée limitée de la décision confortée par une motivation subsidiaire
L’arrêt ne constitue vraisemblablement pas une décision de principe, mais plutôt une décision d’espèce dont la solution est fortement ancrée dans les faits. La cour prend d’ailleurs la précaution d’ajouter un motif subsidiaire, introduit par la formule « Au demeurant ». Elle relève que, même à supposer que le moyen ait été opérant, l’ordonnance du juge des référés n’avait pas à être notifiée à la requérante. En effet, celle-ci, bien que justifiant de sa qualité de propriétaire, n’apparaissait pas sur les documents de la publicité foncière au moment des faits, seul son compagnon y étant mentionné. La cour en conclut que l’administration n’était tenue de notifier l’acte qu’au propriétaire connu de ses services via le fichier immobilier. Cet ajout « en tout état de cause » démontre la volonté du juge de clore définitivement le litige en montrant que, même sous un autre angle d’analyse, la requête était vouée à l’échec. Cette double motivation tend à limiter la portée de l’affirmation principale sur le caractère inopérant du moyen, la solution étant également justifiée par une circonstance factuelle propre à l’affaire. La portée de l’arrêt s’en trouve ainsi relativisée, la solution étant consolidée par des éléments spécifiques à la cause.