La présente décision, rendue par une cour administrative d’appel le 3 avril 2025, offre une clarification significative quant aux modalités d’exercice du contrôle de légalité par le représentant de l’État sur les autorisations d’urbanisme tacites. En l’espèce, un particulier avait déposé une déclaration préalable en vue de changer la destination d’un bâtiment agricole en habitation. Le maire de la commune concernée avait initialement manifesté son opposition par un arrêté, mais cet acte n’avait pas été notifié au pétitionnaire dans le délai d’instruction d’un mois. Cette carence a eu pour effet de donner naissance à une décision tacite de non-opposition. Consciente de cette situation, l’autorité municipale a ultérieurement retiré son arrêté d’opposition et délivré une attestation confirmant l’existence du permis tacite. Le préfet, informé de cette autorisation par la transmission de ladite attestation, a alors formé un recours gracieux auprès du maire en vue d’obtenir le retrait de la décision, avant de saisir le tribunal administratif face au silence de la commune. Le tribunal administratif de Montpellier, par un jugement du 9 février 2023, a annulé l’autorisation tacite ainsi que le refus implicite du maire de la retirer. Le bénéficiaire de l’autorisation a interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que le déféré préfectoral était tardif, car le délai de recours aurait dû courir dès la transmission initiale du dossier de déclaration préalable aux services de l’État.
Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel de déterminer le point de départ du délai de recours contentieux dont dispose le préfet pour contester une autorisation d’urbanisme tacite, lorsque ce dernier n’a pas eu immédiatement connaissance de sa naissance. Secondairement, il s’agissait de confirmer si un recours gracieux, demandant le retrait d’une décision créatrice de droits au-delà du délai de trois mois, conservait son effet interruptif du délai de recours contentieux. La cour juge que le délai du déféré préfectoral ne commence à courir qu’à compter du jour où le représentant de l’État a été effectivement mis en mesure de connaître l’existence de la décision tacite. Elle confirme par ailleurs que le recours gracieux formé par le préfet dans le délai du déféré interrompt valablement ce dernier, quand bien même l’autorité compétente ne pourrait plus procéder au retrait de l’acte sans l’accord de son bénéficiaire.
L’analyse de cette décision révèle une approche pragmatique visant à garantir l’effectivité du contrôle de légalité (I), tout en réaffirmant la portée des prérogatives classiques dont dispose l’autorité préfectorale pour l’exercer (II).
I. La clarification des conditions d’exercice du contrôle de légalité
La cour apporte une solution nette à la question du point de départ du délai du déféré préfectoral en présence d’une autorisation tacite. Elle écarte une conception formaliste de ce délai (A) pour consacrer une solution fondée sur la connaissance effective de l’acte par l’autorité de contrôle (B).
A. Le rejet d’un point de départ formaliste du délai de recours
Le requérant soutenait que le délai de deux mois imparti au préfet pour déférer l’acte aurait dû débuter soit à la transmission du dossier de déclaration, soit à l’expiration du délai d’instruction. Cette thèse s’appuie sur une lecture littérale des textes qui lient le caractère exécutoire de l’acte et sa transmission au représentant de l’État. Toutefois, la cour écarte ce raisonnement qui aurait pour conséquence de faire courir un délai de recours contre une autorité qui ignore légitimement l’existence même de la décision qu’elle devrait contester. En l’espèce, le préfet avait reçu un arrêté d’opposition explicite, ce qui le conduisait logiquement à considérer que le projet n’était pas autorisé. L’absence de mention de la date de notification de cet arrêté ne pouvait suffire à alerter ses services sur la naissance d’une décision implicite contraire.
Admettre la thèse du requérant reviendrait à priver le contrôle de légalité de toute substance dans des situations complexes où la naissance de l’autorisation résulte d’une erreur de procédure de l’autorité locale. La cour refuse de faire peser sur le préfet une obligation de vigilance qui s’apparenterait à une recherche systématique d’éventuelles décisions implicites nées en dépit d’actes explicites contraires. Une telle charge paralyserait l’exercice de sa mission de contrôle.
B. La consécration de la connaissance effective comme fait générateur
En réponse à cette approche formaliste, la cour juge que le délai n’a pu commencer à courir qu’à la date à laquelle le préfet a été informé de l’existence de l’autorisation tacite. Elle retient la date de réception du certificat de non-opposition délivré par le maire, qui a formellement porté l’information à la connaissance des services de l’État. Ainsi, la cour énonce que « le délai imparti à cette autorité pour déférer la décision tacite de non-opposition en litige devant le tribunal administratif de Montpellier n’a donc commencé à courir que le 27 août 2020 ».
Cette solution assure la pleine portée du contrôle de légalité en le conditionnant à une information effective de l’autorité qui l’exerce. Elle s’inscrit dans la logique générale des règles de procédure contentieuse qui protègent le droit au recours en liant le départ des délais à la notification de la décision aux intéressés. La cour transpose ce principe au déféré préfectoral, considérant que le représentant de l’État ne peut être privé de son droit d’agir par une simple fiction juridique. Le point de départ du délai est ainsi apprécié de manière concrète, garantissant que le préfet dispose bien de la totalité du délai de deux mois à compter du moment où il a les moyens d’agir.
II. La portée maintenue des prérogatives préfectorales
Une fois le point de départ du délai de recours fixé, la cour examine la validité de son interruption. Elle confirme sans ambiguïté la faculté pour le préfet d’utiliser le recours gracieux pour proroger son délai d’action (A), ce qui conduit logiquement au rejet des prétentions du requérant, qui omettait par ailleurs de contester le fond de l’illégalité (B).
A. La confirmation de l’effet interruptif du recours gracieux
L’appelant contestait la qualification de recours gracieux de la lettre adressée par le préfet au maire, au motif que ce courrier rappelait la nécessité d’obtenir l’accord du bénéficiaire pour retirer l’autorisation. La cour rejette fermement cet argument en se fondant sur les termes mêmes de la lettre. Celle-ci indiquait explicitement viser à « éviter de saisir le juge administratif » et demandait le retrait de la décision. Cette intention non équivoque suffit à caractériser le recours gracieux.
La cour juge que la mention des contraintes juridiques pesant sur le maire, à savoir l’application de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme sur le retrait des autorisations, « n’est pas de nature à faire perdre son caractère de recours gracieux à cette lettre, laquelle a ainsi valablement prorogé le délai de recours contentieux imparti au préfet ». Cette précision est importante car elle conforte la stratégie du préfet qui peut, par un seul et même courrier, inviter une commune à purger une illégalité tout en préservant son propre délai pour saisir la justice si sa demande n’est pas suivie d’effet. Le recours gracieux demeure un outil de dialogue et de gestion du contentieux, même lorsque les conditions de retrait de l’acte par son auteur sont devenues plus strictes avec le temps.
B. L’issue inéluctable du rejet en l’absence de contestation sur le fond
La démonstration rigoureuse de la cour sur les questions de recevabilité rendait l’issue du litige prévisible. Le déféré préfectoral ayant été jugé recevable, l’examen de la légalité de l’autorisation tacite pouvait avoir lieu. Or, la cour relève que le requérant ne contestait plus en appel le bien-fondé des motifs d’annulation retenus par les premiers juges, à savoir la méconnaissance des règles du plan local d’urbanisme et du plan de prévention des risques d’inondation.
Le litige en appel était donc exclusivement centré sur des moyens de procédure, sans que la légalité substantielle de l’acte soit remise en cause. Une fois les fins de non-recevoir écartées, l’appel ne pouvait qu’être rejeté. Cette décision, si elle est une décision d’espèce quant à l’illégalité intrinsèque de l’autorisation de construire, possède une portée plus générale. Elle rappelle aux justiciables que la complexité des règles de procédure administrative ne saurait faire obstacle à l’examen au fond de la légalité des actes administratifs, et réaffirme la place centrale du contrôle de légalité exercé par le représentant de l’État pour assurer le respect du droit de l’urbanisme.