Cour d’appel administrative de Toulouse, le 27 mai 2025, n°23TL02031

Par un arrêt en date du 27 mai 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur l’engagement de la garantie décennale des constructeurs dans le cadre d’un marché public de travaux. En l’espèce, un maître d’ouvrage public avait entrepris la construction d’une école maternelle, dont la réception fut prononcée en 2006. Postérieurement, des infiltrations d’eau récurrentes, survenant lors d’épisodes pluvieux importants, sont apparues au niveau de la toiture du bâtiment. Le maître d’ouvrage a alors recherché la responsabilité des différents intervenants à l’opération de construction, à savoir le groupement de maîtrise d’œuvre, l’entreprise chargée du lot couverture ainsi que le contrôleur technique. Le tribunal administratif saisi en première instance avait rejeté la demande, estimant que les désordres ne revêtaient pas un caractère de gravité décennale. Le maître d’ouvrage a interjeté appel de ce jugement, tandis que les constructeurs mis en cause ont formé des appels en garantie les uns contre les autres afin de voir déterminer la répartition de la charge finale des indemnisations. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si des infiltrations d’eau, bien qu’intermittentes, affectant l’étanchéité d’un bâtiment public et la sécurité de ses occupants, constituaient un désordre de nature décennale rendant l’ouvrage impropre à sa destination, même en l’absence d’un effondrement avéré ou d’une interdiction d’accès. Il lui appartenait également de se prononcer sur les principes de répartition des responsabilités entre les différents participants à l’acte de construire. La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance, consacrant le caractère décennal des désordres. Elle a jugé que le risque évolutif des infiltrations et la destination spécifique de l’ouvrage, destiné à accueillir en toute sécurité de jeunes enfants, suffisaient à caractériser l’impropriété à la destination. En conséquence, la juridiction d’appel a retenu la responsabilité solidaire des constructeurs envers le maître d’ouvrage, avant de procéder à une ventilation de la charge de la réparation en fonction des fautes respectives commises lors des phases de conception, d’exécution et de contrôle des travaux.

L’appréciation extensive de l’impropriété à la destination opérée par la cour vient confirmer l’objectif protecteur de la garantie décennale (I), tandis que la ventilation des responsabilités qu’elle opère offre une illustration pédagogique des obligations propres à chaque intervenant (II).

I. La consécration d’une conception extensive de l’impropriété à la destination

La cour administrative d’appel, pour retenir le caractère décennal des désordres, s’appuie sur une analyse à la fois prospective du dommage et fonctionnelle de l’usage de l’ouvrage. Elle rappelle ainsi le rôle de la notion de désordre évolutif (A) avant de la confronter à la destination spécifique des lieux (B).

A. La confirmation du critère du désordre à caractère évolutif

Le juge administratif rappelle que la garantie décennale peut être engagée alors même que le désordre ne s’est pas manifesté dans toute son ampleur avant l’expiration du délai d’épreuve. La seule certitude que le vice constaté est susceptible de s’aggraver pour atteindre le seuil de gravité requis suffit. En l’espèce, la cour constate que les infiltrations, apparues dès 2008, étaient récurrentes et affectaient des éléments structurels. Elle estime que ces défauts d’étanchéité « sont, dans un délai prévisible, eu égard à leur importance et à leur caractère évolutif, de nature à porter atteinte à la solidité de l’ouvrage et à le rendre impropre à sa destination ». Cette solution n’est pas nouvelle, mais elle confirme avec clarté que la menace prévisible d’une atteinte à la solidité ou à la destination de l’ouvrage suffit à mobiliser la garantie des constructeurs. Le juge se livre à une projection dans le temps pour évaluer les conséquences futures d’un désordre présent, ce qui assure une protection efficace au maître d’ouvrage face à des dégradations progressives.

B. L’appréciation fonctionnelle de l’impropriété à la destination

Au-delà du caractère évolutif, la cour ancre son raisonnement dans la finalité même de l’édifice public. Elle juge en effet que l’impropriété à la destination doit s’évaluer concrètement, au regard de l’usage qui est fait de l’ouvrage. S’agissant d’un établissement scolaire, la sécurité des usagers devient un critère déterminant. La cour souligne ainsi que les locaux « ont vocation à accueillir des élèves de maternelle en toute sécurité et sans risque d’effondrement des faux-plafonds gorgés d’eau par capillarité ». Par cette motivation, le juge confère une portée particulière à l’obligation de résultat qui pèse sur les constructeurs. Le simple fait que la sécurité des occupants, particulièrement vulnérables, ne soit plus absolument garantie suffit à rendre l’ouvrage impropre à sa fonction première. La circonstance, opposée en défense, que l’école n’avait jamais été fermée est logiquement écartée comme étant « sans incidence sur la caractérisation des désordres », la potentialité du risque primant sur sa réalisation effective.

II. La répartition pédagogique des responsabilités entre les acteurs de la construction

Après avoir admis le principe de la responsabilité décennale, la cour procède à une analyse détaillée des fautes de chaque intervenant pour répartir la charge de l’indemnisation. Cette ventilation illustre la complémentarité des fautes dans la réalisation du dommage (A) et aboutit à un partage dont la logique réaffirme les devoirs de chacun (B).

A. La convergence des manquements dans la conception, l’exécution et le contrôle

La décision met en lumière une chaîne de défaillances. La responsabilité du groupement de maîtrise d’œuvre est d’abord lourdement engagée pour avoir fait « un choix constructif complexe » sans pour autant « réaliser les études d’exécution et les notes de calcul nécessaires au dimensionnement correct » des ouvrages d’évacuation des eaux. Ensuite, l’entreprise chargée de la couverture est fautive pour avoir exécuté les travaux sans respecter les règles de l’art et sans exercer son devoir d’alerte en tant que « professionnelle avertie » face à la complexité technique du projet et à l’absence de plans détaillés. Enfin, le contrôleur technique voit sa responsabilité retenue car, bien qu’investi d’une mission de contrôle incluant « le couvert et la technique de couverture utilisée », il a émis un avis favorable sur la base d’informations parcellaires et n’a pas décelé les multiples malfaçons. Le dommage final apparaît ainsi comme le produit de fautes distinctes mais convergentes, où la défaillance de chaque intervenant a permis ou aggravé celle des autres.

B. Une clé de répartition fondée sur le rôle causal de chaque faute

La cour partage la responsabilité à hauteur de 60 % pour le groupement de maîtrise d’œuvre, 30 % pour l’entreprise de couverture et 10 % pour le contrôleur technique. Cette hiérarchie n’est pas fortuite. Elle sanctionne le plus sévèrement la maîtrise d’œuvre, qui se trouve à l’origine de la conception défaillante et qui était chargée de la direction des travaux, ce qui lui confère un rôle pivot. Le poids de 30 % imputé à l’exécutant rappelle qu’une entreprise ne peut se retrancher derrière les carences de la maîtrise d’œuvre et doit assumer une obligation propre de conseil et de bonne exécution. La part de 10 % attribuée au contrôleur technique, bien que minoritaire, signifie que sa mission n’est pas purement formelle et qu’il engage sa responsabilité lorsqu’il ne détecte pas des manquements essentiels relevant de son périmètre de contrôle. Enfin, au sein même du groupement de maîtrise d’œuvre, la cour répartit la charge à parts égales entre l’architecte et le bureau d’études, au motif qu’en l’absence de répartition contractuelle claire des tâches, ils sont réputés avoir « concouru à parts égales aux manquements imputables à la maîtrise d’œuvre ».

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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