Par un arrêt en date du 18 mars 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conséquences juridiques du refus d’une commune de formaliser par acte authentique une servitude de passage qu’elle avait préalablement consentie par une délibération.
En l’espèce, un particulier avait acquis une parcelle en 2014, sur laquelle il a édifié une maison d’habitation. Pour le raccordement de cette dernière au réseau d’assainissement collectif, la commune avait autorisé en 2015 l’installation d’une canalisation dans le tréfonds d’une parcelle communale. Par une délibération du 10 octobre 2016, le conseil municipal avait consenti à la constitution d’une servitude de passage à titre perpétuel et gratuit sur la parcelle communale, au profit du fonds du particulier. Plusieurs années après, face à l’absence de formalisation de cet accord, le propriétaire a demandé à la commune, par une lettre du 26 avril 2020, de faire établir l’acte authentique nécessaire. Le silence gardé par la commune a fait naître une décision implicite de rejet.
Saisi par le propriétaire, le tribunal administratif de Nîmes, par un jugement du 7 février 2023, a annulé cette décision implicite, enjoint à la commune de constituer la servitude, et l’a condamnée à verser une indemnité de 1 000 euros en réparation du préjudice moral. La commune a interjeté appel de ce jugement, tandis que le propriétaire a formé un appel incident pour obtenir une indemnisation supérieure. Postérieurement au jugement de première instance, le propriétaire a divisé son fonds en deux parcelles et a vendu celle sur laquelle la maison était édifiée. En conséquence, le conseil municipal a, par une délibération du 11 décembre 2023, abrogé sa délibération de 2016 et approuvé la constitution d’une nouvelle servitude au profit des nouveaux acquéreurs.
Il convenait de déterminer dans quelle mesure des changements de circonstances de fait et de droit postérieurs à la décision des premiers juges pouvaient affecter l’objet du litige en appel. Se posait également la question de savoir si l’illégalité commise par une commune en refusant d’exécuter une de ses délibérations engageait sa responsabilité en l’absence de preuve d’un préjudice direct et certain.
La cour administrative d’appel juge qu’il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions relatives à l’annulation de la décision de rejet et à l’injonction, le litige étant devenu sans objet. Elle annule par ailleurs le jugement en ce qu’il avait accordé une indemnité au requérant, considérant qu’aucun préjudice direct et certain n’était établi.
L’évolution des circonstances de fait et de droit a ainsi conduit le juge d’appel à constater la disparition de l’objet du litige initial (I), tout en rappelant que l’engagement de la responsabilité administrative reste subordonné à la preuve d’un préjudice certain (II).
I. La neutralisation du litige par l’évolution des circonstances de fait et de droit
Le juge d’appel a tiré toutes les conséquences des événements survenus après le jugement de première instance, ce qui a entraîné la disparition de l’objet du litige (A) et a permis de réaffirmer la nature réelle de la servitude (B).
A. La disparition de l’objet du litige
Le juge administratif, statuant en appel, se prononce sur la situation de fait et de droit existante à la date de son propre arrêt. En l’espèce, plusieurs événements majeurs ont modifié la substance même du litige. Le fonds dominant initial a été divisé, puis la parcelle bénéficiant de la servitude a été cédée à des tiers. Surtout, la commune a adopté une nouvelle délibération le 11 décembre 2023, qui a formellement abrogé celle du 10 octobre 2016 sur laquelle se fondait la demande du requérant initial.
En conséquence, la décision implicite de rejet attaquée, qui refusait d’exécuter la délibération de 2016, a perdu sa raison d’être. La cour considère que cette décision « doit être regardée comme ayant définitivement disparu de l’ordonnancement juridique sans avoir reçu un commencement d’exécution ». Cette analyse repose sur une jurisprudence constante selon laquelle le retrait ou l’abrogation d’un acte administratif contesté, lorsque cette abrogation est devenue définitive et que l’acte n’a pas été exécuté, prive le recours pour excès de pouvoir de son objet. L’intervention de la nouvelle délibération et la cession du bien ont rendu sans objet la demande du propriétaire initial, justifiant ainsi le non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d’annulation et d’injonction.
B. La consécration du caractère réel et non personnel de la servitude
Au-delà de l’aspect procédural, la cour rappelle la nature fondamentale d’une servitude. Citant les articles 637 et 686 du code civil, elle souligne qu’une servitude est une charge imposée non pas à une personne, mais « seulement à un fonds et pour un fonds ». Le droit ainsi constitué est un droit réel immobilier, attaché à la propriété du fonds dominant et non à la personne qui en est propriétaire à un instant T.
Cette précision est essentielle, car elle explique pourquoi la demande du requérant initial, après la vente de son bien, ne pouvait plus prospérer. N’étant plus propriétaire du fonds dominant, il ne pouvait plus exiger personnellement la formalisation d’une servitude au profit d’un bien qui ne lui appartenait plus. La cour valide ainsi implicitement la démarche de la commune qui, par sa délibération de 2023, a régularisé la situation au profit des nouveaux propriétaires, véritables titulaires actuels du droit sur le fonds dominant. La solution de l’arrêt est donc parfaitement cohérente avec la nature réelle de la servitude, qui suit le fonds en quelques mains qu’il passe.
II. L’exigence d’un préjudice certain comme condition de la responsabilité administrative
Bien que l’illégalité commise par l’administration ait pu constituer une faute (A), le juge d’appel rejette toute indemnisation, faute de préjudice établi (B), rappelant ainsi les conditions strictes de l’engagement de la responsabilité publique.
A. La reconnaissance d’une illégalité fautive de l’administration
En principe, « toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité ». Dans cette affaire, le refus implicite de la commune de donner suite à la demande de formalisation de la servitude, en exécution de sa propre délibération créatrice de droits de 2016, était bien constitutif d’une illégalité fautive. Le tribunal administratif avait d’ailleurs fondé sa condamnation initiale sur cette faute.
La cour d’appel ne remet pas en cause ce principe. L’abstention de l’autorité municipale à prendre les mesures nécessaires pour mettre en œuvre une décision de son organe délibérant est une carence qui engage sa responsabilité. Cependant, l’existence d’une faute n’est pas suffisante en soi pour ouvrir droit à réparation. La victime doit encore prouver l’existence d’un préjudice direct et certain, ainsi qu’un lien de causalité entre ce préjudice et la faute. C’est sur ce point que la solution d’appel diverge fondamentalement de celle des premiers juges.
B. Le rejet de l’indemnisation en l’absence de préjudice établi
La cour procède à une analyse rigoureuse des préjudices invoqués par le requérant. Elle constate d’abord que le refus de formaliser l’acte authentique n’a pas privé le propriétaire de l’usage de sa servitude. En effet, la canalisation était en place et fonctionnelle depuis 2015, et il est constant que le requérant a « continûment bénéficié du service rendu par ce droit réel immobilier ». L’absence de publication de l’acte authentique n’avait pour conséquence que de rendre la servitude inopposable aux tiers, non de la priver d’effet entre les parties.
Ensuite, le juge relève que le requérant n’apporte la preuve d’aucun préjudice matériel ou moral certain. Il n’est pas démontré que des tiers ou la commune auraient entravé sa jouissance. De plus, lors de la vente de son bien, non seulement il n’allègue pas avoir subi une moins-value, mais l’acte de vente mentionne que « le bien est raccordé au réseau d’assainissement collectif ». Les troubles dans les conditions d’existence et le préjudice moral ne sont donc pas établis, car ils ne découlent pas de manière directe et certaine de la seule absence de formalisme notarié. En annulant la condamnation pécuniaire prononcée en première instance, la cour fait une application orthodoxe des conditions de la responsabilité administrative.