Cour d’appel administrative de Paris, le 21 mai 2025, n°24PA00347

Par un arrêt en date du 21 mai 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les modalités d’interruption de la prescription de l’action en recouvrement d’une créance fiscale. En l’espèce, une société civile immobilière a fait l’objet de cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour les années 2008 à 2010, mis en recouvrement en 2012. L’administration fiscale, après avoir interrompu une première fois le délai de prescription par des avis à tiers détenteur en 2013 et 2017, a émis de nouvelles poursuites en 2022. La société a contesté ces dernières, soutenant que l’action en recouvrement était prescrite.

Le tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 28 novembre 2023, a donné raison à la société. Les premiers juges ont estimé qu’une mise en demeure de payer, expédiée le 7 février 2020 à la dernière adresse connue de la société, n’avait pas été régulièrement notifiée car le pli était revenu avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse ». Par conséquent, le délai de prescription n’avait pas été interrompu et l’action de l’administration était éteinte au moment des poursuites de 2022. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a interjeté appel de ce jugement, arguant que la notification de la mise en demeure de 2020 était régulière et avait valablement interrompu la prescription.

La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer à qui, de l’administration ou du contribuable, incombe la charge de la preuve des raisons de l’échec de la distribution d’un acte de poursuite, lorsque celui-ci a été expédié à la dernière adresse communiquée par le redevable.

La cour administrative d’appel censure le raisonnement des premiers juges et donne raison à l’administration fiscale. Elle juge qu’il appartient au contribuable, qui soutient que la non-distribution d’un pli régulièrement adressé procède d’un dysfonctionnement des services postaux, d’apporter un commencement de preuve de son affirmation. En l’absence d’une telle preuve, la notification est réputée régulière et l’acte de poursuite produit son effet interruptif de prescription. La cour considère que la société ne démontrait pas avoir accompli les diligences nécessaires pour recevoir son courrier à l’adresse indiquée, rendant l’échec de la distribution imputable à sa propre négligence.

I. La validité de la notification de l’acte de poursuite comme condition de l’interruption de la prescription

A. L’obligation pour l’administration de notifier à la dernière adresse connue

Le recouvrement des créances fiscales est enserré dans des délais stricts, notamment le délai de prescription de quatre ans prévu par l’article L. 274 du livre des procédures fiscales. Pour interrompre ce délai, le comptable public doit accomplir un acte de poursuite régulier, lequel doit être porté à la connaissance effective ou du moins présumée du contribuable. La régularité de la procédure de notification constitue ainsi un enjeu majeur, car une notification viciée ne peut interrompre la prescription et peut entraîner l’extinction de la créance de l’État. La jurisprudence administrative rappelle de manière constante que l’administration remplit son obligation en adressant les actes à la dernière adresse que le redevable a portée à sa connaissance.

En l’espèce, la cour rappelle ce principe fondamental. L’administration fiscale avait adressé la mise en demeure du 7 février 2020 à l’adresse que la société lui avait officiellement communiquée. Cette démarche suffisait, en principe, à établir la régularité de l’envoi initial. La cour ne remet pas en cause cette première étape du raisonnement, qui correspond à une application classique des règles gouvernant les notifications en matière fiscale. Le litige ne portait pas sur le choix de l’adresse par l’administration, mais sur les conséquences juridiques à tirer du retour du pli avec la mention « destinataire inconnu à cette adresse ».

B. La présomption de notification en cas de défaillance imputable au redevable

La difficulté survient lorsque le pli, bien qu’envoyé à la bonne adresse, n’est pas distribué. Le livre des procédures fiscales, en son article R. 256-7, dispose que la notification est réputée faite « lorsque la lettre recommandée n’a pu être distribuée du fait du redevable ». La cour fait une application directe de cette disposition en considérant que le simple retour du pli n’est pas suffisant pour conclure à une irrégularité de la notification. Il faut encore déterminer la cause de cet échec de distribution. C’est sur ce point que l’arrêt se montre particulièrement éclairant, en liant la présomption de notification à une analyse de la diligence du contribuable.

La décision commentée établit que le retour d’un courrier avec la mention « destinataire inconnu » à une adresse pourtant correcte fait peser une présomption de négligence sur le redevable. La cour considère que, faute pour la société de prouver le contraire, la non-distribution lui est imputable. Elle affirme ainsi que la société « n’est ainsi pas fondée à soutenir que la prescription de quatre ans […] n’aurait pas été interrompue par la notification de la mise en demeure du 7 février 2020 ». En validant la notification, la cour confirme que la prescription a bien été interrompue et que l’action en recouvrement demeurait possible en 2022.

II. Le renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable

A. L’exigence probatoire d’une diligence minimale du contribuable

La portée principale de cet arrêt réside dans la clarification de la charge de la preuve. Alors que le tribunal administratif avait implicitement fait peser sur l’administration la responsabilité de l’échec de la notification, la cour d’appel adopte la solution inverse. Elle juge qu’il revient au contribuable qui se prévaut d’un dysfonctionnement postal de le démontrer. Le simple fait d’affirmer que l’adresse était correcte au moment de l’envoi est insuffisant. La cour exige du redevable un rôle actif dans l’administration de la preuve.

La décision est remarquable par le degré de précision des preuves attendues du contribuable. La cour souligne que la société « n’apporte aucun commencement de preuve de cette affirmation et notamment pas la preuve que sa dénomination « SCI CC » apparaitrait sur la boite aux lettres du 83 rue Quincampoix ou encore qu’elle aurait reçu d’autres courriers à cette adresse à cette époque ». Ce faisant, elle ne se contente pas d’une exigence théorique, mais fournit des exemples concrets de diligences attendues : une identification claire sur la boîte aux lettres ou la production d’autres courriers reçus. Cette approche pragmatique renforce considérablement la position de l’administration dans les situations similaires.

B. Une solution d’espèce renforçant la sécurité du recouvrement fiscal

Cet arrêt, bien que fondé sur une appréciation souveraine des faits, revêt une portée pratique indéniable. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence, mais plutôt d’une confirmation ferme d’une logique préexistante qui vise à responsabiliser le contribuable dans ses relations avec l’administration fiscale. En exigeant du redevable qu’il assure les conditions matérielles de réception de son courrier, la cour prévient les manœuvres dilatoires ou les arguments fondés sur une négligence passive. La solution adoptée a le mérite de sécuriser les procédures de recouvrement.

Toutefois, cette décision est avant tout une décision d’espèce, dont la solution est étroitement liée à l’absence totale de preuve apportée par la société. Si cette dernière avait produit ne serait-ce qu’un commencement de preuve de sa diligence, l’issue du litige aurait pu être différente. L’arrêt constitue donc moins un principe absolu qu’un avertissement adressé aux contribuables : face à un échec de notification, leur inaction probatoire profitera systématiquement à l’administration fiscale, consolidant ainsi l’efficacité de l’action en recouvrement.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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