Cour d’appel administrative de Paris, le 21 mai 2025, n°23PA04799

Par un arrêt en date du 21 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Paris se prononce sur la régularité de plusieurs redressements fiscaux notifiés à une société tête d’un groupe fiscalement intégré. Cette décision offre une illustration précise de l’application par le juge de l’impôt des principes encadrant la déductibilité des charges et la notion d’acte anormal de gestion.

Une société a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2011 à 2013, à l’issue de laquelle l’administration fiscale a procédé à divers rehaussements. Ces derniers portaient notamment sur la rémunération de plusieurs dirigeants jugée excessive, sur la constitution d’une provision pour risque contentieux, sur la déductibilité de multiples frais généraux et sur deux opérations qualifiées d’actes anormaux de gestion. Saisi par la société, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge des impositions supplémentaires par un jugement du 20 septembre 2023. La société a alors interjeté appel de cette décision, contestant point par point le bien-fondé des rectifications opérées par le service vérificateur.

Il était donc demandé à la Cour administrative d’appel de déterminer si l’administration était fondée à réintégrer au résultat imposable de la société les charges et les manques à gagner litigieux. Le problème de droit central consistait à apprécier, au regard des justifications fournies par la contribuable, si les dépenses engagées relevaient d’une gestion commerciale normale et si les opérations réalisées n’avaient pas pour effet d’appauvrir la société à des fins étrangères à son intérêt. La Cour rejette l’ensemble des moyens soulevés par la requérante, confirmant ainsi la position de l’administration et le jugement de première instance.

La décision illustre le contrôle rigoureux exercé par le juge fiscal sur la déductibilité des charges d’exploitation, qu’il s’agisse des rémunérations ou des frais généraux (I), avant de confirmer avec la même rigueur la sanction des actes traduisant un appauvrissement de l’entreprise sans contrepartie pour celle-ci (II).

I. Le contrôle rigoureux de la déductibilité des charges d’exploitation

La Cour confirme la position de l’administration fiscale en exerçant un contrôle strict sur le bien-fondé des charges déduites par l’entreprise, rappelant sa jurisprudence constante tant sur le caractère excessif de certaines rémunérations (A) que sur l’absence de justification d’autres frais et provisions (B).

A. Le rejet classique d’une rémunération excessive et non justifiée

En matière de rémunération des dirigeants, la Cour rappelle la règle posée par l’article 39 du code général des impôts, selon laquelle « les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l’importance du service rendu ». L’arrêt met en évidence la charge de la preuve qui incombe à l’entreprise. En l’espèce, la société se bornait à des affirmations générales sur l’implication de ses dirigeants, sans fournir de preuves tangibles du travail effectivement accompli, alors même que le service vérificateur en avait fait la demande.

La Cour valide la méthode de l’administration qui a comparé les rémunérations litigieuses à celles d’un panel d’entreprises exerçant une activité similaire. Cette comparaison a révélé un écart significatif, confortant l’analyse du caractère excessif. De surcroît, le juge a pris soin de confronter le niveau des salaires à l’évolution de l’activité de l’entreprise, relevant une « baisse continue et importante du chiffre d’affaires au cours des trois exercices en cause ». La tentative de la société de requalifier son activité principale en celle de marchand de biens, pour justifier des rémunérations plus élevées, est écartée, le faible nombre de transactions immobilières sur la période ne permettant pas d’étayer cette prétention.

B. L’appréciation stricte du caractère déductible des provisions et frais généraux

Au-delà des seules rémunérations, la Cour étend sa censure à d’autres charges dont le lien avec l’intérêt de l’exploitation n’était pas démontré. S’agissant d’une provision pour risque de contentieux, elle applique avec rigueur les conditions de l’article 39 du code général des impôts. Une provision n’est déductible que si le risque est rendu probable par des « événements en cours » à la clôture de l’exercice. Or, en l’espèce, les principaux éléments invoqués par la société, notamment un courrier préfectoral faisant état d’un risque de réquisition, étaient postérieurs à la date de clôture. Les autres pièces, antérieures, n’étaient pas jugées suffisantes pour établir la probabilité du risque en l’absence de toute démarche de la part de l’acquéreur.

De même, le juge a confirmé le rejet de la déduction de divers frais liés à des véhicules, des locations d’avions ou des frais de réception. Face à l’absence de production de justificatifs précis lors du contrôle puis devant le juge, la Cour conclut que la société ne démontre pas que les dépenses en cause « présenteraient un lien avec l’intérêt de son exploitation ». Cette position réaffirme que des affirmations générales ne sauraient suffire à justifier du caractère professionnel d’une dépense.

II. La sanction de l’appauvrissement de l’entreprise par des actes de gestion anormaux

L’arrêt se prononce également sur la notion d’acte anormal de gestion, qui permet à l’administration de corriger des opérations qui, bien que réelles, contreviennent à l’intérêt de l’entreprise. La Cour approuve la réintégration d’une libéralité résultant d’une vente à prix minoré (A) et confirme le caractère anormal d’avances sans intérêts consenties à une filiale, y compris dans le cadre d’un groupe fiscalement intégré (B).

A. La caractérisation de l’acte anormal de gestion lors d’une cession d’actif à prix minoré

La Cour rappelle la définition de l’acte anormal de gestion comme étant « l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt ». En l’espèce, la vente d’un appartement à un salarié pour un prix significativement inférieur à sa valeur de marché a été qualifiée comme tel. L’administration avait établi cette valeur vénale par une méthode de comparaison avec des biens similaires, méthode que le juge a estimée probante et circonstanciée.

Face à cette démonstration, la société a tenté de contester l’évaluation par des expertises alternatives. La Cour les a toutefois écartées, jugeant leur pertinence insuffisante. Elle a notamment relevé que les biens de comparaison retenus par l’expert de la société étaient moins pertinents et que les abattements proposés dans une autre note se fondaient sur des considérations trop générales ou postérieures à la vente. La production d’un constat d’huissier près de dix ans après la cession pour prouver le mauvais état du bien est logiquement jugée inopérante. Faute pour la société de justifier d’une contrepartie à cet appauvrissement, la qualification d’acte anormal de gestion est donc retenue.

B. La confirmation du caractère anormal des avances sans intérêts au sein d’un groupe fiscalement intégré

Enfin, l’arrêt aborde la question des avances sans intérêts consenties à des sociétés filiales. Le principe est qu’une telle avance constitue un acte anormal de gestion, sauf si l’entreprise prêteuse peut justifier d’un intérêt propre à cette opération. En l’espèce, la société ne contestait la réintégration des intérêts non perçus que pour les avances consenties à une filiale membre du même groupe fiscal intégré. Elle soutenait que ces avances devaient être analysées comme des subventions indirectes, neutralisées pour le calcul du résultat d’ensemble.

La Cour rejette ce raisonnement en rappelant une règle fondamentale du régime de l’intégration fiscale. Elle précise que « l’option pour le régime dit de « l’intégration fiscale » ne dispense pas chacune des sociétés du groupe fiscal intégré de déterminer son résultat dans les conditions de droit commun ». Les retraitements propres au régime de groupe, comme la neutralisation des subventions, n’interviennent que pour la détermination du résultat d’ensemble, après que chaque société a déterminé son propre résultat fiscal. L’avantage consenti par la société mère, constitutif d’un acte anormal de gestion, devait donc bien être réintégré dans son résultat individuel, sans que le régime de groupe ne puisse y faire échec.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture