Cour d’appel administrative de Paris, le 19 mars 2025, n°24PA00052

Un litige opposait une société marchande de biens à l’administration fiscale au sujet de rappels de taxe sur la valeur ajoutée. L’entreprise avait fait appel à un prestataire établi à Saint-Barthélemy pour une mission liée à la vente d’un bien immobilier situé à Paris. Estimant que cette prestation de services se rattachait à un immeuble en France, l’administration avait exigé de la société française qu’elle autoliquide la taxe sur la valeur ajoutée correspondante. La société contestait cette analyse, soutenant que la prestation avait été entièrement réalisée hors de France et, subsidiairement, que la taxe, si elle était due, devait être déductible. Le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société par un jugement du 8 novembre 2023. La société a alors interjeté appel de cette décision. Il revenait donc à la Cour administrative d’appel de Paris, dans son arrêt du 19 mars 2025, de déterminer si une prestation de recherche d’acquéreurs et de négociation commerciale, effectuée par un prestataire étranger pour un bien immobilier situé en France, doit être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée française par le mécanisme de l’autoliquidation. Il lui fallait également examiner si, le cas échéant, cette taxe pouvait ouvrir droit à déduction pour l’entreprise preneuse lorsque le bien immobilier concerné n’est pas affecté à des opérations soumises à la taxe. La cour a jugé que la prestation présentait un lien direct avec l’immeuble français, ce qui justifiait l’autoliquidation de la taxe par la société preneuse. Elle a cependant refusé le droit à déduction, au motif que l’immeuble n’était pas utilisé pour des opérations imposables.

L’analyse de la Cour administrative d’appel confirme une application rigoureuse des règles de territorialité de la taxe sur la valeur ajoutée, liant fermement la prestation au lieu de situation de l’immeuble. Cette approche justifie l’exigibilité de la taxe en France (I), mais elle conduit logiquement, dans les circonstances de l’espèce, à refuser toute possibilité de déduction de cette même taxe (II).

I. L’exigibilité justifiée de la taxe en France

La solution retenue par la cour repose sur une caractérisation factuelle de la prestation qui emporte l’application du critère spécial de territorialité des services immobiliers. L’analyse des faits permet de rattacher le service à l’immeuble (A), déclenchant ainsi l’obligation d’autoliquidation pour le preneur français (B).

A. La qualification d’une prestation de services se rattachant à un bien immeuble

La Cour administrative d’appel fonde son raisonnement sur les dispositions de l’article 259 A du code général des impôts. Ce texte déroge au principe général de localisation des prestations de services entre assujettis en prévoyant que le lieu des services se rattachant à un bien immeuble est situé en France lorsque l’immeuble s’y trouve. En l’espèce, la société requérante soutenait que la prestation de son cocontractant, domicilié à Saint-Barthélemy, consistait uniquement en une recherche d’acquéreurs réalisée hors de France. La cour écarte cet argument en s’appuyant sur l’intitulé même de la facture litigieuse, laquelle mentionnait des « négociations avec les occupants des lots, mise en relation » et des « négociations commerciales » relatives à l’immeuble parisien. Pour la cour, ces éléments suffisent à établir que la prestation « doit être regardée comme présentant un lien direct avec l’immeuble de la rue de Surène, qui en constitue un élément central et indispensable ». Cette approche pragmatique, centrée sur la réalité économique de l’opération et les pièces du dossier, est conforme à la jurisprudence constante qui exige un lien suffisamment direct entre le service et le bien immobilier. Le juge administratif se refuse à dissocier artificiellement les différentes composantes d’une mission commerciale unique visant la cession d’un bien précisément identifié sur le territoire national.

B. L’application conséquente du mécanisme de l’autoliquidation

Une fois la prestation localisée en France, son régime de taxation découle logiquement des dispositions de l’article 283 du code général des impôts. Ce dernier prévoit que lorsque le prestataire est un assujetti établi hors de France, la taxe est acquittée par le preneur assujetti en France. Ce mécanisme, dit d’autoliquidation, vise à assurer le recouvrement effectif de l’impôt pour les opérations réalisées par des opérateurs étrangers. Dans le cas présent, la société prestataire étant établie à Saint-Barthélemy, une collectivité d’outre-mer assimilée à un territoire tiers pour l’application de la taxe sur la valeur ajoutée, et la société preneuse étant un assujetti français, toutes les conditions de l’autoliquidation étaient réunies. La cour confirme donc la position de l’administration fiscale. La décision illustre l’efficacité de ce dispositif qui neutralise les stratégies d’évitement fondées sur la domiciliation du prestataire, en rendant le client français directement redevable de la taxe. En validant le redressement, le juge administratif réaffirme que la localisation du prestataire est sans incidence dès lors que le service lui-même est rattaché au territoire français en vertu d’un critère spécifique.

La taxe étant ainsi déclarée exigible, la question de sa déductibilité se posait avec acuité pour le contribuable. La cour va cependant clore tout débat en opposant un refus catégorique fondé sur la finalité des dépenses engagées.

II. Le refus inévitable du droit à déduction

La Cour administrative d’appel applique avec la même rigueur les principes régissant le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Elle rappelle que ce droit est conditionné par l’affectation des dépenses à des opérations imposables (A), ce qui aboutit à une solution sévère mais juridiquement fondée, dont la portée doit être appréciée (B).

A. Le principe de l’affectation à des opérations imposables

Le droit à déduction est au cœur du mécanisme de la taxe sur la valeur ajoutée, permettant de garantir la neutralité de l’impôt pour les entreprises. Toutefois, comme le rappelle l’article 271 du code général des impôts, ce droit n’est ouvert que « dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables ». La taxe grevant une dépense ne peut être déduite que si cette dépense concourt à la réalisation d’opérations en aval qui sont elles-mêmes soumises à la taxe. En l’espèce, la société requérante demandait, à titre subsidiaire, à pouvoir déduire la taxe qu’elle avait été contrainte d’autoliquider. La cour examine donc la situation du bien immobilier auquel la prestation se rapportait. Elle constate qu’il est constant que « les loyers qu’elle a perçus pour l’ensemble immobilier (…) n’ont pas été soumis à la taxe sur la valeur ajoutée sur option, et que la revente de celui-ci ne l’a pas plus été ». Le bien n’étant pas affecté à des opérations taxées, les dépenses y afférentes, y compris la prestation de service litigieuse, ne peuvent ouvrir droit à déduction. Le raisonnement est implacable et ne laisse aucune place à une interprétation alternative.

B. Une solution d’espèce à la portée pédagogique

La décision commentée ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni un arrêt de principe. Elle se borne à faire une application classique et combinée de règles bien établies en matière de territorialité et de déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée. Sa solution est avant tout une décision d’espèce, fortement déterminée par les faits, notamment l’absence d’option pour la taxation des loyers ou de la revente de l’immeuble. Cependant, sa valeur pédagogique est indéniable. Elle rappelle aux opérateurs économiques la nécessité d’une analyse en deux temps. L’exigibilité de la taxe et son droit à déduction sont deux questions distinctes qui ne se recoupent pas nécessairement. Une entreprise peut être légalement tenue d’acquitter une taxe sans pour autant pouvoir la récupérer. L’arrêt souligne ainsi l’importance, pour un marchand de biens, d’anticiper le régime fiscal de ses opérations en aval. L’absence de taxation de la revente de l’immeuble a ici figé définitivement la charge de la taxe d’amont, transformant l’impôt autoliquidé en un coût définitif pour l’entreprise. Cette décision est une illustration claire des conséquences financières d’une gestion fiscale non optimisée dans le secteur immobilier.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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