Cour d’appel administrative de Paris, le 14 mai 2025, n°24PA03812

Par un arrêt en date du 14 mai 2025, la cour administrative d’appel de Paris a partiellement annulé un jugement du tribunal administratif de Paris qui avait confirmé le refus d’une autorité municipale d’accorder à un établissement de restauration des autorisations d’occupation du domaine public pour l’installation de deux types de terrasses estivales. Un litige était né du rejet par la municipalité d’une demande visant à établir, d’une part, une terrasse sur le trottoir attenant au commerce et, d’autre part, une contre-terrasse sur un emplacement de stationnement situé de l’autre côté de la chaussée. Le restaurateur, débouté en première instance, a interjeté appel, soutenant que le refus de l’administration était entaché d’illégalité. La question de droit soumise à la cour portait ainsi sur les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut, sans commettre d’erreur de droit ou d’appréciation, refuser une autorisation d’occupation du domaine public à des fins commerciales. D’une part, il s’agissait de déterminer si le risque pour la sécurité des piétons pouvait être valablement invoqué dans une zone de rencontre pour justifier un refus. D’autre part, se posait la question de la méthode de calcul de la largeur de trottoir requise pour l’installation d’une terrasse. En réponse, la cour administrative d’appel a jugé que le refus concernant la contre-terrasse était illégal, l’administration n’ayant pas suffisamment caractérisé le danger invoqué. Inversement, elle a validé le refus d’autoriser la terrasse sur trottoir, considérant que la présence d’un obstacle fixe réduisait la largeur utile en deçà du minimum réglementaire. La solution duale retenue par le juge d’appel, censurant l’appréciation des risques sécuritaires tout en validant une application stricte des normes techniques, invite à examiner la portée du contrôle juridictionnel sur les décisions de police administrative (I), avant de s’attarder sur la confirmation d’une interprétation rigoureuse des contraintes d’urbanisme (II).

I. Un contrôle approfondi de l’appréciation du risque par l’autorité administrative

La cour exerce un contrôle rigoureux sur les motifs avancés par l’administration pour justifier sa décision, en particulier ceux relatifs à la sécurité publique. Elle écarte d’abord un danger jugé purement hypothétique au regard des spécificités de la voie concernée (A), puis elle rejette la prise en compte de droits futurs et incertains d’un commerce voisin (B).

A. La neutralisation du motif tiré de la dangerosité dans une zone de rencontre

L’autorité municipale avait motivé son refus d’autoriser la contre-terrasse par la dangerosité que présenterait la traversée de la chaussée pour les clients et les employés, notamment en raison de la présence d’une piste cyclable à contresens. Toutefois, le juge d’appel relève que la voie est située en « zone de rencontre », un espace où « les piétons sont autorisés à circuler sur la chaussée sans y stationner et bénéficient de la priorité sur les véhicules » et où la vitesse est limitée à 20 km/h. Dans un tel contexte, la cour estime que l’administration ne peut se contenter d’invoquer un risque général sans apporter d’éléments concrets établissant un danger particulier. Le juge souligne d’ailleurs que la circulation d’engins cyclables à double sens est une caractéristique inhérente à ce type de zone. De surcroît, la cour prend en considération des éléments de fait, y compris postérieurs à la décision mais éclairant la situation, tels qu’un constat d’huissier et des témoignages attestant de la « très faible circulation dans la rue ». Enfin, elle s’appuie sur l’absence d’incidents signalés lors des autorisations précédemment accordées pour les mêmes installations, reprenant ainsi un argument déjà soulevé en référé. Ce faisant, la cour se livre à un contrôle concret et approfondi de l’appréciation des faits par l’administration, refusant de s’en tenir à une simple présomption de danger et exigeant une démonstration circonstanciée.

B. Le rejet de la protection de droits commerciaux hypothétiques

Le second motif de refus tenait à la nécessité de préserver les droits d’un commerce situé en face du restaurant, qui aurait pu lui-même solliciter une autorisation. La cour écarte cet argument en se fondant, là encore, sur la réalité factuelle du dossier. Elle observe que le commerce en question « était fermé de longue date » et qu’il « n’était pas exploitable en l’état ». Par conséquent, les droits que l’administration entendait préserver revêtaient un caractère purement « hypothétique ». La cour rappelle au passage la nature « précaire et révocable » de toute autorisation d’occupation du domaine public, ce qui affaiblit d’autant plus la pertinence d’une protection par anticipation de droits futurs et incertains. La juridiction administrative confirme ici sa volonté de ne pas admettre des motifs de refus fondés sur des considérations prospectives non étayées par des éléments tangibles et actuels. Elle écarte également le motif, soulevé pour la première fois en appel, selon lequel la contre-terrasse n’était pas située exactement au droit de l’établissement, en jugeant qu’une telle exigence de parfaite correspondance ne ressortait pas du règlement municipal.

Si la cour censure l’appréciation de l’administration concernant la contre-terrasse, elle adopte une approche radicalement différente pour la terrasse sur trottoir, en s’en tenant à une application littérale des normes techniques.

II. La confirmation d’une application stricte des prescriptions réglementaires

La seconde partie de la décision illustre une posture de déférence du juge à l’égard de la norme technique claire et précise. L’analyse se concentre sur la notion de « largeur utile » du trottoir (A), ce qui conduit à limiter la marge d’appréciation tant de l’administration que du juge lui-même (B).

A. La notion déterminante de « largeur utile » du trottoir

Le règlement municipal interdisait les terrasses estivales sur les trottoirs d’une « largeur utile » inférieure à 2,20 mètres, afin de garantir un passage suffisant de 1,60 mètre pour la circulation des piétons. La société requérante faisait valoir que le trottoir mesurait au total 2,26 mètres. Cependant, la cour retient un élément factuel décisif : la présence d’une bite d’amarrage implantée sur le trottoir. Elle constate, en s’appuyant sur un constat d’huissier, que « la largeur entre la base de la devanture et la face intérieure de la bite d’amarrage implantée sur ce trottoir n’est que de 1,81 mètre ». De ce fait, la « largeur utile », qui doit être calculée jusqu’au premier obstacle, est bien inférieure au seuil réglementaire de 2,20 mètres. Le juge adopte une lecture rigoureuse du texte, considérant que la présence d’un seul obstacle fixe, même ponctuel, suffit à réduire la largeur utile de l’ensemble de l’espace au droit de l’établissement. Cette interprétation ne laisse aucune place à une appréciation globale de la fluidité du passage ou à la prise en compte d’autres mesures compensatoires.

B. L’absence de pouvoir d’appréciation face à une norme technique précise

La solution retenue par la cour pour la terrasse sur trottoir contraste fortement avec l’analyse menée pour la contre-terrasse. Alors que pour cette dernière, le juge a examiné en détail les faits et a sanctionné une erreur d’appréciation, il se limite ici à une simple vérification de la conformité des faits à la règle de droit. Dès lors que la mesure de 1,81 mètre est établie et que le seuil réglementaire est fixé à 2,20 mètres, le juge ne peut que constater que les conditions ne sont pas remplies. Il n’y a dans ce cas aucune place pour un contrôle de proportionnalité ou une mise en balance des intérêts en présence. La maire de Paris était donc en situation de compétence liée et ne pouvait légalement accorder l’autorisation. L’arrêt illustre ainsi parfaitement la dualité du contrôle juridictionnel : souple et concret lorsque l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation, notamment en matière de police, mais strict et formel lorsque son action est encadrée par des normes techniques précises et inconditionnelles. La légalité du refus était ici mathématiquement établie.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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