La présente décision, rendue par une cour administrative d’appel le 10 juillet 2025, offre un éclairage précis sur le régime contentieux des autorisations d’urbanisme en Polynésie française, en distinguant nettement la nature des travaux pour déterminer les règles de recevabilité applicables. En l’espèce, une société avait obtenu une autorisation administrative pour le réaménagement intérieur d’un local en vue d’y établir un centre d’imagerie médicale. Postérieurement, l’administration lui avait délivré un certificat de conformité partiel pour les travaux réalisés au rez-de-chaussée. Une requérante, tiers au projet, a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française pour obtenir l’annulation de ces deux décisions. Par un jugement du 24 mai 2022, sa demande a été rejetée. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant l’irrégularité des formalités de publicité de l’autorisation de travaux et plusieurs vices de procédure affectant la légalité du certificat de conformité. L’autorité administrative et la société bénéficiaire de l’autorisation ont quant à elles soulevé l’irrecevabilité du recours pour tardiveté. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si les règles de publicité propres au permis de construire du droit métropolitain s’appliquaient à une simple autorisation de travaux intérieurs en Polynésie française, et de se prononcer sur la légalité d’un certificat de conformité délivré pour une seule partie des travaux autorisés. La Cour juge que les dispositions relatives à l’affichage sur le terrain, conditionnant le départ du délai de recours des tiers, ne s’appliquent pas à une autorisation de réaménagement intérieur, laquelle ne constitue pas un permis de construire au sens du code de l’urbanisme. Elle en déduit que le délai de recours contentieux est régi par le droit commun et commence à courir dès la connaissance acquise de la décision, rendant la requête irrecevable pour tardiveté. Par ailleurs, elle valide la légalité du certificat de conformité partiel, considérant que ni la réalisation par phases du projet ni les questions relevant du droit privé ne peuvent entacher sa validité. Ainsi, la décision se structure autour de la double question de la recevabilité du recours contre l’autorisation (I) et de la légalité du certificat attestant de la bonne exécution des travaux (II).
I. Une application différenciée des règles contentieuses à l’autorisation de travaux
La cour administrative d’appel opère une application rigoureuse des règles de procédure contentieuse en écartant le régime spécial de publicité pour lui préférer le droit commun, scellant ainsi l’irrecevabilité du recours. Pour ce faire, elle refuse d’appliquer par analogie le régime de publicité des permis de construire (A), ce qui la conduit logiquement à faire application de la théorie de la connaissance acquise (B).
A. Le rejet d’une extension du régime de publicité du permis de construire
La requérante fondait l’essentiel de son argumentation sur l’absence d’affichage sur le terrain de l’autorisation de travaux, formalité qui, selon l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme, déclenche le délai de recours des tiers. La Cour reconnaît d’abord que ces dispositions, relevant de la procédure administrative contentieuse, sont en principe applicables en Polynésie française. Cependant, elle en limite aussitôt la portée en adoptant une interprétation stricte et matérielle de leur champ d’application. Le juge précise en effet que ces règles « ne sont applicables en Polynésie française qu’au contentieux des autorisations d’urbanisme visant, par analogie, les catégories de décisions possédant la même substance et la même portée ».
Or, en l’espèce, l’autorisation ne portait que sur des travaux de réaménagement intérieur d’un local existant, sans modification de la structure ou de l’aspect extérieur. La Cour considère qu’une telle autorisation « ne peut être regardée comme relevant de la catégorie des permis de construire régie par les dispositions de l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme ». Ce faisant, elle refuse d’assimiler une autorisation de travaux intérieurs, même substantiels, à un permis de construire classique. Cette analyse consacre une approche pragmatique qui s’attache à la nature réelle des travaux plutôt qu’à la dénomination de l’acte, et qui a pour conséquence directe de soustraire le projet aux exigences de publicité sur le terrain, dont la finalité est d’alerter les tiers sur des projets modifiant l’environnement extérieur.
B. L’application du droit commun de la connaissance acquise comme point de départ du délai de recours
En écartant le régime spécial de l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme, la Cour se tourne vers le droit commun de la procédure administrative, fixé par l’article R. 421-1 du code de justice administrative. Celui-ci dispose que le délai de recours de deux mois court à compter de la notification ou de la publication de la décision, ou, pour les tiers, de la date à laquelle ils en ont eu connaissance. C’est le principe de la connaissance acquise qui trouve ici à s’appliquer. Le juge recherche alors les éléments factuels démontrant que la requérante a eu une connaissance effective et certaine de la décision contestée.
Il ressort des pièces du dossier que l’intéressée avait non seulement « consulté le dossier de demande d’autorisation le 23 mars 2021 », mais également manifesté son opposition par un signalement adressé à l’administration le 5 avril 2021. Pour la Cour, ces démarches suffisent à établir que la requérante avait connaissance de l’autorisation au plus tard à cette dernière date. Dès lors, son recours, enregistré le 7 septembre 2021, a été jugé tardif. Cette solution, classique dans son principe, illustre la portée de la connaissance acquise, qui constitue un mécanisme de sécurité juridique empêchant qu’une décision administrative puisse être contestée indéfiniment par un tiers qui, bien qu’informé, aurait tardé à agir.
II. La validation d’un contrôle de conformité affranchi des contraintes formelles et privées
Après avoir écarté les conclusions contre l’autorisation de travaux, la Cour examine la légalité du certificat de conformité. Elle en confirme la validité en admettant la possibilité d’un contrôle par phases successives (A) et en réaffirmant l’indépendance de ce contrôle vis-à-vis des règles de droit privé (B).
A. L’admission d’un certificat de conformité partiel
La requérante soutenait que le certificat de conformité était illégal au motif qu’il ne portait que sur une partie des travaux autorisés, en l’occurrence ceux du rez-de-chaussée. La Cour rejette cet argument en adoptant une lecture souple et pragmatique des textes. Elle constate qu’« aucune disposition réglementaire n’interdit à l’autorité administrative compétente de constater la conformité par phasage achevé du projet » et qu’il « peut être délivré des certificats de conformité partiels pour chaque phase réalisée ». Cette solution reconnaît la réalité pratique des chantiers d’envergure, qui sont souvent menés par étapes successives.
Le juge balaie également l’argument tiré de l’absence de production d’une déclaration destinée au service des contributions, considérant que pour de simples travaux de réaménagement intérieur d’un bâtiment déjà existant et identifié, cette formalité n’était pas impérative. De même, l’absence de dépôt de la déclaration d’achèvement des travaux en mairie est jugée « sans incidence sur la légalité du certificat de conformité ». À travers ces rejets, la Cour manifeste une volonté de ne pas sanctionner des vices purement formels qui ne remettent pas en cause la substance même du contrôle opéré par l’administration : la conformité matérielle des travaux réalisés avec l’autorisation accordée.
B. La réaffirmation de l’étanchéité du contrôle aux rapports de droit privé
Le dernier argument de la requérante portait sur le fait que les travaux avaient été réalisés sans l’accord du bailleur, en violation du bail commercial. La Cour écarte ce moyen en rappelant un principe fondamental du droit de l’urbanisme : l’indépendance des législations. Elle énonce clairement que « le certificat de conformité a pour seul objet de constater la conformité des travaux réalisés avec ceux prévus par l’autorisation de travaux ». Par conséquent, les questions relatives à l’exécution d’un contrat de bail et au respect des droits des propriétaires relèvent exclusivement du juge judiciaire et ne peuvent être utilement invoquées devant le juge administratif pour contester la validité d’un acte d’urbanisme.
La Cour précise que l’article LP. 114-6 du code de l’aménagement, qui impose au bénéficiaire d’une autorisation d’obtenir les accords de droit privé nécessaires, s’applique à l’autorisation de travaux elle-même et non au certificat de conformité. Cette distinction est essentielle : si l’administration doit s’assurer, en amont, que le projet ne se heurte pas à des impossibilités juridiques manifestes, son contrôle, au stade de la conformité, se limite à une vérification technique et matérielle. Cette décision réaffirme ainsi la séparation stricte entre la police de l’urbanisme, qui vise la protection de l’intérêt général, et la protection des droits privés, qui relève d’un autre ordre de juridiction.