L’arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 7 février 2025 illustre le contentieux des autorisations d’exploitation commerciale et l’office du juge administratif face à des décisions prises à la suite d’une première annulation juridictionnelle. En l’espèce, une société avait sollicité un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale pour la création d’un magasin. La commission départementale d’aménagement commercial avait émis un avis favorable, mais la Commission nationale d’aménagement commercial, saisie d’un recours par une société concurrente, avait rendu un avis défavorable.
Cet avis négatif a conduit l’autorité municipale à opposer un refus implicite à la demande de permis de construire. Saisie par l’établissement public de coopération intercommunale dont la commune est membre, la cour administrative d’appel, par un premier arrêt du 10 mars 2023, a annulé cette décision de refus et a enjoint à la Commission nationale de réexaminer le projet. Statuant à nouveau, celle-ci a cette fois émis un avis favorable, sur la base duquel le maire a délivré le permis de construire le 14 juin 2023. C’est cet arrêté que la société concurrente a contesté, soulevant une série de moyens tant de légalité externe qu’interne. La question posée à la cour était donc de déterminer si, après une première annulation, l’autorisation finalement délivrée résistait aux critiques tirées de la régularité de la procédure et du respect des objectifs d’aménagement du territoire.
La cour administrative d’appel a rejeté la requête, validant ainsi l’autorisation d’exploitation commerciale. Elle a d’abord écarté les moyens de procédure, jugeant notamment que la Commission nationale n’était pas tenue de communiquer à la requérante les observations en défense de la pétitionnaire. Surtout, elle a estimé que l’autorité de la chose jugée de son précédent arrêt faisait obstacle à ce que l’appréciation des effets du projet soit remise en cause, en l’absence de « changements suffisamment substantiels dans les conditions de fait et de droit ».
La décision commentée se distingue par l’application rigoureuse de l’autorité de la chose jugée dans le cadre d’un contentieux sériel, limitant l’examen des critiques de fond (I), tout en confirmant la validité du projet au regard des critères légaux résiduels (II).
I. Une légalité de l’autorisation confortée par l’autorité de la chose jugée
La cour administrative d’appel a d’abord écarté les moyens tirés de vices de procédure, avant de faire prévaloir avec force l’autorité de la chose jugée de son précédent arrêt d’annulation.
A. Le rejet des moyens de légalité externe
La société requérante invoquait plusieurs irrégularités procédurales affectant l’avis de la Commission nationale d’aménagement commercial. Elle soutenait notamment que le dossier de demande était incomplet sur les coûts indirects et que la procédure contradictoire avait été méconnue, faute de communication de l’entier dossier actualisé. La cour rejette ce dernier argument en affirmant qu’« il ne résulte d’aucune disposition législative ou réglementaire ni d’aucun principe que la Commission nationale serait tenue de communiquer aux requérants contestant une décision d’autorisation accordée à une société pétitionnaire les documents produits par cette dernière pour sa défense ». Cette solution, classique, rappelle que le principe du contradictoire devant les commissions d’aménagement commercial ne s’étend pas à un échange systématique de toutes les écritures entre les parties concurrentes.
De même, le juge écarte le moyen tiré d’une prétendue irrégularité de la convocation des membres de la commission. Face à l’allégation selon laquelle la preuve de la communication des pièces dans le délai de cinq jours n’était pas rapportée, la cour se satisfait des éléments produits par l’administration, notamment une attestation de son prestataire de convocations électroniques et un historique de la plateforme de téléchargement. Elle en conclut qu’« il n’est ni établi, ni même allégué par des objections circonstanciées que les membres de la CNAC n’ont pas été mis en mesure d’accéder par ces moyens aux documents en cause », opérant ainsi un renversement de la charge de la preuve au détriment de la requérante.
B. L’application déterminante de l’autorité de la chose jugée
L’apport principal de l’arrêt réside dans le traitement des moyens de légalité interne au prisme de l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 10 mars 2023. Par cette décision antérieure, la cour avait annulé le refus implicite de permis de construire en censurant l’erreur d’appréciation de la Commission nationale quant aux effets du projet sur l’aménagement du territoire. La cour rappelle le principe selon lequel « l’autorité absolue de chose jugée de la décision juridictionnelle fait dans ce cas obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, la commission d’aménagement commercial compétente émette un nouvel avis défavorable ».
Appliquant ce principe, le juge examine si les nouveaux éléments avancés par la société requérante constituent des « changements suffisamment substantiels » pour justifier une appréciation différente. La requérante faisait valoir une dégradation de la démographie locale, la signature d’une convention de revitalisation du territoire et l’ouverture de nouveaux magasins. La cour balaie ces arguments un par un, estimant qu’ils ne sont pas de nature à remettre en cause les constats de son précédent arrêt. Elle souligne au contraire des éléments positifs, tels que la baisse significative du taux de vacance commerciale dans le centre-ville, passé de 7,56 % en 2021 à 4,19 % en 2023. Cette approche consacre une stabilité juridique forte, empêchant un requérant de rouvrir indéfiniment un débat déjà tranché au fond, sauf à prouver un bouleversement factuel ou juridique.
II. Une appréciation confirmée de la conformité du projet aux objectifs légaux
Au-delà du prisme de l’autorité de la chose jugée, la cour procède à une analyse propre des autres critères d’appréciation du projet, confirmant là encore l’absence d’erreur d’appréciation de la part de la commission.
A. La validation de l’analyse des impacts sur les transports
La société requérante soutenait que la commission n’avait pu valablement apprécier les effets du projet sur les flux de transports en l’absence d’une étude récente et sérieuse. La cour rejette cette critique en relevant d’abord que la requérante « ne précise pas en vertu de quelles dispositions législatives ou réglementaires une étude in situ des flux de circulation aurait dû être réalisée ». Elle constate ensuite que l’allégation d’une saturation du réseau routier n’est étayée par aucun élément précis et concret, tandis que l’avis ministériel favorable au projet avait estimé que « les réserves de capacité des voies d’accès permettront d’absorber les nouveaux flux routiers ».
Le raisonnement de la cour illustre une approche pragmatique. Faute d’obligation textuelle imposant une étude de circulation spécifique pour ce type de projet et en l’absence de preuves tangibles d’un risque de saturation, le juge s’en remet aux appréciations des services de l’État et considère que la commission n’a pas commis d’erreur manifeste sur ce point. La charge de la preuve d’une sous-évaluation des impacts incombe clairement au requérant, qui doit fournir plus que de simples allégations.
B. L’appréciation globale de la qualité environnementale du projet
Enfin, la requérante critiquait la qualité environnementale du projet, en raison notamment d’un système de chauffage jugé polluant. La cour procède à une appréciation d’ensemble, en mettant en balance cet élément négatif avec les nombreux aspects positifs du dossier. Elle relève ainsi que « la totalité de la couverture du projet doit être équipée de panneaux photovoltaïques », que l’éclairage extérieur sera autonome, qu’une part importante de la parcelle sera maintenue à l’état naturel ou transformée en espaces verts, et qu’un traitement des eaux pluviales est prévu.
Face à ce bilan globalement favorable, la cour conclut que, « quand bien même le projet comporterait un chauffage aérotherme par gaz, la CNAC n’a pas commis d’erreur d’appréciation en ne contestant pas la qualité environnementale du projet ». Cette méthode du bilan coût-avantages est classique en matière d’urbanisme et d’environnement. Elle permet au juge de ne pas censurer un projet pour un unique défaut, dès lors que celui-ci est compensé par des efforts significatifs sur d’autres aspects, démontrant une prise en compte globale des objectifs de développement durable. La décision confirme que la perfection environnementale n’est pas exigée, mais bien une qualité d’ensemble satisfaisante.