Par un arrêt en date du 4 avril 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la régularité d’une procédure de contravention de grande voirie engagée par une collectivité territoriale. En l’espèce, les services d’une région avaient constaté l’occupation sans titre de son domaine public fluvial par un navire. Après une mise en demeure restée infructueuse, le président du conseil régional avait déféré l’occupant devant le tribunal administratif en vue de sa condamnation à une amende et à la remise en état des lieux. Par un jugement du 15 juillet 2024, le tribunal administratif a relaxé le prévenu des fins de la poursuite. La région a alors interjeté appel de cette décision, soutenant la régularité de la procédure engagée. Le particulier, intimé en appel, a soulevé l’irrégularité de la saisine du premier juge, arguant que le directeur des affaires juridiques de la collectivité, signataire des actes de poursuite, ne disposait pas de la délégation de signature requise pour ce faire. Se posait donc la question de savoir si des poursuites pour contravention de grande voirie pouvaient être valablement engagées par un directeur de service régional sur le fondement d’une délégation de signature générale, ne précisant pas cette attribution spécifique. La cour administrative d’appel a répondu par la négative. Elle a jugé que la collectivité n’établissait pas la compétence du signataire des actes de poursuite et a par conséquent rejeté sa requête, confirmant la relaxe prononcée en première instance.
La solution retenue par la cour administrative d’appel s’articule autour d’une analyse stricte des conditions de délégation de la compétence répressive (I), aboutissant à un rappel pragmatique de l’exigence de rigueur qui s’impose aux autorités administratives dans la conduite de l’action publique (II).
I. La sanction d’une délégation de signature imprécise
La cour fonde sa décision sur une appréciation rigoureuse de l’habilitation du signataire des actes de poursuite. Elle constate que la compétence de cet agent doit résulter d’une habilitation explicite (A) et que la charge de prouver cette habilitation incombe entièrement à l’administration (B).
A. L’exigence d’une habilitation explicite pour l’engagement des poursuites
Le juge d’appel examine avec soin l’arrêté de délégation de signature produit par la région. Celui-ci conférait une délégation permanente aux directeurs des services régionaux, mais seulement « dans la limite des attributions dévolues à leurs directions ». Or, la cour relève que si cet arrêté habilitait explicitement certains directeurs techniques à signer « tout acte de police de la conservation du domaine public portuaire ou fluvial régional », une telle précision faisait défaut pour le directeur des affaires juridiques et de la commande publique. Cette comparaison met en évidence une lacune significative. L’absence de mention expresse relative à la police du domaine pour ce service juridique affaiblit considérablement la portée de la délégation générale dont il bénéficiait. Le raisonnement de la cour suggère qu’une matière aussi spécifique et répressive que la contravention de grande voirie ne saurait être implicitement incluse dans les attributions générales d’une direction juridique.
B. La charge de la preuve incombant à l’administration
Face à cette imprécision, il revenait à la collectivité territoriale de démontrer que le directeur des affaires juridiques était bien compétent. La cour souligne que la région, bien qu’ayant été « invitée par le greffe de la juridiction à justifier de la délégation de signature », n’a pas apporté les éléments nécessaires. Plus encore, elle n’a pas répondu à la mesure d’instruction de la cour lui demandant de préciser les missions de la direction concernée. Ce silence procédural a été déterminant dans l’appréciation des juges. En l’absence de preuve contraire, l’argument du prévenu tiré de l’incompétence du signataire ne pouvait qu’être accueilli. La cour précise enfin que ce vice initial n’a pas été régularisé en cours d’instance, puisque les écritures présentées au tribunal ont été soumises sous la même signature dont la validité n’était pas établie, fermant ainsi toute possibilité de sauvetage de la procédure.
II. Un rappel orthodoxe à la rigueur procédurale
En confirmant la relaxe pour un motif de pure procédure, la cour ne fait pas preuve d’un formalisme excessif. Elle réaffirme une solution classique en matière de compétence (A), dont la portée doit cependant être appréciée au regard des particularités de l’espèce (B).
A. La confirmation d’une jurisprudence formaliste en matière de compétence
La décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel constant qui considère que la compétence d’un agent public pour prendre un acte, surtout lorsque celui-ci est de nature répressive, doit être établie de manière certaine. L’exigence de compétence matérielle est une garantie fondamentale pour l’administré, qui doit être assuré que l’action publique est menée par l’autorité légalement désignée à cet effet. En jugeant que la région n’est « pas fondée à soutenir que c’est à tort que (…) le tribunal administratif de Rennes a relaxé [le prévenu] », la cour réitère que le doute sur l’étendue d’une délégation de signature doit profiter au justiciable. Cette approche garantit la sécurité juridique et prévient les abus d’autorité potentiels. Le juge administratif exerce ici pleinement son rôle de gardien de la légalité administrative, en s’assurant que les actes de l’administration sont non seulement fondés en droit, mais également édictés par un agent habilité.
B. Une solution d’espèce à la portée limitée
Bien que solidement motivée en droit, la portée de cette décision doit être nuancée. Il s’agit avant tout d’une décision d’espèce, dont la solution est étroitement liée à la rédaction de l’arrêté de délégation et à l’échec de l’administration à fournir les justifications demandées. L’arrêt ne crée pas de principe nouveau en matière de délégation de signature, mais il constitue un rappel salutaire des bonnes pratiques administratives. Il incite les exécutifs des collectivités locales à une plus grande précision dans la rédaction de leurs actes de délégation, afin d’éviter que des procédures contentieuses ne soient compromises par des vices de forme. La solution aurait sans doute été différente si l’arrêté de délégation avait été rédigé en termes plus clairs ou si la collectivité avait été plus diligente dans la production des pièces justificatives. La décision a donc une valeur pédagogique certaine pour les gestionnaires publics, sans pour autant remettre en cause les principes généraux régissant la police du domaine public.