Cour d’appel administrative de Nantes, le 3 juin 2025, n°24NT02230

Un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nantes le 3 juin 2025 offre un éclairage sur les conditions de sanction du démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique et sa compatibilité avec le droit de l’Union européenne. En l’espèce, une société spécialisée dans ce domaine s’est vu infliger une amende administrative substantielle ainsi qu’une mesure de publication de la sanction pour avoir méconnu l’interdiction de la prospection commerciale par voie téléphonique posée par le code de la consommation. La société a en effet été l’auteur de plusieurs dizaines de milliers d’appels téléphoniques vers des consommateurs, dont certains étaient inscrits sur une liste d’opposition au démarchage.

Saisi d’un recours contre la décision de sanction, le tribunal administratif de Rennes l’avait rejeté par un jugement du 15 mai 2024. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que son activité de démarchage, visant à proposer des audits énergétiques, n’entrait pas dans le champ de l’interdiction légale. Elle faisait valoir, de surcroît, que les dispositions nationales instaurant cette interdiction sectorielle étaient incompatibles avec la directive européenne du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, qui vise une harmonisation maximale des législations. Se posait ainsi la question de savoir si une législation nationale interdisant de manière générale un type spécifique de démarchage téléphonique dans un secteur donné est compatible avec les objectifs d’harmonisation maximale d’une directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales, alors même que cette interdiction ne figure pas dans la liste des pratiques réputées déloyales en toutes circonstances annexée à ladite directive.

Par sa décision, la Cour administrative d’appel rejette la requête de la société. Elle estime que l’interdiction nationale est bien applicable aux faits de l’espèce et qu’elle ne contrevient pas aux objectifs du droit de l’Union européenne. Les juges du fond justifient cette compatibilité par un double argumentaire, articulant les dispositions de plusieurs textes européens et retenant une conception extensive des exceptions prévues par la directive de 2005.

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I. La confirmation d’une interdiction sectorielle du démarchage téléphonique justifiée au regard du droit de l’Union européenne

La cour valide le raisonnement de l’administration et des premiers juges en adoptant une lecture stricte de la finalité des appels litigieux (A) et en écartant le grief d’incompatibilité avec le droit de l’Union par une analyse combinée des directives applicables (B).

A. La qualification extensive de la prospection commerciale au service de l’efficacité de l’interdiction

La société requérante tentait de dissocier les appels émis de l’interdiction prévue à l’article L. 223-1 du code de la consommation, en arguant qu’ils avaient pour seul objet de proposer la réalisation d’audits énergétiques. Une telle démarche n’aurait pas, selon elle, le caractère d’une prospection commerciale en vue de la vente d’équipements ou de la réalisation de travaux. Les juges d’appel écartent cette argumentation en se fondant sur une analyse pragmatique des faits, telle qu’elle ressortait du procès-verbal d’infraction. Ils retiennent en effet que « les quelques renseignements pris, lors du rendez-vous chez le client à la suite de l’appel téléphonique, en vue d’un audit n’ont servi qu’à appuyer l’offre commerciale formulée peu de temps après ce rendez-vous ». Ce faisant, la cour refuse de s’arrêter à la présentation formelle de l’appel et recherche sa véritable finalité économique. Elle considère que la proposition d’audit n’est qu’une étape préliminaire, un moyen d’entrer en relation avec le consommateur pour lui soumettre, dans un second temps, une proposition commerciale relevant pleinement du champ de l’interdiction. Cette approche téléologique permet d’assurer la pleine effectivité de la protection voulue par le législateur, en prévenant les stratégies de contournement qui videraient la norme de sa substance.

B. La double validation de la compatibilité de la loi nationale avec le droit dérivé

Le moyen le plus sérieux soulevé par la société requérante portait sur l’incompatibilité de l’article L. 223-1 du code de la consommation avec la directive 2005/29/CE. Ce texte établit en principe une harmonisation maximale, interdisant aux États membres de maintenir ou d’adopter des dispositions plus restrictives que celles qu’elle prévoit, sauf exceptions. Or, l’interdiction générale et sectorielle du démarchage téléphonique pour la rénovation énergétique ne figure pas dans la liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances annexée à la directive. La cour écarte cependant le moyen, sans même juger nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Elle le fait en se fondant sur deux justifications distinctes. D’une part, elle relève que la directive 2005/29/CE doit s’appliquer sans préjudice de la directive 2002/58/CE concernant la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. Or, ce second texte autorise explicitement les États membres à prendre des mesures pour que les communications non sollicitées à des fins de prospection directe ne soient pas autorisées. La législation française apparaît ainsi comme une mise en œuvre de cette faculté. D’autre part, et de manière complémentaire, la cour se réfère à une exception propre à la directive 2005/29/CE, qui permet aux États membres d’imposer des exigences plus restrictives pour les services financiers et les biens immobiliers. Elle considère que « la vente d’équipements ou la réalisation de travaux pour des logements » peuvent être regardées comme relevant des biens immobiliers par destination. Cette double articulation du droit dérivé permet de sauver la législation nationale et de confirmer la validité de la sanction prononcée.

II. La portée d’une solution protectrice du consommateur et répressive à l’égard des professionnels

En validant la sanction sur la base d’une lecture finaliste du droit (A), la cour confirme le caractère proportionné d’une double peine, pécuniaire et réputationnelle (B), dont les conséquences pour les professionnels du secteur sont significatives.

A. Une interprétation audacieuse mais finaliste du droit de l’Union européenne

Le raisonnement des juges d’appel, bien que solide dans son articulation des deux directives, n’en demeure pas moins audacieux sur un point. La qualification des équipements et travaux de rénovation énergétique en « biens immobiliers par destination » pour les faire entrer dans le champ de l’exception de l’article 3 de la directive 2005/29/CE constitue une interprétation extensive. Cette notion, traditionnellement civiliste, est ici mobilisée dans un contexte de droit de la consommation européen. Si cette lecture peut se discuter sur le plan théorique, elle révèle une volonté de la part du juge administratif de donner son plein effet à l’intention du législateur national. Celui-ci a manifestement considéré que le secteur de la rénovation énergétique présentait des risques particuliers de pratiques commerciales agressives ou trompeuses, justifiant une mesure d’interdiction radicale plutôt qu’un simple encadrement. En validant cette interdiction par une double justification, dont l’une est particulièrement large, la cour adopte une approche finaliste, privilégiant l’objectif de protection du consommateur et de sa tranquillité, objectif poursuivi tant par la loi française que par la directive 2002/58/CE. La solution confirme ainsi que l’harmonisation maximale prônée par la directive sur les pratiques commerciales déloyales connaît des limites substantielles, notamment lorsque la protection de la vie privée et des secteurs jugés sensibles sont en jeu.

B. La validation d’une sanction pécuniaire et réputationnelle jugée proportionnée

Au-delà de la question de principe, la cour se prononce sur le montant de l’amende et sur la sanction complémentaire de publication. Elle juge que l’amende de 65 109 euros, qui correspond à un euro par manquement constaté, « ne revêt pas de caractère disproportionné » eu égard à « l’ampleur des manquements relevés ». Pour ce faire, elle prend en compte le chiffre d’affaires de la société et écarte les arguments tirés de sa coopération ou du fait que de nombreux appels n’auraient pas abouti. La matérialité de la tentative de prospection suffit à caractériser l’infraction. De même, la publication de la décision sur plusieurs sites internet institutionnels pour une durée de trois mois n’est pas jugée excessive. Cette solution rappelle que la proportionnalité d’une sanction s’apprécie non seulement au regard de la situation de l’entreprise, mais aussi et surtout en fonction de la gravité et de l’ampleur du comportement fautif. La validation de cette mesure de publicité souligne la nature non seulement punitive mais aussi dissuasive et informative de la sanction administrative. Pour l’entreprise sanctionnée, le préjudice réputationnel qui découle d’une telle publication peut s’avérer plus dommageable encore que l’amende elle-même, illustrant la sévérité croissante de la répression des pratiques commerciales illicites.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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