Cour d’appel administrative de Nantes, le 26 septembre 2025, n°24NT03529

Par un arrêt en date du 26 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une mesure de police administrative prise par une autorité municipale visant à l’enlèvement d’un véhicule considéré comme une épave. En l’espèce, la locataire d’un terrain avait permis à son compagnon, un professionnel de la réparation automobile, d’y entreposer plusieurs véhicules. L’autorité municipale, après une mise en demeure adressée à la seule locataire et restée sans effet, a ordonné par un arrêté l’élimination d’office de ces véhicules aux frais du compagnon. Un seul véhicule fut finalement enlevé et détruit par les services municipaux. Les requérants ont alors saisi le tribunal administratif de Rennes afin d’obtenir l’annulation de cet arrêté et l’indemnisation de leurs préjudices matériel et moral. Par un jugement du 17 octobre 2024, le tribunal a rejeté leur demande. La locataire et son compagnon ont interjeté appel de cette décision, soulevant des moyens tenant tant à la régularité externe qu’à la légalité interne de l’acte contesté. Ils arguaient notamment de l’irrégularité de la procédure, estimant que la mise en demeure aurait dû être adressée au propriétaire des véhicules et non à la locataire du terrain, et que le droit de présenter des observations n’avait pas été respecté. Sur le fond, ils contestaient que le véhicule puisse être qualifié d’épave et qu’il constituait une atteinte grave à l’environnement justifiant l’intervention de l’autorité de police. Il appartenait ainsi à la cour de déterminer si l’autorité municipale pouvait légalement faire usage de son pouvoir de police spéciale sur le fondement de l’article L. 541-21-4 du code de l’environnement en visant le détenteur du terrain plutôt que le producteur des déchets, et si les conditions de fond pour la mise en œuvre de cette police étaient réunies. Par sa décision, la cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance et validant la légalité de l’action administrative. Elle considère que la procédure suivie était régulière et que les conditions de fond justifiant la mesure de police étaient bien remplies.

La solution retenue par la juridiction d’appel repose ainsi sur une lecture stricte des dispositions applicables à la police des déchets, validant une procédure dérogatoire au droit commun (I), tout en confirmant l’appréciation des faits par l’autorité administrative quant à la nécessité de la mesure (II).

I. La validation d’une procédure de police administrative dérogatoire

La cour administrative d’appel valide la procédure suivie par l’autorité municipale en la distinguant nettement du régime général de police des déchets, tant en ce qui concerne le respect des droits de la défense (A) que la détermination de la personne visée par la mise en demeure (B).

A. L’exclusion de la garantie du contradictoire préalable

Les requérants soutenaient que la procédure était viciée, faute d’avoir été mis en mesure de présenter leurs observations avant l’édiction de la mise en demeure, comme le prévoit l’article L. 541-3 du code de l’environnement. La cour écarte ce moyen en opérant une distinction technique entre le champ d’application de cet article et celui de l’article L. 541-21-4 du même code, qui fonde la mesure de police en l’espèce. Elle juge que si l’article L. 541-21-4 relatif aux véhicules hors d’usage renvoie à l’article L. 541-3, « c’est uniquement pour les sanctions applicables et non pour la procédure préalable à suivre ». Ce faisant, le juge administratif consacre une interprétation littérale des textes, qui conduit à isoler la procédure de mise en demeure spécifique aux épaves de véhicules du droit commun de la police des déchets. Cette analyse a pour effet de restreindre la portée du principe du contradictoire. Alors que ce principe constitue une garantie fondamentale pour l’administré, la cour considère ici qu’il n’a pas vocation à s’appliquer dans le cadre de cette police spéciale, car le législateur ne l’a pas expressément prévu. Cette solution, bien que juridiquement fondée sur la lettre du texte, peut apparaître rigoureuse au regard de l’importance que revêt le droit de présenter ses observations avant toute décision faisant grief. Elle privilégie l’efficacité et la célérité de l’action administrative dans un domaine où les enjeux de salubrité et de protection de l’environnement sont jugés prépondérants.

B. La désignation du « maître des lieux » comme destinataire de la mesure

Les appelants avançaient également que la mise en demeure aurait dû être adressée au compagnon, en sa qualité de producteur des déchets, et non à la locataire du terrain. La cour rejette cet argument en se fondant sur les termes mêmes des articles L. 541-21-4 et L. 541-3 du code de l’environnement. Elle relève que la locataire, en tant qu’unique titulaire du bail sur le terrain, doit être regardée comme «  » le maître des lieux  » au sens de l’article L. 541-21-4 du code de l’environnement ou  » détenteur de déchets  » au sens de l’article L. 541-3 ». Cette interprétation confère à l’autorité de police une faculté de choix dans la désignation de la personne responsable. L’administration n’est pas tenue de rechercher le producteur ou le propriétaire des déchets, mais peut légalement agir à l’encontre de la personne qui a la maîtrise juridique du terrain sur lequel les déchets sont entreposés. Cette solution est pragmatique, car elle permet à l’autorité administrative de s’adresser à un interlocuteur clairement identifié et localisé, le détenteur du terrain, plutôt qu’à un producteur de déchets potentiellement difficile à identifier ou à atteindre. Elle vient ainsi renforcer l’idée que la responsabilité en matière de gestion des déchets ne pèse pas uniquement sur celui qui les produit, mais également sur celui qui les détient ou qui permet leur dépôt sur une propriété dont il a la jouissance.

II. La confirmation de l’appréciation matérielle justifiant la mesure de police

Outre la validation de la procédure, la cour confirme l’analyse de l’administration sur le fond, en reconnaissant que les conditions matérielles pour l’intervention de la police étaient réunies. Elle s’en remet largement aux constatations des agents assermentés pour qualifier le véhicule de déchet (A) et pour caractériser l’existence d’une atteinte grave à l’environnement (B).

A. La caractérisation du véhicule en tant que déchet

Les requérants contestaient la qualification d’épave, arguant que l’état du véhicule ne justifiait pas une telle mesure. La cour fonde son appréciation sur les rapports de police, qui font foi jusqu’à preuve du contraire. Elle relève que ces documents décrivent un véhicule dont « les roues (…) sont bloquées par des parpaings et d’autres objets volumineux posés autour » et que « les traces au sol confirmaient que ce dernier fourgon (…) n’avait pas été déplacé depuis très longtemps et aucun contrôle technique n’avait été effectué ». Pour le juge, ces éléments suffisent à établir que le véhicule semblait « privé des éléments indispensables à son utilisation normale et insusceptible de réparation immédiate », conformément aux critères de l’article L. 541-21-4 du code de l’environnement. Le juge adopte ici une méthode fondée sur le faisceau d’indices, où l’apparence extérieure et les conditions de stockage priment sur une expertise technique approfondie de l’état mécanique du véhicule. En considérant que les simples affirmations des requérants ne suffisent pas à apporter la preuve contraire aux constatations des agents assermentés, la cour réaffirme la forte valeur probante attachée aux procès-verbaux de police. Cette approche pragmatique permet à l’autorité administrative d’agir sur la base de constatations objectives et visibles, sans avoir à engager des expertises complexes et coûteuses pour chaque véhicule suspect.

B. La reconnaissance d’une atteinte grave à l’environnement

Enfin, les requérants niaient que l’entreposage du véhicule pût constituer une atteinte grave à l’environnement. La cour écarte ce moyen en se référant une nouvelle fois au rapport de la police municipale, qui mentionne un risque de pollution. Ce dernier indique en effet qu’en « cas d’écoulement d’huiles ou autres liquides insalubres, on peut craindre une pollution du sol et de cette rivière ». Le juge en déduit que le seul stockage de tels véhicules, même en l’absence de réparation sur place, est susceptible de générer des écoulements polluants et de caractériser une atteinte grave à l’environnement. Cette position témoigne d’une application préventive de la police administrative. Il n’est pas nécessaire de constater une pollution avérée ; le simple risque potentiel et crédible, notamment à proximité d’un cours d’eau, suffit à justifier l’intervention de l’autorité municipale. En validant cette analyse, la cour accorde une marge d’appréciation significative à l’administration dans l’évaluation du risque environnemental. Elle confirme ainsi que le pouvoir de police en matière de déchets vise non seulement à faire cesser les atteintes existantes, mais aussi et surtout à prévenir leur survenance, conformément à l’esprit du droit de l’environnement.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture