Cour d’appel administrative de Nantes, le 24 juin 2025, n°23NT00373

Par un arrêt en date du 24 juin 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’application de la loi Littoral. En l’espèce, un particulier s’est vu opposer un refus de permis de construire pour une maison individuelle par une autorité communale. Cette décision était motivée par la méconnaissance des règles d’urbanisme applicables aux communes littorales. Saisi d’une demande d’annulation de cet arrêté, le tribunal administratif de Rennes, par un jugement du 9 décembre 2022, a rejeté la requête. Le pétitionnaire a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que son projet se situait bien dans un village existant et qu’il ne constituait pas une extension de l’urbanisation au sens du code de l’urbanisme. Le problème de droit soulevé devant les juges d’appel portait donc sur la qualification juridique d’un secteur bâti au regard de la notion de « village » et sur la distinction entre une simple opération de construction et une « extension de l’urbanisation » dans un espace proche du rivage. La cour a annulé le jugement de première instance ainsi que l’arrêté de refus, estimant que le projet s’inscrivait en continuité d’un village et ne représentait pas une extension de l’urbanisation prohibée. Elle a par conséquent enjoint à l’autorité compétente de délivrer le permis sollicité.

Cet arrêt offre une illustration de l’interprétation pragmatique des notions cardinales de la loi Littoral, en rappelant d’une part la prééminence de l’analyse factuelle dans la qualification d’un village (I), et en réaffirmant d’autre part la distinction classique entre construction nouvelle et extension de l’urbanisation (II).

I. La qualification de village appréciée au regard de la consistance du tissu urbain

La cour administrative d’appel consacre une interprétation concrète de la notion de village, se fondant sur les caractéristiques objectives du bâti (A) et affirmant ainsi la portée relative des documents de planification (B).

A. La reconnaissance d’un village par l’analyse factuelle de l’urbanisation

La juridiction d’appel, pour infirmer la position de l’administration, a procédé à une analyse détaillée de la configuration des lieux. Elle relève ainsi que le lieu-dit concerné « comprend une cinquantaine de constructions densément implantées sans discontinuité le long d’un réseau de voies de circulation et présente un cœur ancien de constructions ». L’approche des juges repose sur un faisceau d’indices matériels, tels que le nombre, la densité et l’organisation des bâtiments. Cette méthode permet de définir le village non par une simple désignation administrative, mais par sa réalité physique et sa structure urbaine. En qualifiant le secteur de village au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, la cour confirme qu’un ensemble de constructions présentant une densité significative et une certaine organisation peut constituer une entité urbaine reconnue, même en l’absence de services ou d’équipements publics majeurs. Le raisonnement s’attache à la consistance du bâti existant, critère essentiel pour autoriser une construction en continuité.

B. La portée limitée de l’absence d’identification formelle dans le schéma de cohérence territoriale

L’un des apports de la décision est de préciser l’articulation entre l’appréciation du juge et les documents de planification. Le schéma de cohérence territoriale (SCOT) applicable n’identifiait pas le secteur en cause comme un village. Toutefois, la cour écarte cet argument en se livrant à sa propre évaluation des faits. Elle juge que, nonobstant le silence du SCOT, « le lieu-dit Michotte présente un nombre et une densité significatifs de constructions permettant de le regarder comme un village ». Cette solution réaffirme la pleine compétence du juge administratif pour apprécier si un secteur constitue un village, sur la base des caractéristiques qui lui sont propres. Elle rappelle que les documents d’urbanisme, s’ils guident l’administration, ne la dispensent pas d’un examen concret des situations, et ne lient pas le juge de manière absolue. La réalité factuelle d’une urbanisation dense et structurée prévaut donc sur une qualification formelle absente du document de planification.

La reconnaissance du caractère de village étant acquise, la cour devait ensuite examiner la conformité du projet avec les règles propres aux espaces proches du rivage.

II. La distinction maintenue entre construction et extension de l’urbanisation

La décision réitère une distinction jurisprudentielle fondamentale entre la simple construction et l’extension de l’urbanisation (A), ce qui conduit à neutraliser en l’espèce les contraintes spécifiques aux espaces proches du rivage (B).

A. L’application d’un critère fonctionnel à l’opération projetée

Abordant le second moyen soulevé par l’administration, tiré de la violation de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme, la cour examine la nature de l’opération. Après avoir constaté que la parcelle se situait bien dans un espace proche du rivage, elle analyse si le projet constituait une « extension de l’urbanisation ». Conformément à une jurisprudence établie, elle juge qu’une opération ne revêt ce caractère que si elle conduit à étendre ou renforcer de manière significative l’urbanisation existante. En l’espèce, le projet portant sur « la construction d’une maison individuelle d’habitation d’une surface de plancher de près de 130 m² » est qualifié de « simple opération de construction ». Cette analyse confirme que la construction d’une unique habitation, s’insérant dans un tissu déjà bâti sans en modifier substantiellement les caractéristiques, ne relève pas du régime restrictif de l’extension de l’urbanisation. La solution repose sur une appréciation de l’impact réel et de l’ampleur du projet.

B. La conséquence d’une inapplicabilité des contraintes de l’extension limitée

En qualifiant le projet de simple opération de construction, la cour le soustrait aux exigences spécifiques de justification prévues par l’article L. 121-13 pour les extensions de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage. Ces dispositions imposent que l’urbanisation soit non seulement limitée, mais aussi motivée par des critères stricts dans le plan local d’urbanisme. Puisque le projet n’est pas une extension, ces contraintes ne lui sont pas applicables. La décision illustre ainsi que la protection des espaces proches du rivage n’instaure pas une inconstructibilité de principe. Elle vise à maîtriser le développement urbain et à prévenir l’étalement, non à interdire toute construction nouvelle qui s’insère dans le respect des équilibres existants. La portée de cet arrêt demeure néanmoins celle d’une décision d’espèce, réaffirmant des principes bien établis plutôt qu’elle n’innove sur la définition des notions qu’elle met en œuvre.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture