Cour d’appel administrative de Nancy, le 28 janvier 2025, n°21NC02195

Par un arrêt en date du 28 janvier 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un permis de construire une maison d’habitation, contesté par une exploitation agricole voisine. La question centrale portait sur la régularité de la modification d’un plan local d’urbanisme ayant permis de réduire la distance d’implantation entre l’élevage et la nouvelle construction.

En l’espèce, une commune avait approuvé une modification de son plan local d’urbanisme, créant un secteur spécifique où la distance minimale d’éloignement par rapport aux bâtiments d’élevage était réduite de cinquante à vingt-cinq mètres. Sur le fondement de cette nouvelle disposition, le maire a délivré un permis de construire pour une maison individuelle à trente-et-un mètres d’un bâtiment d’élevage bovin appartenant à un groupement agricole d’exploitation en commun. Ce dernier a saisi le tribunal administratif pour demander l’annulation du permis, estimant la modification du plan local d’urbanisme illégale. Le tribunal ayant rejeté sa requête, le groupement a interjeté appel. Il soutenait notamment que la réduction d’une règle de distance, constituant une protection contre les nuisances, ne pouvait relever d’une simple procédure de modification mais nécessitait une procédure de révision du plan, plus exigeante.

Il était donc demandé à la cour administrative d’appel de déterminer si la réduction d’une distance de protection contre les nuisances agricoles au sein d’un plan local d’urbanisme relevait d’une procédure de modification ou d’une procédure de révision. Il lui appartenait ensuite de se prononcer sur les conséquences d’une éventuelle illégalité de cette procédure sur la validité d’un permis de construire délivré sur son fondement.

La cour juge que la réduction d’une telle protection imposait bien le recours à une procédure de révision. Elle déclare par voie d’exception l’illégalité de la modification du plan local d’urbanisme sur ce point. Constatant que le projet de construction ne respectait pas la distance de cinquante mètres fixée par le règlement sanitaire départemental, qui redevenait applicable, elle en conclut que le permis de construire est entaché d’illégalité. Cependant, considérant ce vice comme régularisable, la cour décide de surseoir à statuer afin de permettre à l’administration de délivrer un permis de construire modificatif.

La décision de la cour illustre de manière classique la sanction d’une illégalité affectant un document d’urbanisme (I), avant de mettre en œuvre les mécanismes de régularisation désormais privilégiés par le contentieux de l’urbanisme (II).

I. La sanction de l’illégalité d’une modification du plan local d’urbanisme

La cour procède en deux temps, en qualifiant d’abord l’erreur de procédure commise par la commune (A), pour en tirer ensuite les conséquences sur l’autorisation de construire contestée (B).

A. La qualification erronée de la procédure d’évolution du document d’urbanisme

La cour rappelle la distinction fondamentale établie par le code de l’urbanisme entre la révision et la modification du plan local d’urbanisme. En vertu de l’article L. 153-31 du code, la procédure de révision s’impose lorsque la commune décide de « réduire une protection édictée en raison des risques de nuisance ». La procédure de modification, plus souple, est réservée aux autres cas, conformément à l’article L. 153-36 du même code.

En l’espèce, le juge analyse la portée de la règle de distance d’implantation des constructions par rapport aux bâtiments d’élevage. Il relève que la distance de cinquante mètres prévue par le règlement sanitaire départemental, applicable par réciprocité aux constructions à usage d’habitation en vertu de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, constitue une « protection édictée en raison de risques de nuisance ». En conséquence, la décision de la commune de réduire cette distance à vingt-cinq mètres au sein d’un secteur UCa ne pouvait légalement être adoptée par une simple modification du plan. La cour censure ainsi le choix de la procédure, estimant que la commune aurait dû engager une révision, plus protectrice des intérêts en présence, notamment par l’organisation d’une enquête publique.

Le juge administratif opère ici un contrôle rigoureux du respect des procédures d’élaboration des normes d’urbanisme. Il confirme qu’une garantie de fond, telle qu’une protection contre les nuisances, ne peut être amoindrie par une procédure allégée. Cette solution réaffirme la hiérarchie des procédures d’urbanisme et la protection qu’elle confère aux tiers.

B. L’illégalité consécutive de l’autorisation d’urbanisme

Une fois l’illégalité de la modification du plan local d’urbanisme établie par voie d’exception, la cour en tire logiquement les conséquences sur le permis de construire litigieux. Elle applique pour cela le mécanisme prévu à l’article L. 600-12 du code de l’urbanisme, qui prévoit que l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un document d’urbanisme a pour effet de remettre en vigueur le document immédiatement antérieur.

En l’espèce, la déclaration d’illégalité de la disposition du règlement modifié créant la règle de distance de vingt-cinq mètres entraîne la remise en vigueur du règlement du plan local d’urbanisme dans sa version antérieure. Ce dernier ne contenant pas de règle de distance spécifique, il convient de se référer au règlement sanitaire départemental, lequel impose une distance de cinquante mètres. La cour constate alors que le projet de construction, situé à trente-et-un mètres de l’élevage, méconnaît cette règle. Le juge cite précisément que « la maison d’habitation autorisée par l’arrêté du 30 août 2019 est implantée à moins de 50 mètres du bâtiment d’élevage bovin ».

Le lien de causalité entre l’illégalité du document de planification et celle de l’autorisation individuelle est ainsi directement établi. Le permis de construire a été délivré sur le fondement d’une norme qui n’aurait pas dû exister sous cette forme, et il viole la norme qui aurait dû s’appliquer. Cette conclusion aurait pu conduire à l’annulation pure et simple de l’acte. Toutefois, la cour opte pour une solution plus constructive.

II. Le choix pragmatique d’une régularisation en lieu et place de l’annulation

Reflet du contentieux moderne de l’urbanisme, la décision ne s’arrête pas au constat de l’illégalité. Elle ouvre la voie à une correction du vice (A) en indiquant précisément les modalités d’une telle régularisation (B).

A. Le recours au sursis à statuer en vue d’une correction du vice

La cour met en œuvre l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, qui permet au juge administratif de surseoir à statuer lorsqu’il estime qu’un vice entraînant l’illégalité d’une autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé. Cet outil illustre une volonté de préserver les projets de construction des conséquences d’une annulation contentieuse, lorsque le vice n’est pas rédhibitoire et que l’économie générale du projet peut être sauvegardée.

Le juge considère en l’espèce que le vice tenant à la méconnaissance de la règle de distance est régularisable. Il écarte ainsi l’annulation immédiate, qui aurait eu des conséquences économiques et pratiques importantes pour le bénéficiaire du permis. La cour invite les parties à présenter leurs observations sur cette possibilité et décide de suspendre le cours de l’instance pour une durée de quatre mois, afin de laisser le temps à l’administration de prendre une mesure de régularisation.

Cette démarche pragmatique témoigne de la transformation du rôle du juge administratif, qui ne se contente plus de censurer mais accompagne l’administration vers une solution légale. Il ne s’agit plus seulement de juger le passé, mais de construire une solution pour l’avenir, en limitant l’impact de l’illégalité.

B. La mobilisation d’une dérogation comme mesure de régularisation

La cour ne se limite pas à ouvrir la possibilité d’une régularisation, elle en dessine les contours juridiques. Elle identifie le fondement qui pourrait permettre de surmonter légalement l’obstacle de la règle de distance : le quatrième alinéa de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime. Ce texte permet à l’autorité qui délivre le permis de construire d’autoriser une distance d’éloignement inférieure à la norme, après avis de la chambre d’agriculture, pour tenir compte des spécificités locales.

En indiquant cette voie, la cour montre que le projet n’est pas intrinsèquement incompatible avec la législation, mais que la bonne procédure n’a pas été suivie. La régularisation ne passe pas par une nouvelle modification du plan local d’urbanisme, mais par un permis de construire modificatif qui intégrerait cette dérogation individuelle. Le juge précise qu’une telle mesure « n’apporterait pas au projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même », condition nécessaire à la mise en œuvre de la régularisation.

Cette approche pédagogique du juge est remarquable. Elle guide l’action de l’administration et des pétitionnaires pour sécuriser le projet sur une base juridique saine. La solution retenue illustre parfaitement la primauté accordée par le droit de l’urbanisme contemporain à la recherche d’un équilibre entre le respect de la légalité et la réalité des projets.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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