Par un arrêt du 19 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Nancy a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une délibération par laquelle un établissement public de coopération intercommunale avait approuvé son plan local d’urbanisme. En l’espèce, un propriétaire foncier contestait ce document d’urbanisme, qui classait plusieurs de ses parcelles, jusqu’alors exploitées comme des prairies, en zone naturelle inconstructible. Ce classement faisait obstacle à ses projets, notamment celui d’édifier sa maison d’habitation sur l’une des parcelles concernées.
Saisi d’une requête en annulation de cette délibération, le tribunal administratif de Strasbourg l’avait rejetée par un jugement en date du 15 mars 2021. Le requérant a donc interjeté appel de cette décision, soulevant plusieurs moyens d’illégalité. Il soutenait d’une part que la procédure d’élaboration du plan était viciée, en raison d’une concertation menée avec les exploitants agricoles en dehors du cadre réglementaire et d’une analyse de la consommation foncière fondée sur des données obsolètes. D’autre part, il arguait que le classement de ses terrains en zone naturelle procédait d’une erreur manifeste d’appréciation et portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. La question qui se posait à la cour était donc de savoir si de telles irrégularités, tant procédurales que substantielles, étaient de nature à justifier l’annulation du plan local d’urbanisme intercommunal.
La cour administrative d’appel a rejeté l’ensemble des moyens soulevés par le requérant, confirmant ainsi le jugement de première instance et validant la délibération attaquée. Elle a considéré que les choix méthodologiques des auteurs du plan en matière de concertation et d’analyse étaient réguliers, et que leur appréciation dans la définition du zonage n’était entachée d’aucune illégalité. Cette décision illustre la marge d’appréciation dont disposent les autorités locales dans l’élaboration des documents d’urbanisme, ainsi que les limites du contrôle exercé par le juge administratif en la matière. L’appréciation par le juge des modalités de la concertation et de l’analyse foncière (I) précède ainsi l’examen du bien-fondé du classement au regard des objectifs du plan (II).
I. La validation des choix méthodologiques des auteurs du plan
La cour examine en premier lieu la régularité de la procédure d’élaboration du plan, en validant tant l’organisation d’une concertation élargie que la méthode d’analyse de la consommation foncière retenue par la communauté de communes.
A. La légalité affirmée d’une concertation élargie et facultative
Le requérant critiquait l’organisation d’une consultation spécifique des exploitants agricoles, estimant qu’aucune disposition ne prévoyait une telle démarche. La cour écarte ce moyen en opérant une distinction claire entre les modalités de concertation obligatoires et les initiatives supplémentaires que les auteurs d’un plan peuvent prendre. Elle juge qu’il est « loisible aux auteurs du plan local d’urbanisme, en sus des modalités définies par la délibération organisant la concertation, dont il n’est pas contesté qu’elles ont été respectées, d’organiser d’autres formes de consultation ». Cette solution pragmatique confirme que le respect du cadre minimal de concertation n’interdit pas à une collectivité d’aller au-delà pour affiner sa connaissance des besoins locaux. Loin de constituer un vice, une telle démarche est même présentée comme une bonne administration, la cour relevant que « le but de la consultation était précisément d’identifier les besoins des exploitants agricoles pour en tenir compte dans l’élaboration du plan ». En validant cette concertation facultative, le juge administratif encourage les autorités planificatrices à un dialogue approfondi avec les acteurs du territoire, sans que cela puisse, en soi, vicier la procédure.
B. L’admission d’une analyse de la consommation foncière par extrapolation
Le second moyen procédural portait sur l’analyse de la consommation d’espaces, qui doit, selon le code de l’urbanisme, porter sur les dix années précédant l’arrêt du projet. En l’espèce, les données disponibles s’arrêtaient en 2012 pour un projet arrêté en 2019. Pour combler cette lacune, les auteurs du plan avaient procédé à une extrapolation. La cour valide cette méthode, en soulignant qu’il s’agissait des « dernières données exploitables disponibles à la date d’arrêt du projet de plan ». Son contrôle se déplace alors de la méthode elle-même vers ses résultats. Elle relève qu’il « ne ressort pas pour autant des pièces du dossier que l’extrapolation (…) aurait abouti, en l’espèce, à fausser l’analyse de la consommation d’espaces ». Le juge administratif exige du requérant qu’il apporte des éléments concrets pour prouver que l’analyse aurait été « significativement sous-évaluée ou surévaluée ». En l’absence de tels éléments, la méthode est jugée recevable. Cette approche témoigne d’un contrôle pragmatique, qui ne sanctionne pas l’autorité planificatrice pour l’indisponibilité de données, dès lors qu’elle met en œuvre une solution raisonnable pour satisfaire aux exigences légales et que le résultat n’apparaît pas manifestement erroné.
II. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’autorité planificatrice
Après avoir validé la procédure, la cour se penche sur le fond du zonage et confirme la légalité du classement des parcelles du requérant, en rappelant la nature de son contrôle sur les choix d’urbanisme.
A. Le contrôle restreint sur le classement en zone naturelle
Le requérant soutenait que le classement de ses prairies en zone naturelle était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. La cour rappelle d’abord l’étendue de son office en la matière : « L’appréciation des auteurs du plan sur ces différents points ne peut être censurée par le juge administratif que si elle est fondée sur des faits matériellement inexacts ou entachée d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir. » Appliquant ce contrôle restreint, elle juge le classement cohérent avec le « parti d’aménagement » du plan, qui visait à protéger les espaces naturels et les zones humides. Elle précise qu’une exploitation agricole n’est pas incompatible avec un caractère d’espace naturel, affirmant qu’une « telle nature d’exploitation agricole n’a pas pour effet de priver des terrains de leur caractère d’espaces naturels ». La circonstance que d’autres parcelles similaires aient reçu un classement différent est jugée sans influence sur la légalité du choix opéré pour les terrains en cause. Le juge refuse ainsi de substituer son appréciation à celle des auteurs du plan, dès lors que leur choix est cohérent et ne repose pas sur une erreur flagrante.
B. La conciliation de l’urbanisme avec la liberté d’entreprendre
Enfin, la cour examine l’argument tiré d’une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. Le requérant estimait que le plan, en ne prévoyant des zones constructibles que pour les projets des agriculteurs déjà installés, entravait toute nouvelle installation. La cour rejette ce moyen en rappelant qu’il « est de nature de toute réglementation d’urbanisme de distinguer des zones où les possibilités de construction et d’activités sont différentes ». Une telle réglementation ne constitue une atteinte illégale à la liberté d’entreprendre que si la délimitation des zones repose sur une appréciation manifestement erronée. Ayant déjà écarté l’erreur manifeste d’appréciation, la cour conclut logiquement à l’absence d’atteinte illégale. Elle renforce son raisonnement en relevant que le plan traduisait « la conciliation des différents intérêts en présence » et qu’au surplus, « un secteur supplémentaire (…) a également été classé en zone AC afin de permettre une éventuelle installation de nouveaux agriculteurs ». Cette décision réaffirme que la liberté d’entreprendre, comme d’autres libertés, doit se concilier avec les objectifs d’intérêt général poursuivis par les règles d’urbanisme, dont la préservation des espaces naturels et agricoles constitue une composante essentielle.