Cour d’appel administrative de Marseille, le 4 juillet 2025, n°24MA02491

Par un arrêt en date du 4 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur la légalité d’une convention d’occupation du domaine public conclue sans procédure de sélection préalable. En l’espèce, une commune avait autorisé une société de restauration à occuper une partie de son domaine public pour y installer une terrasse, et ce pour une durée d’un an. Cette décision s’inscrivait dans le contexte de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19, visant à soutenir les restaurateurs ne disposant pas d’espaces extérieurs. Une autre société de restauration, qui exploitait un établissement pourvu de terrasses, a contesté cette autorisation.

Saisi d’un recours en contestation de la validité du contrat, le tribunal administratif de Nice, par un jugement du 23 juillet 2024, avait annulé la convention. Les premiers juges avaient en effet considéré que le manquement de la commune à ses obligations de publicité et de mise en concurrence caractérisait une intention de favoriser le bénéficiaire de l’autorisation. La commune a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’urgence et les circonstances exceptionnelles justifiaient la dérogation aux règles de procédure. La société intimée a conclu au rejet de la requête, estimant le jugement de première instance fondé.

La question de droit soumise à la cour administrative d’appel était donc de déterminer si le non-respect des règles de sélection préalables à l’octroi d’un titre d’occupation du domaine public à des fins d’exploitation économique constitue un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat, alors même que l’administration invoque des circonstances exceptionnelles et l’absence de toute intention de favoriser un candidat.

À cette question, la cour administrative d’appel répond par la négative. Elle juge que, si la procédure de sélection a bien été méconnue, les circonstances particulières de l’espèce, tenant à la crise sanitaire et à l’objectif d’intérêt général poursuivi par la commune, permettent d’écarter toute intention de favoritisme. Analysant la situation de manière concrète, la cour relève que la commune « s’est crue de bonne foi dans une telle situation d’urgence » et que son choix reposait sur un critère objectif et pertinent au regard du but recherché. Dès lors, le vice entachant la convention n’est pas d’une gravité telle qu’il doive entraîner son annulation.

I. La neutralisation du vice procédural par la prise en compte du contexte d’exception

La cour administrative d’appel, pour infirmer le jugement de première instance, se livre à une appréciation approfondie des circonstances de fait pour écarter la qualification de favoritisme (A), ce qui la conduit à reconnaître la bonne foi de l’administration dans un contexte d’urgence (B).

A. L’appréciation concrète des faits écartant l’intention de favoriser

Le juge d’appel opère une analyse détaillée du contexte économique et sanitaire ayant présidé à la conclusion de la convention litigieuse. Il constate que la démarche de la commune « trouve son origine dans un contexte général de difficultés économiques rencontrées par ces derniers, du fait des mesures de confinement et de limitation de l’accueil du public ». Loin de se limiter à un constat formel de l’irrégularité procédurale, la cour s’attache à rechercher la finalité de la décision administrative. Elle valide ainsi le critère de sélection retenu par la commune, qui consistait à privilégier les restaurateurs ne disposant pas d’espaces extérieurs afin de leur permettre de maintenir une activité économique.

En relevant que la société requérante disposait déjà « de deux espaces en plein air lui permettant de recevoir sa clientèle », la cour met en évidence une différence de situation objective entre les candidats potentiels. Cette approche pragmatique permet de justifier la rupture d’égalité apparente. Par conséquent, il ne résultait pas de l’instruction que la commune « aurait eu la volonté de favoriser un candidat par rapport à d’autres ». Ce faisant, la cour se refuse à déduire mécaniquement l’existence d’un favoritisme du seul manquement à l’obligation de mise en concurrence, privilégiant une analyse substantielle de l’intention de l’administration.

B. La reconnaissance de l’urgence et de la bonne foi de l’administration

La décision commentée s’appuie sur les dispositions dérogatoires prévues par le code général de la propriété des personnes publiques. L’article L. 2122-1-2 de ce code dispense l’autorité compétente de la procédure de sélection lorsque « l’urgence le justifie ». La cour prend acte du fait que la commune s’est explicitement fondée sur cette exception, et surtout, qu’elle « s’est crue de bonne foi dans une telle situation d’urgence » au regard du contexte de l’épidémie de covid-19. Cette prise en compte de la bonne foi de l’administration est déterminante dans le raisonnement du juge.

Elle suggère qu’une erreur d’appréciation sur la portée exacte de la notion d’urgence ne suffit pas, à elle seule, à vicier irrémédiablement le contrat, dès lors que cette croyance est étayée par des circonstances exceptionnelles et un objectif légitime. La cour fait ainsi preuve d’une certaine souplesse, reconnaissant que la gravité d’un vice doit s’évaluer non seulement au regard de la règle transgressée, mais aussi des conditions dans lesquelles l’administration a agi. L’absence d’intention frauduleuse devient un élément central de l’appréciation du juge, ce qui atténue la portée du manquement procédural.

II. Une sanction limitée du vice procédural en l’absence de gravité suffisante

La solution retenue par la cour administrative d’appel s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence relative à l’office du juge du contrat, qui module les conséquences d’une illégalité en fonction de sa gravité (A), aboutissant à une décision pragmatique qui préserve la sécurité des relations contractuelles (B).

A. Le refus de prononcer l’annulation en l’absence d’un vice d’une particulière gravité

Le juge d’appel applique avec rigueur la grille d’analyse dégagée par le Conseil d’État depuis l’arrêt *Société Tropic Travaux Signalisation*. Saisi d’un recours de pleine juridiction, le juge du contrat dispose d’une palette de pouvoirs allant de la simple poursuite du contrat à son annulation. Cette dernière sanction, la plus sévère, est réservée aux vices les plus graves, tels qu’un contenu illicite ou un vice du consentement. En l’espèce, après avoir écarté l’intention de favoriser, la cour en déduit logiquement que le vice n’atteint pas le seuil de gravité requis.

Elle conclut en effet que la convention « n’a pas un contenu illicite, qu’elle n’est pas affectée d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit relever d’office ». Cette motivation illustre parfaitement la hiérarchisation des illégalités opérée par le juge administratif. Le manquement à une règle de procédure, bien que réel, est considéré comme une irrégularité qui, dans les circonstances de l’espèce, ne compromet pas les éléments essentiels du contrat. La cour refuse ainsi de sanctionner de la manière la plus radicale une illégalité qui n’est pas assortie d’une atteinte substantielle aux principes fondamentaux de la commande publique.

B. La portée d’une solution pragmatique en matière de contentieux contractuel

La décision commentée, bien que fortement motivée par les faits de l’espèce et le contexte exceptionnel de la crise sanitaire, témoigne d’une approche pragmatique du contentieux contractuel. En refusant de prononcer l’annulation d’une convention dont l’exécution était achevée depuis plusieurs années, la cour évite une sanction purement symbolique et potentiellement source d’insécurité juridique. Elle démontre que l’office du juge n’est pas seulement de censurer les illégalités, mais aussi d’apprécier les conséquences de sa décision sur l’intérêt général et la stabilité des situations juridiques.

Cette solution, si elle peut être perçue comme une forme d’indulgence à l’égard de l’irrégularité commise, renforce le pouvoir d’appréciation du juge du contrat. Elle confirme qu’une analyse au cas par cas est indispensable pour déterminer la sanction appropriée d’un vice. La portée de cet arrêt réside ainsi dans sa contribution à un équilibre délicat : maintenir l’exigence du respect des procédures de mise en concurrence, principe essentiel du droit public économique, tout en reconnaissant que des circonstances exceptionnelles et la bonne foi de l’administration peuvent en moduler les conséquences contentieuses, évitant ainsi un formalisme excessif.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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