Par un arrêt en date du 30 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur les modalités d’évaluation de la valeur locative d’un bien immobilier dans le cadre d’un redressement fiscal. En l’espèce, une société civile immobilière, propriétaire d’une villa de prestige, avait consenti un bail à son associé-gérant pour un loyer mensuel de 3 000 euros. L’administration fiscale, estimant ce loyer anormalement bas, a remis en cause les déficits fonciers déclarés par la société, ce qui a entraîné l’assujettissement du gérant à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu. Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Toulon, qui a rejeté sa demande de décharge. Saisie en appel par l’intéressé, la cour devait donc se prononcer sur la légalité de la méthode employée par l’administration pour réévaluer la valeur locative du bien. Le requérant soutenait principalement que l’évaluation devait se faire par comparaison avec des biens similaires et, subsidiairement, qu’une décote pour vétusté devait être appliquée. La cour administrative d’appel rejette l’ensemble de ces prétentions et confirme le jugement de première instance. Elle juge que, en l’absence de biens comparables sur le marché locatif local, l’administration était fondée à déterminer la valeur locative en appliquant un taux de rendement à la valeur d’acquisition du bien. Il convient donc de s’interroger sur la méthode de détermination de la valeur locative normale d’un bien d’exception en l’absence de termes de comparaison pertinents. La décision clarifie ainsi les prérogatives de l’administration fiscale dans l’évaluation des loyers manifestement sous-évalués en validant une méthode d’estimation subsidiaire (I), rappelant par là même avec fermeté les conditions d’imposition des revenus fonciers dans le cadre de locations intragroupes (II).
I. La confirmation d’une méthode d’évaluation subsidiaire de la valeur locative
La Cour administrative d’appel, pour confirmer le redressement opéré, a d’abord écarté la méthode d’évaluation par comparaison proposée par le contribuable, jugée inopérante en l’espèce (A), pour ensuite valider l’approche alternative retenue par l’administration fiscale, fondée sur le rendement de l’actif (B).
A. Le rejet de la méthode par comparaison en l’absence de termes pertinents
Le contribuable arguait que la valeur locative de sa villa devait être appréciée par référence à des locations de biens similaires, produisant à cet effet un rapport d’expertise. Toutefois, la cour observe que l’évaluation proposée se fonde sur « des moyennes générales des loyers des maisons dans le département du Var ». Elle estime donc que le requérant ne conteste pas sérieusement l’absence de baux concernant des propriétés de standing équivalent et louées à l’année sur le territoire de la commune concernée. En raison du « caractère exceptionnel, tant par la nature de sa construction que par sa situation géographique » de la propriété, les termes de comparaison fournis n’étaient pas pertinents. Cette approche confirme une jurisprudence constante qui exige que la comparaison soit effectuée avec des biens intrinsèquement similaires et situés dans un environnement comparable. Le juge administratif exerce ici un contrôle concret sur la pertinence des éléments de comparaison, refusant de tenir compte de données statistiques générales qui ne reflètent pas les spécificités d’un bien de luxe. L’échec de la méthode par comparaison ouvre alors la voie à une autre modalité d’évaluation.
B. La consécration de la méthode par le rendement comme alternative légitime
Face à l’impossibilité de trouver des biens comparables, l’administration fiscale avait « fait application d’un taux de rendement de 2,4 % au prix d’acquisition ». Cette méthode a permis de déterminer un loyer mensuel de 14 000 euros, très éloigné du montant contractuel. En validant ce raisonnement, la cour consacre la légitimité de la méthode par le rendement en tant qu’outil subsidiaire d’évaluation. Cette solution pragmatique permet à l’administration de ne pas rester démunie lorsque le marché locatif local ne fournit pas les données nécessaires pour une évaluation directe. Le choix d’asseoir le calcul sur le prix d’acquisition, actualisé par un indice publié par l’INSEE, offre une base objective et vérifiable, limitant l’arbitraire. La décision illustre ainsi la hiérarchie des méthodes d’évaluation : la comparaison demeure la référence, mais son échec justifie le recours à une approche fondée sur la valeur patrimoniale du bien, assurant ainsi l’effectivité du contrôle de l’administration sur le juste niveau des loyers déclarés.
La validation de la méthode d’évaluation employée par l’administration fiscale a des conséquences directes sur l’appréciation du caractère anormal du loyer, ce qui renforce le contrôle des montages patrimoniaux et fiscaux.
II. La portée de la solution : un rappel à l’orthodoxie fiscale pour les locations intragroupes
Au-delà de la question technique de l’évaluation, cet arrêt constitue une mise en garde sévère adressée aux propriétaires bailleurs, en particulier dans le cadre de relations sociétaires. La cour procède à une appréciation rigoureuse du caractère anormalement bas du loyer (A), tout en soulignant implicitement l’obligation pour les parties liées de respecter des conditions de marché normales (B).
A. L’appréciation rigoureuse du caractère anormalement bas du loyer
L’arrêt met en évidence l’écart substantiel entre le loyer perçu par la société civile immobilière et la valeur locative réelle du bien telle que réévaluée. La Cour conclut que le loyer pratiqué est « notablement inférieur à sa valeur locative réelle ». Cette disproportion manifeste justifie, en l’absence de circonstances particulières indépendantes de la volonté du propriétaire, la réintégration dans les revenus fonciers de la différence constatée. Le juge administratif refuse par ailleurs d’admettre la demande subsidiaire d’une décote pour vétusté, estimant que le contribuable « n’établit pas » l’état dégradé de la villa, malgré la production d’un rapport et d’une attestation. Cette exigence probatoire stricte renforce l’idée que le contribuable qui s’écarte des conditions normales de marché doit être en mesure de le justifier par des éléments précis et circonstanciés. La décision rappelle ainsi que la minoration d’un loyer ne saurait résulter d’un simple choix de gestion, mais doit être dictée par des contraintes réelles et prouvées.
B. L’indifférence de la situation personnelle du locataire et la portée de la décision
Bien que la décision se concentre sur l’évaluation objective du bien, le contexte factuel, à savoir la location par une société à son propre gérant et associé, est un élément essentiel. Le montage permettait de générer des déficits fonciers imputables sur le revenu global de l’associé, tout en lui assurant la jouissance d’un bien d’exception à un coût très faible. En redressant la situation, le juge administratif réaffirme un principe fondamental du droit fiscal : les transactions, y compris au sein d’un même groupe ou entre une société et ses dirigeants, doivent s’effectuer dans des conditions analogues à celles qui prévaudraient entre des tiers indépendants. Le fait que le locataire soit également l’associé de la société bailleresse est sans incidence sur l’obligation pour cette dernière de retirer de son patrimoine un revenu normal. Il s’agit ici d’une décision d’espèce dont la solution est fortement liée aux caractéristiques exceptionnelles du bien, mais sa portée est néanmoins générale. Elle rappelle à tous les détenteurs de patrimoine immobilier, par le biais de sociétés, que la mise à disposition d’un bien à un associé doit correspondre à une logique économique et non purement fiscale.