Cour d’appel administrative de Marseille, le 27 juin 2025, n°24MA01234

L’usager d’un ouvrage public victime d’un dommage trouve dans le régime de la responsabilité administrative une protection étendue, engageant la responsabilité sans faute de la collectivité en charge de l’ouvrage. Cet arrêt, rendu par une cour administrative d’appel le 27 juin 2025, illustre ce principe tout en y ajoutant la complexité des relations entre la collectivité et son délégataire de service public. En l’espèce, une personne âgée a subi une chute sur un trottoir, occasionnée par le basculement d’une plaque d’égout. Cet accident lui a causé d’importantes blessures. La victime a alors recherché la responsabilité de la métropole en charge de la gestion de la voie publique. Par un jugement du 21 mars 2024, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à sa demande, condamnant la métropole à l’indemniser intégralement, ainsi que la caisse primaire d’assurance maladie. La métropole a interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement qu’elle devait être mise hors de cause au profit de la société privée délégataire du service d’assainissement, ou, subsidiairement, que la victime avait commis une faute d’imprudence. Elle demandait en tout état de cause à être garantie par la société délégataire des condamnations prononcées à son encontre.

Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si la collectivité gestionnaire de la voirie pouvait s’exonérer de sa responsabilité envers l’usager du fait de l’existence d’un contrat de délégation de service public portant sur l’entretien de l’ouvrage en cause. En cas de réponse négative, il leur appartenait de se prononcer sur les conditions dans lesquelles cette collectivité pouvait néanmoins obtenir la garantie de son cocontractant privé. La cour administrative d’appel confirme la responsabilité de plein droit de la métropole envers la victime, au motif que la plaque d’égout constitue un accessoire de la voie publique dont elle a la garde. Elle écarte toute faute de la victime. Cependant, elle fait droit à l’appel en garantie, jugeant que la défaillance dans l’entretien incombait contractuellement au délégataire, et condamne ce dernier à garantir la métropole à hauteur de 70 % des condamnations.

La décision établit ainsi une distinction claire entre le rapport d’obligation liant le gardien de l’ouvrage à l’usager, et le rapport de contribution à la dette entre la personne publique et son délégataire. Il convient donc d’analyser la confirmation de la responsabilité de principe de la collectivité à l’égard de la victime (I), avant d’étudier le partage de la charge finale de l’indemnisation opéré par le juge (II).

***

I. La confirmation de la responsabilité de principe du gardien de l’ouvrage public à l’égard de l’usager

La cour d’appel réaffirme avec force le principe selon lequel le maître de l’ouvrage public est le premier responsable des dommages causés aux usagers. Pour ce faire, elle qualifie juridiquement l’élément à l’origine du dommage comme une dépendance de la voie publique (A), ce qui l’amène logiquement à écarter les moyens d’exonération soulevés par la collectivité (B).

A. L’incorporation de la plaque litigieuse à la voie publique, fondement de la responsabilité du gestionnaire de voirie

Le juge administratif, pour déterminer le débiteur de l’obligation de réparation, s’attache à la qualité de l’ouvrage et à son lien avec le dommage. En l’espèce, la métropole tentait de se décharger de sa responsabilité en arguant que la plaque d’égout appartenait au réseau d’assainissement, dont la gestion était déléguée à une société privée. L’argument est cependant balayé par la cour, qui retient une lecture fonctionnelle de la situation. Elle énonce que « La plaque d’égout située sur le trottoir (…), et sur laquelle Mme A… soutient avoir chuté suite à son basculement, est incorporée à la voie publique gérée par la métropole TPM, dont il constitue une dépendance nécessaire. »

Cette qualification est déterminante. En considérant la plaque non comme un simple élément du réseau d’assainissement mais comme un accessoire indissociable du trottoir, la cour ancre la responsabilité sur le terrain de la gestion de la voirie. Dès lors, la victime ayant la qualité d’usagère de la voie publique, son seul interlocuteur légitime pour une action en responsabilité est le gardien de cette voie, à savoir la métropole. Le contrat d’affermage liant la collectivité à la société privée est, à ce stade du raisonnement, inopposable à la victime. L’existence de ce contrat est une affaire interne à l’administration et à son partenaire, qui ne saurait modifier le régime de responsabilité applicable aux usagers des ouvrages publics.

B. Le rejet des causes classiques d’exonération

Une fois le principe de la responsabilité posé, la collectivité ne pouvait s’en exonérer qu’en prouvant un entretien normal de l’ouvrage, la faute de la victime ou un cas de force majeure. Sur ce point, l’arrêt est également sans équivoque. D’une part, concernant l’entretien normal, la métropole se contente d’hypothèses, avançant que la plaque aurait pu être déplacée par un tiers peu avant l’accident. Le juge considère que de telles allégations, non étayées, ne sauraient constituer la preuve d’un entretien normal qui lui incombe. Le simple fait que la plaque ait basculé suffit à caractériser le défaut de l’ouvrage.

D’autre part, la cour écarte la faute de la victime avec la même netteté. Elle relève que le danger créé par une plaque d’égout descellée « ne constitue pas un obstacle que tout usager de la voie publique peut normalement s’attendre à rencontrer. » Même si l’accident a eu lieu de jour, le caractère imprévisible et anormal du danger, qui n’était pas signalé, empêche de retenir une quelconque faute d’imprudence de la part de la piétonne. Cette solution, protectrice pour l’usager, réaffirme l’obligation de sécurité pesant sur le gestionnaire de la voirie, qui doit garantir un usage normal et sans risque de ses dépendances.

II. Le partage de la charge finale de la dette entre la collectivité et son délégataire

Si la métropole est jugée seule responsable à l’égard de la victime, la question de la répartition définitive de la charge financière se pose dans le cadre de l’appel en garantie. Le juge administratif va alors pénétrer dans la sphère contractuelle pour fonder la garantie (A), tout en procédant à un partage qui révèle une appréciation souveraine des fautes respectives (B).

A. La faute contractuelle du délégataire, fondement de l’appel en garantie

La métropole, bien que condamnée, obtient gain de cause dans son action récursoire contre la société privée. Le fondement de cette action n’est plus la responsabilité pour dommage de travaux publics, mais la responsabilité contractuelle. La cour se livre à une analyse minutieuse du contrat d’affermage et de son cahier des charges. Elle relève que plusieurs articles mettaient explicitement à la charge du fermier « les travaux d’entretien et de réparation » du réseau, incluant le « remplacement des accessoires de voirie (tampons de regards) ».

Le raisonnement est limpide : le désordre de l’ouvrage, cause directe du dommage, provient d’un manquement aux obligations d’entretien qui pesaient contractuellement sur le délégataire. La cour en déduit que « La responsabilité des dommages imputables au fonctionnement de l’ouvrage relevait dès lors du délégataire. » La faute de la société privée, consistant en une mauvaise exécution de ses obligations contractuelles, est donc établie. Cette faute ayant conduit la collectivité à être condamnée, celle-ci est fondée à demander que son cocontractant la garantisse. L’appel en garantie permet ainsi de faire coïncider la charge finale de la dette avec l’auteur véritable de la défaillance matérielle.

B. Une garantie partielle, reflet d’une responsabilité partagée in fine

L’aspect le plus notable de cette seconde partie de l’arrêt réside dans le quantum de la garantie. La cour ne condamne pas la société privée à garantir intégralement la métropole, mais fixe cette garantie à hauteur de 70 %. Ce partage, que le juge n’explicite pas en détail, n’en est pas moins riche de sens. Il signifie que la collectivité n’est pas totalement exonérée de toute responsabilité dans la survenance du dommage. En laissant 30 % de la charge à la métropole, la cour semble considérer que celle-ci a commis une faute propre.

Cette faute résiduelle peut être interprétée comme un défaut dans son obligation de surveillance et de contrôle de son délégataire. En tant qu’autorité délégante et gardienne ultime de la sécurité sur son domaine public, la métropole ne peut se décharger entièrement de ses prérogatives sur son cocontractant. Elle conserve un devoir de supervision générale, et le fait qu’un ouvrage dangereux soit resté sur la voie publique sans intervention engage, au moins pour partie, sa propre responsabilité dans ses rapports avec le délégataire. L’arrêt illustre ainsi parfaitement la dualité des responsabilités : une responsabilité de plein droit et sans partage envers l’usager, et une responsabilité pour faute, susceptible de partage, dans les relations entre la personne publique et ses partenaires.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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