Cour d’appel administrative de Marseille, le 20 décembre 2024, n°24MA00378

L’occupation illégale du domaine public par des installations privées constitue une source de contentieux récurrent, particulièrement sur le littoral. Lorsqu’une décision de justice ordonnant la remise en état des lieux n’est pas exécutée, le juge peut prononcer une astreinte, dont la liquidation ultérieure soulève des questions de procédure et de fond. En l’espèce, une société et ses gérantes successives ont fait l’objet de deux condamnations distinctes, en 2019 puis en 2021, pour contravention de grande voirie en raison de l’implantation d’une terrasse et d’autres équipements sur une plage. Ces jugements, devenus définitifs, leur enjoignaient de restaurer le site, sous peine d’astreintes journalières. Le 30 janvier 2024, le président du tribunal administratif de Bastia a procédé à la liquidation de ces astreintes en condamnant solidairement la société et sa nouvelle gérante au paiement d’une somme globale. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Marseille a dû se prononcer sur la régularité de cette liquidation et sur les arguments soulevés par les requérantes pour justifier l’inexécution des injonctions. Le problème de droit posé à la cour portait sur les conditions de validité de la liquidation d’une astreinte, notamment au regard de la notification du jugement initial et de la personne du débiteur, ainsi que sur l’admissibilité des moyens de défense, tels qu’une prétendue impossibilité d’exécution tirée de la protection de l’environnement, au stade de l’exécution d’une décision de justice devenue définitive. Par un arrêt du 20 décembre 2024, la cour administrative d’appel annule le jugement de première instance pour irrégularité, estimant que le juge ne pouvait liquider une astreinte à l’encontre d’une personne pour une période où elle n’était pas visée par l’injonction. Statuant à nouveau par évocation, elle écarte la liquidation de la première astreinte en raison d’une notification défectueuse du jugement de 2019, mais valide le principe de la liquidation de la seconde astreinte à compter de la notification régulière du jugement de 2021, tout en en modérant le montant. Cette décision illustre la dualité du contrôle opéré par le juge de l’astreinte, qui se montre d’une part rigoureux sur le respect des conditions formelles de la liquidation (I), et d’autre part ferme quant au rejet des moyens de fond visant à remettre en cause l’autorité de la chose jugée (II).

I. Un contrôle rigoureux des conditions formelles préalables à la liquidation de l’astreinte

La cour administrative d’appel rappelle que la liquidation d’une astreinte est subordonnée au respect de conditions de forme strictes, dont le non-respect entraîne une sanction radicale. Cette rigueur se manifeste tant dans l’appréciation de la régularité du jugement de liquidation initial, sanctionné pour avoir méconnu la portée personnelle de l’astreinte (A), que dans le refus de liquider une astreinte dont le point de départ n’a jamais pu courir faute de notification valable (B).

A. L’annulation du jugement de liquidation pour confusion des débiteurs

L’astreinte, mesure de contrainte personnelle, ne peut être liquidée qu’à l’encontre de la personne expressément visée par l’injonction. En l’espèce, le premier juge avait liquidé les astreintes issues de deux jugements distincts en condamnant la nouvelle gérante au paiement d’une somme couvrant une période où seule la gérante précédente était concernée. La cour administrative d’appel censure cette démarche et retient que « le premier juge ne pouvait, par le biais de la jonction à laquelle il a procédé, liquider à la charge de Mme D… une astreinte pour la période antérieure à la notification du jugement du 29 avril 2021, qui seul lui enjoignait, sous astreinte, de remettre les lieux en l’état ». Cette annulation réaffirme le principe selon lequel l’obligation de faire est attachée à la personne du débiteur désigné par le juge. La cour tire également les conséquences de ce principe en supprimant l’astreinte prononcée à l’encontre de l’ancienne gérante, relevant que sa cessation de fonction « fait obstacle à ce que cette dernière remette les lieux occupés par cette société en leur état initial ». Le pragmatisme du juge se joint ici à la rigueur juridique pour ne pas maintenir une mesure coercitive devenue manifestement inapplicable.

B. Le refus de liquidation en l’absence de notification régulière

Le point de départ du cours de l’astreinte est un élément essentiel, conditionné par la notification effective du jugement qui la prononce. L’arrêt commenté illustre l’importance capitale de cette formalité en refusant de liquider l’astreinte prononcée par le jugement de 2019 à l’encontre de la société. La cour relève que la notification n’a pas été effectuée au siège social, mais auprès d’une personne qui n’avait plus la qualité pour la représenter. Elle en conclut que « le jugement ne peut être regardé comme ayant été notifié à la SARL Ingénierie touristique hôtelière dans les conditions prévues à l’article L. 774-6 du code de justice administrative » et que, par conséquent, « l’astreinte prononcée (…) n’a pu commencer à courir ». À l’inverse, s’agissant du second jugement, la cour adopte une approche plus souple et pragmatique, validant une notification effectuée au siège de la société, bien que le document ait été « improprement qualifié de « décision de la préfecture » » et non remis au domicile personnel de la gérante. Cette distinction montre que si le formalisme est requis, il s’efface lorsque la preuve est rapportée que le destinataire a bien reçu l’acte et en a compris la teneur, garantissant ainsi le caractère exécutoire de la décision.

II. Le rejet des contestations de fond face à l’autorité de la chose jugée

Une fois le principe de l’astreinte validé sur le plan formel, la cour administrative d’appel se montre inflexible face aux tentatives des requérantes de contester sur le fond l’obligation de remise en état. Elle rejette fermement l’argument tiré d’une prétendue impossibilité d’exécution liée à la protection de l’environnement (A), avant d’user de son pouvoir souverain pour modérer le montant final de l’astreinte liquidée (B).

A. L’inopposabilité de l’obstacle environnemental non instruit

L’argument principal des requérantes reposait sur une cause d’impossibilité d’exécution relevant de la force majeure. Elles soutenaient que la démolition des ouvrages porterait atteinte à des espèces végétales protégées, contrevenant ainsi aux dispositions du code de l’environnement. La cour écarte ce moyen avec une logique implacable, en soulignant que les débitrices de l’obligation de démolir n’ont accompli aucune démarche pour régulariser leur situation au regard de la législation qu’elles invoquent. Elle précise que « si elles font valoir que l’exécution de ces mesures est impossible (…), d’une part, elles ne l’établissent pas, d’autre part, elles n’allèguent pas avoir déposé auprès du préfet, comme il leur appartient de le faire si cela est nécessaire, un dossier sollicitant une dérogation ». Cette solution revêt une portée significative : elle signifie qu’un contrevenant ne peut se prévaloir d’une contrainte juridique, fût-elle d’ordre public environnemental, pour échapper à l’exécution d’une condamnation, s’il n’a pas au préalable épuisé les voies de droit que cette même législation lui ouvre pour surmonter l’obstacle. Le juge de l’astreinte refuse ainsi que l’inexécution d’une décision de justice soit justifiée par l’inaction même du débiteur.

B. La modulation souveraine du montant de la condamnation

Si le juge se montre strict sur le principe de l’exécution, il dispose d’une marge d’appréciation pour en quantifier la sanction financière. Après avoir constaté l’inexécution persistante du jugement de 2021 sur une période de 952 jours, la cour procède à la liquidation de l’astreinte. Toutefois, elle use de son pouvoir modérateur en ramenant le montant journalier de 1 500 euros à 200 euros. Elle justifie cette décision « eu égard à l’importance du montant de l’astreinte prononcée et aux caractéristiques de la SARL Ingénierie touristique hôtelière ». Cet usage du pouvoir de modulation, loin de traduire une forme de laxisme, témoigne d’une volonté de proportionner la sanction à la fois à la gravité du manquement et à la situation concrète du débiteur. L’astreinte conserve ainsi son caractère coercitif sans pour autant devenir une sanction confiscatoire, illustrant l’équilibre que le juge administratif recherche entre l’impératif d’exécution de ses décisions et la réalité économique des justiciables.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture