Cour d’appel administrative de Marseille, le 16 juillet 2025, n°23MA02319

Par un arrêt en date du 16 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a précisé les conditions de mise en œuvre du sursis à statuer en vue de la régularisation d’une autorisation d’urbanisme. En l’espèce, une déclaration préalable de travaux portant sur la surélévation d’un mur de clôture a fait l’objet d’une décision de non-opposition de la part d’une autorité municipale le 30 avril 2021. Un voisin direct a formé un recours gracieux, lequel a été implicitement rejeté, puis a saisi le tribunal administratif de Bastia d’une demande d’annulation de ces deux décisions. Par un jugement du 7 juillet 2023, le tribunal a rejeté sa demande. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement. Au cours de l’instance d’appel, la bénéficiaire de l’autorisation est décédée, et une première décision avant dire droit du 4 février 2025 a été rendue afin de permettre à ses ayants droit de reprendre l’instance. Les démarches pour les identifier s’étant avérées infructueuses, la Cour a néanmoins décidé de statuer sur le fond de l’affaire.

Le juge d’appel devait donc déterminer si le défaut de consultation d’une autorité gestionnaire de la voirie constituait une illégalité entachant la décision de non-opposition. Il lui fallait ensuite se prononcer sur la possibilité de recourir au mécanisme de régularisation prévu par le code de l’urbanisme, alors même que les ayants droit de la bénéficiaire de l’autorisation demeuraient inconnus et n’avaient pu reprendre l’instance. La Cour administrative d’appel a d’abord constaté l’illégalité de la décision attaquée en raison d’un vice de procédure. Elle a toutefois décidé, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, de surseoir à statuer afin que l’administration puisse procéder à la régularisation de ce vice, et ce, nonobstant l’impossibilité d’identifier les héritiers de la bénéficiaire de l’autorisation. La décision illustre ainsi une application extensive du pouvoir de régularisation du juge, après avoir rappelé le cadre strict du contrôle des procédures d’urbanisme.

La Cour opère une sanction rigoureuse du formalisme procédural (I), avant de faire prévaloir une logique pragmatique de régularisation sur l’annulation contentieuse (II).

***

I. La sanction d’une exigence procédurale garante de la cohérence administrative

La Cour administrative d’appel confirme l’illégalité de l’autorisation d’urbanisme en se fondant sur un unique moyen tiré d’un vice de procédure (A), tout en écartant les autres moyens relatifs à la sécurité et à l’harmonie architecturale par un contrôle restreint (B).

A. La caractérisation d’une modification d’accès imposant une consultation

Le juge d’appel retient que la surélévation du mur de clôture nécessitait une consultation préalable de l’autorité gestionnaire de la voirie. L’article R. 423-53 du code de l’urbanisme impose en effet une telle formalité « lorsque le projet aurait pour effet la création ou la modification d’un accès à une voie publique ». La Cour rappelle que par modification d’un accès, il faut entendre « tout changement dans la configuration matérielle des lieux ou dans l’usage qui en est fait permettant à un riverain d’utiliser cette voie avec un véhicule ». En l’espèce, le projet de surélévation, bien que ne portant pas directement sur la chaussée, affectait l’un des piliers marquant l’entrée d’une propriété depuis une voie territoriale.

La juridiction en déduit que cette modification de la configuration matérielle de l’accès rendait obligatoire la consultation de la Collectivité de Corse, gestionnaire de la voie. L’absence de cette consultation, dans une commune dépourvue de plan local d’urbanisme, constitue un vice de procédure substantiel. La Cour précise que ce vice « a été en l’espèce de nature à exercer une influence sur le sens de cette décision et qui est dès lors de nature à l’entacher d’illégalité ». Ce faisant, elle applique une jurisprudence constante qui sanctionne les vices de procédure ayant privé les parties d’une garantie ou ayant été susceptibles d’influencer la décision finale.

B. Le rejet des moyens fondés sur une appréciation de l’opportunité

Par contraste avec la rigueur de son contrôle procédural, la Cour se montre plus réservée dans l’appréciation des autres moyens soulevés par le requérant. Celui-ci invoquait notamment une atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des usagers de la voie publique, au sens des articles R. 111-2 et R. 111-5 du code de l’urbanisme, en raison de la diminution de la visibilité induite par la surélévation du mur. Le juge d’appel écarte cet argument en considérant qu’« il n’en résulte en l’état de l’instruction ni une atteinte à la sécurité publique, ni un risque pour la sécurité des usagers de la voie publique ».

Il exerce ici un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation, refusant de substituer sa propre évaluation à celle de l’autorité administrative. La Cour souligne que l’appelant ne précise pas la nature des prescriptions spéciales qui auraient dû être imposées. De même, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 111-29 relatif à l’harmonie des constructions est rejeté au motif que les murs en parpaings de ciment et les façades en pierre de taille de la maison « ne présentent pas des aspects en disharmonie l’un avec l’autre ». Cette approche différenciée du contrôle juridictionnel met en lumière la distinction entre la légalité externe, où le respect des formes s’impose strictement, et la légalité interne, où l’administration dispose d’une marge d’appréciation plus large.

II. La consécration de la régularisation en dépit de l’extinction de l’instance

Après avoir établi l’existence d’une illégalité, la Cour choisit de ne pas prononcer l’annulation, préférant mettre en œuvre le mécanisme du sursis à statuer (A), et ce, dans des conditions qui neutralisent l’inertie procédurale des ayants droit (B).

A. L’application du sursis à statuer pour un vice régularisable

La décision commentée fait une application significative de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, qui permet au juge de surseoir à statuer lorsqu’un vice est susceptible d’être régularisé. La Cour rappelle qu’un vice est considéré comme tel « dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ». En l’espèce, le défaut de consultation de la Collectivité de Corse constitue un vice de procédure parfaitement régularisable. Il suffit en effet que l’autorité compétente procède à cette consultation a posteriori et prenne une nouvelle décision au vu de l’avis recueilli.

Cette démarche s’inscrit dans un mouvement législatif et jurisprudentiel visant à limiter les annulations contentieuses pour des motifs de pure forme et à préserver la stabilité des situations juridiques, notamment lorsque les travaux ont déjà été réalisés. En choisissant cette voie, le juge administratif privilégie une solution constructive qui purge le vice tout en maintenant, potentiellement, l’autorisation d’urbanisme. La Cour transforme ainsi son rôle de censeur en celui d’accompagnateur de l’action administrative, veillant à la correction des erreurs sans pour autant anéantir rétroactivement les actes.

B. La neutralisation de l’inertie procédurale des héritiers

L’apport le plus notable de l’arrêt réside dans sa solution face à l’impossibilité de poursuivre l’instance avec les ayants droit de la bénéficiaire décédée. Alors que l’absence de reprise d’instance aurait pu conduire à un non-lieu à statuer si le projet n’avait pas été exécuté, la Cour décide de statuer et d’appliquer le sursis à statuer. Elle juge que la mise en œuvre de la mesure de régularisation n’est pas subordonnée à une démarche active du bénéficiaire de l’autorisation.

La Cour énonce de manière claire qu’« il ne résulte pas des dispositions précitées de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme que le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme doive solliciter de l’autorité compétente la délivrance de la mesure de régularisation ». Cette interprétation confère une portée objective au mécanisme de régularisation. Celui-ci peut être initié et mené à son terme par la seule autorité administrative, indépendamment de la volonté ou même de la présence procédurale du pétitionnaire ou de ses successeurs. Cette solution pragmatique évite que le décès du bénéficiaire et l’inertie de sa succession ne fassent obstacle à la régularisation d’un projet, garantissant ainsi la pleine effectivité de l’outil prévu par le législateur.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture