Par un arrêt en date du 10 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un arrêté préfectoral déclarant un logement insalubre et sur la qualification de recours abusif. En l’espèce, le préfet des Alpes-Maritimes avait, par un arrêté du 22 juillet 2021, interdit la mise à disposition à des fins d’habitation d’un local situé en étage mansardé, en raison de son insalubrité. Le propriétaire de ce bien a formé un recours gracieux, lequel fut rejeté, puis a saisi le tribunal administratif de Nice d’une demande d’annulation de ces décisions. Par un jugement du 11 avril 2023, le tribunal a non seulement rejeté la requête, mais a également condamné le requérant à une amende de 5 000 euros pour recours abusif. Saisie en appel, la juridiction de second degré devait ainsi répondre à une double question. D’une part, elle devait déterminer si un local présentant une hauteur sous plafond insuffisante et un éclairement naturel réduit peut être qualifié d’insalubre par nature, nonobstant la réalisation de travaux en cours d’instance. D’autre part, il lui revenait de préciser les conditions dans lesquelles une requête peut être jugée abusive au point de justifier une sanction pécuniaire à l’encontre de son auteur. La Cour administrative d’appel a confirmé la légalité de l’arrêté d’insalubrité, estimant que les défauts structurels du local justifiaient l’interdiction à l’habitation. En revanche, elle a infirmé le jugement de première instance en ce qu’il avait prononcé une amende pour recours abusif, considérant que les circonstances de l’affaire ne caractérisaient pas un tel abus.
L’arrêt commenté illustre ainsi une dualité d’appréciation, validant fermement la mesure de police sanitaire tout en protégeant l’exercice du droit au recours. Il convient dès lors d’examiner la confirmation par le juge de l’appréciation matérielle de l’insalubrité (I), avant d’analyser la censure par ce même juge d’une qualification extensive de l’abus du droit d’agir en justice (II).
I. La consolidation de la police de l’insalubrité face aux aménagements partiels
La Cour administrative d’appel confirme la décision préfectorale en s’appuyant sur une appréciation rigoureuse des critères légaux de l’insalubrité (A), tout en soulignant l’insuffisance des travaux allégués par la propriétaire pour y remédier (B).
A. L’appréciation souveraine du caractère impropre à l’habitation
Le juge administratif rappelle que la qualification d’un local d’impropre à l’habitation relève d’une analyse factuelle et concrète, fondée sur les dispositions du code de la santé publique. En l’espèce, l’arrêté préfectoral se fondait sur un rapport détaillé du service de l’hygiène, relevant « que la hauteur du sous-plafond varie entre 0,90 mètres et 2,10 mètres », ce qui rendait impossible de se tenir debout dans la majeure partie du local. De plus, l’éclairement naturel était jugé insuffisant, les deux fenêtres de toit présentant des dimensions réduites et n’offrant « pas de vue horizontale ». Ces éléments factuels permettent à l’administration, sous le contrôle du juge, de caractériser une insalubrité par nature au sens de l’article L. 1331-23 du code de la santé publique.
La Cour écarte par ailleurs l’argument de la requérante selon lequel le logement respecterait les critères du logement décent, notamment un volume habitable supérieur à vingt mètres cubes. Elle souligne à juste titre que les dispositions du décret du 30 janvier 2002 régissent les rapports entre bailleurs et locataires et « sont sans incidence sur l’appréciation de son habitabilité au sens des dispositions précitées du code de la santé publique ». Cette distinction est fondamentale, car elle confirme que la police spéciale de la salubrité publique poursuit un objectif de protection de la santé et de la sécurité distinct de la simple décence locative, et obéit à un régime juridique autonome et plus strict.
B. L’inefficacité probatoire des travaux inachevés
Le recours exercé contre une mesure de police de l’insalubrité étant de pleine juridiction, il appartient au juge de se prononcer « en tenant compte de la situation existant à la date à laquelle il statue ». La requérante se prévalait donc de travaux d’aménagement entrepris pour rendre le local habitable, produisant des devis et des photographies. Cependant, la Cour a estimé que ces éléments n’étaient pas probants. Elle relève que les pièces produites ne démontrent que des « travaux inachevés qui ne permettent ni de démontrer l’habitabilité des lieux ni d’établir avec certitude l’insertion effective du lot litigieux au sein de ce projet ».
Cette position souligne l’exigence d’une preuve complète et achevée de la disparition de l’insalubrité. Le juge ne saurait se contenter d’un simple projet de rénovation ou de travaux partiels pour annuler une mesure de police justifiée au jour de son édiction. En l’absence de déclaration de travaux et de justificatifs probants, la persistance des désordres structurels, notamment l’insuffisante hauteur sous plafond et le défaut d’éclairement, justifiait le maintien de l’interdiction à l’habitation. La solution renforce ainsi l’effectivité des pouvoirs de police de l’administration, qui ne peuvent être paralysés par la simple promesse d’une mise en conformité future et incertaine.
Si la Cour fait preuve de fermeté dans son contrôle de la mesure de police, elle adopte une approche protectrice des droits du justiciable s’agissant de la sanction qui lui avait été infligée en première instance.
II. La censure d’une conception extensive de l’abus du droit d’ester en justice
La Cour administrative d’appel annule l’amende pour recours abusif en recentrant la définition de l’abus sur la nature même de la requête (A), garantissant ainsi la substance du droit à un recours effectif (B).
A. Le rejet de critères extrinsèques à la qualification d’abus
Pour infliger une amende, le premier juge s’était fondé sur des circonstances extérieures à la substance même de la requête. Il avait notamment retenu le fait que le tribunal avait déjà rejeté des requêtes antérieures de la propriétaire concernant des lots similaires, ainsi que son absence lors de l’audience. La Cour d’appel censure ce raisonnement en jugeant que ces éléments « ne sauraient conférer à sa demande un caractère abusif ». Elle rappelle ainsi implicitement que l’abus du droit d’agir en justice doit être apprécié au regard du contenu de la requête et de l’intention du requérant.
Ni la multiplication de contentieux, lorsque ceux-ci portent sur des objets distincts, ni l’absence à une audience, qui relève du libre choix du justiciable dans la conduite de sa défense, ne sauraient, à eux seuls, caractériser une démarche dilatoire ou manifestement mal fondée. La Cour réaffirme que la qualification de recours abusif, prévue à l’article R. 741-12 du code de justice administrative, est une mesure d’exception qui sanctionne la témérité ou la mauvaise foi, et non la simple persévérance d’un justiciable, même si ses chances de succès sont minces.
B. La préservation du droit fondamental au recours juridictionnel
En annulant l’amende, la Cour administrative d’appel remplit son rôle de gardien du droit au recours. Elle rappelle que la possibilité d’infliger une amende ne doit pas devenir un instrument de dissuasion à l’encontre des justiciables dont les arguments ne convainquent pas le juge, mais qui ne formulent pas pour autant des prétentions fantaisistes ou malveillantes. La solution est d’autant plus justifiée que la requérante soulevait des moyens juridiques qui, bien que finalement rejetés, n’étaient pas dénués de toute pertinence, notamment sur l’appréciation des travaux réalisés en cours d’instance dans le cadre d’un contentieux de pleine juridiction.
Cette décision a une portée pédagogique importante à l’égard des juridictions du fond. Elle les invite à la plus grande prudence dans l’usage de leur pouvoir de sanction, afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée à un droit fondamental. Le droit d’accès au juge implique la faculté de pouvoir défendre sa cause, même lorsque celle-ci est difficile, sans craindre une sanction pécuniaire qui ne serait justifiée que par la conviction intime du magistrat plutôt que par des éléments objectifs et incontestables d’abus. La Cour préserve ainsi un équilibre nécessaire entre la répression des contentieux dilatoires et la protection de l’accès au prétoire.