Par un arrêt en date du 8 avril 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la légalité d’une délibération adoptant un plan local d’urbanisme intercommunal. Cette délibération était contestée en ce qu’elle assortissait le classement de certaines parcelles en zone constructible d’une prescription restrictive, en raison de leur inclusion dans un périmètre de protection d’un captage d’eau.
En l’espèce, des propriétaires de deux parcelles situées dans un hameau se sont vu imposer des limitations drastiques à la constructibilité de leurs terrains par le nouveau plan local d’urbanisme intercommunal. Le document d’urbanisme, tout en classant leurs fonds en zone d’habitat, y superposait un « périmètre de captage d’eau » interdisant en principe toute nouvelle construction, à l’exception d’extensions très limitées. Les propriétaires ont d’abord saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de cette prescription, arguant notamment d’une incohérence du plan et d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la nécessité de la protection. Le tribunal ayant rejeté leur demande par un jugement du 14 février 2023, les requérants ont interjeté appel, reprenant pour l’essentiel les mêmes moyens. Ils soutenaient que la restriction était disproportionnée, que d’autres objectifs du plan favorisaient la densification, et que la mauvaise qualité de l’eau pouvait être corrigée par des moyens techniques.
Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si l’instauration d’un périmètre de protection d’un captage d’eau, entraînant une quasi-inconstructibilité de parcelles classées en zone urbaine, était cohérente avec les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durables et si elle ne procédait pas d’une erreur manifeste d’appréciation de la part de l’autorité intercommunale.
La cour administrative d’appel a rejeté la requête, validant ainsi la démarche de la communauté de communes. Elle a jugé, d’une part, que le règlement du plan n’était pas incohérent avec le projet d’aménagement et de développement durables, et d’autre part, que l’instauration du périmètre de protection ne constituait pas une erreur manifeste d’appréciation, malgré l’existence d’alternatives techniques pour traiter la qualité de l’eau. Cette décision illustre la manière dont le juge administratif concilie les différents objectifs, parfois contradictoires, du droit de l’urbanisme, tout en exerçant un contrôle restreint sur les choix d’opportunité de l’administration.
I. La confirmation d’une appréciation globale de la cohérence du plan local d’urbanisme intercommunal
La cour rappelle d’abord que la cohérence entre le règlement d’un plan local d’urbanisme et son projet d’aménagement et de développement durables s’évalue de manière globale. Elle applique ce principe pour valider la conciliation d’objectifs apparemment divergents (A), écartant ainsi l’idée qu’une orientation spécifique du projet puisse être directement contredite par une règle du plan (B).
A. La conciliation des objectifs divergents du projet d’aménagement et de développement durables
Le projet d’aménagement et de développement durables (PADD) fixe les grandes orientations d’un territoire, lesquelles peuvent être variées et poursuivre des buts différents. En l’espèce, le PADD prévoyait à la fois de « maîtriser la consommation d’espaces » en privilégiant une « densification maîtrisée » des hameaux, mais aussi de « protéger et préserver la ressource en eau ». Les requérants voyaient une contradiction dans le fait d’empêcher la construction sur leurs parcelles tout en affichant un objectif de densification.
La cour écarte cette analyse en adoptant une vision d’ensemble, conformément à sa jurisprudence constante. Elle considère que les objectifs du PADD ne sont « pas contradictoires ou à des niveaux d’importance différents ». Le juge administratif refuse ainsi de faire prévaloir une orientation sur une autre. Il estime que la protection d’une ressource naturelle essentielle, telle que l’eau potable, peut légitimement justifier une limitation locale à la densification, sans pour autant rendre le plan incohérent à l’échelle du territoire intercommunal.
B. Le rejet d’une incohérence au regard des potentialités de densification
L’argument des requérants reposait sur une lecture parcellaire du rapport de cohérence. Or, le juge administratif recherche si le règlement « ne contrarie pas les orientations générales et objectifs » du PADD. En l’espèce, la cour relève que l’instauration du périmètre restrictif sur quelques parcelles « n’emporte pas d’impossibilité de développement du hameau de Davanod sur des parcelles non concernées par le périmètre de captage ».
Cette approche pragmatique signifie qu’une restriction, même sévère, sur une portion limitée du territoire ne suffit pas à caractériser une incohérence si les objectifs généraux du PADD, comme la densification, peuvent se réaliser par ailleurs. La cohérence s’apprécie donc non pas au regard de la situation d’un seul terrain, mais à l’échelle du projet territorial dans son ensemble. La cour valide ainsi la possibilité pour les auteurs d’un plan de moduler l’application de leurs propres orientations en fonction des contraintes locales spécifiques.
II. L’application rigoureuse du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation
Au-delà de la cohérence interne du document, la cour examine le bien-fondé de la restriction au travers du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Elle estime que l’objectif de préservation de la ressource en eau justifiait la mesure (A), et que l’existence d’autres solutions possibles n’était pas de nature à rendre le choix de l’administration manifestement erroné (B).
A. La justification de la prescription par l’objectif de préservation de la ressource en eau
Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation conduit le juge à ne censurer que les décisions administrativement déraisonnables. En matière d’urbanisme, l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour définir les règles d’utilisation des sols. Dans cette affaire, les requérants soutenaient que la mesure était inutile et disproportionnée.
La cour analyse les pièces du dossier, notamment l’annexe sanitaire du plan, et constate que la source concernée, bien que de « qualité médiocre », joue un rôle dans l’alimentation en eau de la commune, « notamment en période d’étiage ». Face à cet enjeu de sécurité d’approvisionnement pour une population en croissance, le juge considère que la volonté de préserver cette ressource n’est pas manifestement mal fondée. La prescription « vise à prévenir les risques de pollutions ponctuelles ou diffuses sur un point de prélèvement d’eau pour la consommation humaine », ce qui constitue un motif légitime au sens de l’article R. 151-31 du code de l’urbanisme.
B. L’indifférence des alternatives techniques et des autres moyens soulevés
Un des arguments principaux des requérants était que la mauvaise qualité de l’eau pouvait être traitée par un « système d’ultrafiltration », solution préconisée par l’agence régionale de santé des années auparavant. Ils en déduisaient que la restriction à la construction n’était pas la seule option, ni la plus pertinente.
La cour rejette ce raisonnement en affirmant que « l’absence de réalisation des travaux préconisés n’est pas de nature à entacher d’erreur manifeste d’appréciation l’instauration du périmètre de captage en litige ». Ce faisant, elle réaffirme un principe essentiel : le juge de l’excès de pouvoir ne contrôle pas l’opportunité des choix de l’administration. Dès lors que la mesure de police administrative (ici, la prescription d’urbanisme) n’est pas manifestement inappropriée à l’objectif poursuivi, l’existence d’autres solutions possibles est sans incidence sur sa légalité. Le choix entre une protection à la source par la maîtrise de l’urbanisation et une correction par un traitement technique relève du pouvoir d’appréciation de l’autorité compétente.