Cour d’appel administrative de Lyon, le 30 avril 2025, n°23LY02099

Un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon en date du 30 avril 2025 vient préciser les modalités de calcul des mécanismes correcteurs issus de la réforme des valeurs locatives des locaux professionnels. En l’espèce, une société exploitant un local commercial s’est vu notifier une cotisation foncière des entreprises au titre de l’année 2020. Contestant le montant de cette imposition, elle a soutenu que la réévaluation d’un coefficient servant à déterminer la valeur locative de son bien, intervenue en 2019, aurait dû être prise en compte pour le calcul de deux dispositifs d’atténuation de l’impôt, le planchonnement et le lissage, applicables pour l’année 2020.

La réclamation de la société ayant été rejetée par l’administration fiscale, elle a saisi le tribunal administratif de Dijon, qui a confirmé la position de l’administration. La société a alors interjeté appel de ce jugement. En cours d’instance d’appel, l’administration a procédé à un dégrèvement partiel, admettant que la modification du coefficient de localisation devait bien impacter le calcul du mécanisme de planchonnement. La société a néanmoins maintenu le surplus de ses conclusions, estimant que ce dégrèvement était insuffisant et que le mécanisme de lissage devait également être recalculé.

Il appartenait donc aux juges d’appel de déterminer si une modification du coefficient de localisation, postérieure à l’année de référence de la réforme, devait être intégrée dans le calcul des dispositifs d’atténuation pour une année d’imposition ultérieure. Plus précisément, la question se posait de savoir si la logique de calcul de l’atténuation dite de « planchonnement » différait de celle applicable à l’atténuation dite de « lissage ». La Cour administrative d’appel répond par l’affirmative en opérant une distinction nette entre les deux mécanismes. Elle juge que le planchonnement doit tenir compte des évolutions annuelles de la valeur locative, tandis que le lissage reste figé aux données de l’année 2017. Cette solution duale, fondée sur une lecture littérale des textes, conduit à s’interroger sur la cohérence des dispositifs créés par le législateur pour accompagner la réforme.

L’arrêt consacre ainsi une application dynamique du mécanisme de planchonnement (I), tout en maintenant une approche statique pour le calcul du lissage (II), révélant les complexités et les éventuelles iniquités résultant de la transition vers les nouvelles valeurs locatives.

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I. La consécration d’une application dynamique du planchonnement

La cour valide le principe selon lequel le mécanisme de planchonnement doit intégrer les variations de la valeur locative postérieures à 2017. Cette solution, qui repose sur une interprétation littérale des dispositions légales (A), aboutit à une issue favorable au contribuable et conforme à l’esprit de la réforme (B).

A. Une lecture littérale de la règle de calcul annuelle

Le raisonnement de la juridiction d’appel s’appuie sur une analyse précise de l’article 1518 A quinquies du code général des impôts. Ce texte prévoit que, pour les années 2017 à 2025, la valeur locative révisée est comparée à la valeur non révisée afin de déterminer une majoration ou une minoration. La cour souligne que la valeur locative à retenir est celle « déterminée en vue de l’établissement des impositions dues au titre de chacune des années concernées ». Il en résulte que le calcul du planchonnement ne s’effectue pas sur la base d’une valeur figée en 2017, mais bien sur celle applicable à l’année d’imposition en cause, en l’occurrence 2020.

Cette interprétation implique nécessairement de prendre en considération toutes les composantes de la valeur locative de l’année concernée, y compris le coefficient de localisation. La décision de la commission départementale de 2018, augmentant ce coefficient à 1,30 à compter de 2019, devait donc être intégrée dans la détermination de la valeur locative servant de base au calcul du planchonnement pour l’imposition de 2020. En jugeant ainsi, la cour écarte l’idée d’un calcul cristallisé à la date de la réforme et confirme que ce mécanisme d’atténuation doit suivre l’évolution annuelle de la base imposable.

B. Une solution favorable au contribuable et alignée sur la jurisprudence récente

En admettant la prise en compte du nouveau coefficient de localisation, l’arrêt s’inscrit dans la lignée de décisions récentes du Conseil d’État qui avaient déjà statué en ce sens. Cette position assure une sécurité juridique et une application uniforme de la loi sur le territoire. Elle est également favorable au contribuable, car l’augmentation du coefficient de localisation, en majorant la valeur locative révisée, accroît l’écart avec l’ancienne valeur et, par conséquent, le montant de l’atténuation.

Sur le fond, cette solution apparaît conforme à l’objectif du législateur, qui visait à rapprocher l’impôt de la valeur locative réelle des biens. En permettant au planchonnement de refléter les ajustements annuels de cette valeur, la cour garantit que le dispositif correcteur ne se déconnecte pas de la réalité économique du bien imposé. Le dégrèvement partiel opéré par l’administration en cours d’instance, bien qu’initié tardivement, constituait d’ailleurs une reconnaissance implicite du bien-fondé de cette approche dynamique.

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II. Le refus d’une transposition de la logique au mécanisme de lissage

À l’inverse de la solution retenue pour le planchonnement, la cour refuse d’appliquer un calcul dynamique au mécanisme de lissage. Cette position se fonde sur le caractère figé de la base de calcul de ce dispositif (A), ce qui soulève toutefois des questions au regard du principe d’égalité devant les charges publiques (B).

A. L’ancrage du calcul à l’année de référence 2017

Pour écarter la demande de la société relative au lissage, la cour se livre à une exégèse de l’article 1518 E du code général des impôts. Elle observe que ce texte définit les modalités de calcul du lissage, qu’il s’agisse d’une exonération ou d’une majoration, sur la base d’une différence unique et initiale. Cette différence est celle « entre la cotisation établie au titre de l’année 2017 » et celle qui aurait été due pour cette même année sans la réforme. Le montant de cette différence, calculé une seule fois, sert ensuite de base à une réduction dégressive sur dix ans.

Il découle de cette rédaction que le calcul du lissage est entièrement cristallisé sur les données de l’année 2017. Contrairement au planchonnement, aucune référence n’est faite à la cotisation des « années concernées ». Par conséquent, toute modification de la valeur locative postérieure à 2017, comme l’application d’un nouveau coefficient de localisation, est inopérante pour ce mécanisme. Le législateur a conçu le lissage comme un amortisseur dont le montant est fixé dès le point de départ de la réforme, sans ajustement ultérieur. La clarté des dispositions de l’article 1518 E ne laissait donc aucune marge d’interprétation aux juges.

B. Une orthodoxie juridique aux dépens de l’équité fiscale

Si cette solution est juridiquement imparable, elle n’en demeure pas moins critiquable du point de vue de l’équité. En effet, elle crée une différence de traitement entre contribuables. Un contribuable dont le bien a fait l’objet d’un coefficient de localisation correct dès 2017 bénéficie d’un lissage calculé sur une base juste. En revanche, le contribuable dont le coefficient n’a été rectifié qu’ultérieurement, comme dans le cas d’espèce, se voit appliquer pendant dix ans un lissage fondé sur une valeur locative initiale erronée.

La cour reconnaît cette situation en évoquant une potentielle « carence dans la mise en œuvre » des dispositions relatives à la détermination des valeurs locatives en 2017. Elle estime cependant que cette carence ne saurait justifier une interprétation de la loi fiscale contraire à sa lettre. En d’autres termes, ce n’est pas la loi sur le lissage qui est fautive, mais son application initiale. Cette distinction subtile a pour conséquence de faire supporter au contribuable les effets d’une erreur d’évaluation commise par l’administration ou les commissions compétentes, sans que le mécanisme correcteur puisse être ajusté. L’arrêt illustre ainsi la tension entre la rigueur du texte fiscal et la recherche d’une juste contribution aux charges publiques.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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