Cour d’appel administrative de Lyon, le 3 avril 2025, n°24LY01162

La conciliation entre les impératifs de développement urbain et la nécessaire préservation des espaces naturels et agricoles constitue un enjeu majeur pour les autorités en charge de l’élaboration des documents d’urbanisme. Par un arrêt en date du 3 avril 2025, une cour administrative d’appel vient préciser l’étendue du contrôle juridictionnel sur les choix de planification locale et leurs conséquences sur le droit de propriété. En l’espèce, une société propriétaire de plusieurs parcelles s’est vue opposer une modification du plan local d’urbanisme de la commune concernée, reclassant ses terrains, jusqu’alors constructibles, en une zone naturelle rendue inconstructible.

La procédure a débuté lorsque la société requérante a saisi le tribunal administratif de plusieurs demandes visant à l’annulation de la délibération approuvant le nouveau plan local d’urbanisme, de l’arrêté préfectoral ayant autorisé l’ouverture à l’urbanisation d’autres secteurs, et des décisions du maire refusant de faire droit à sa demande d’acquisition de ses parcelles au titre du droit de délaissement. Le tribunal administratif a rejeté l’ensemble de ses prétentions par un jugement du 26 février 2024. La société a alors interjeté appel de cette décision, maintenant l’essentiel de ses moyens. Elle soutenait principalement que le classement de ses terrains était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, que l’ouverture à l’urbanisation de nouvelles zones était illégale, et que le refus d’acquérir ses biens méconnaissait les dispositions du code de l’urbanisme.

Le litige soulevait ainsi plusieurs questions de droit. D’une part, il s’agissait de déterminer si le juge administratif devait exercer un contrôle restreint ou approfondi sur l’appréciation portée par les auteurs d’un plan local d’urbanisme quant au classement de parcelles en zone naturelle, au regard des objectifs de protection environnementale et de développement urbain. D’autre part, la cour devait se prononcer sur la question de savoir si le classement d’un terrain en zone naturelle inconstructible pouvait être assimilé à l’institution d’un emplacement réservé, ouvrant droit pour le propriétaire à une demande d’acquisition par la collectivité.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge d’abord que l’arrêté préfectoral autorisant l’urbanisation est un acte préparatoire insusceptible de recours pour excès de pouvoir. Ensuite, elle estime que le classement des parcelles litigieuses en zone naturelle ne procède pas d’une erreur manifeste d’appréciation, les auteurs du plan ayant légitimement pu faire prévaloir des objectifs de préservation écologique. Enfin, elle écarte le droit au délaissement en rappelant que celui-ci est conditionné à l’existence formelle d’un emplacement réservé, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. L’analyse de cette décision révèle ainsi la confirmation du contrôle limité du juge sur les choix d’aménagement (I), tout en opérant une stricte application des mécanismes de protection du droit de propriété (II).

I. La confirmation du contrôle restreint sur les choix d’aménagement

La cour valide les choix de classement opérés par le plan local d’urbanisme en se fondant sur une appréciation globale des objectifs poursuivis, ce qui la conduit à rejeter le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation (A) et à écarter l’illégalité des dérogations accordées pour d’autres secteurs (B).

A. Le rejet de l’erreur manifeste d’appréciation dans le classement en zone naturelle

Les auteurs d’un plan local d’urbanisme disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour définir le parti d’aménagement du territoire communal. Ce pouvoir n’est cependant pas discrétionnaire, le juge administratif exerçant un contrôle sur la qualification juridique des faits et sanctionnant l’erreur manifeste. En l’espèce, la société requérante soutenait que ses parcelles constituaient des « dents creuses » au sein du tissu urbain, dont le classement en zone naturelle était manifestement erroné. La cour écarte cet argument en procédant à une analyse circonstanciée de la situation des terrains et des objectifs du projet d’aménagement et de développement durables.

Elle relève que les parcelles se situent dans un corridor écologique, à proximité de zones naturelles d’intérêt et dans un périmètre exposé au risque d’inondation. Le juge prend soin de citer les objectifs du projet d’aménagement, qui prévoient de « préserver des espaces de respiration, jardins/vergers au sein du bourg et certaines continuités écologiques en milieu urbain ». En conséquence, il considère que les auteurs du plan n’ont pas commis d’erreur manifeste en faisant prévaloir la protection de l’environnement sur la vocation à urbaniser des parcelles, quand bien même celles-ci se situent à proximité de zones bâties. La décision est sans équivoque : « Eu égard à l’ensemble de ces éléments […] le classement de ces parcelles en secteur Nh n’apparaît ni en contradiction avec les objectifs du PADD, ni entaché d’erreur manifeste d’appréciation. » Cette approche illustre la méthode du bilan, par laquelle le juge met en balance les différents intérêts en présence et n’annule la décision que si le choix opéré par l’administration apparaît clairement disproportionné, ce qui n’est pas le cas ici.

B. La validation de l’ouverture à l’urbanisation de secteurs agricoles

La requérante tentait également de démontrer l’incohérence du plan local d’urbanisme en contestant, par voie d’exception, la légalité de l’autorisation préfectorale ayant permis d’ouvrir à l’urbanisation d’autres parcelles, initialement agricoles. La cour administrative d’appel confirme d’abord que cet accord du préfet, requis par l’article L. 142-5 du code de l’urbanisme, « ne constitue pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir », car il ne s’agit que d’un acte préparatoire à l’élaboration du document d’urbanisme. Cette solution, classique en contentieux administratif, rappelle qu’un acte ne produisant pas d’effets juridiques par lui-même n’est pas directement contestable.

Sur le fond, la cour juge que cette ouverture à l’urbanisation n’est pas contradictoire avec le classement des parcelles de la requérante. Elle estime en effet que de « telles circonstances ne font pas obstacle, par principe, à ce que les limites de l’enveloppe urbaine soient redéfinies pour en limiter l’extension au Nord afin de préserver les rives de l’Yonne, et pour prévoir des zones à urbaniser à terme ». Le juge admet ainsi que les planificateurs peuvent opérer des choix différenciés sur le territoire communal, en gelant des terrains présentant un intérêt écologique tout en permettant une extension maîtrisée dans des secteurs moins sensibles. En validant cette approche, la cour renforce la marge de manœuvre des collectivités dans la conduite de leur politique d’urbanisme, dès lors que leurs choix restent cohérents avec les orientations générales du projet d’aménagement.

II. La stricte application des garanties du droit de propriété

Si le juge fait preuve de retenue dans son contrôle des choix d’aménagement, il se montre en revanche strict dans l’application des règles protégeant le droit de propriété. Il refuse ainsi d’assimiler une contrainte d’urbanisme à un mécanisme de délaissement (A) et écarte sans surprise le détournement de pouvoir (B).

A. Le refus d’étendre le droit de délaissement au-delà de l’emplacement réservé

Le cœur du second volet du litige portait sur la possibilité pour la société requérante d’exiger de la commune qu’elle acquière ses terrains devenus inconstructibles. Ce droit, dit « de délaissement », est prévu à l’article L. 152-2 du code de l’urbanisme, notamment au bénéfice des propriétaires de terrains grevés d’un emplacement réservé. La requérante avançait que le classement en zone naturelle Nh, en privant ses parcelles de toute constructibilité, équivalait en pratique à la création d’un emplacement réservé et devait donc ouvrir le même droit à acquisition.

La cour administrative d’appel oppose un refus catégorique à cette argumentation. Elle se livre à une interprétation littérale des textes applicables, en constatant que le plan local d’urbanisme « ne délimite sur les parcelles dont elle est propriétaire aucun emplacement réservé tel que prévu à l’article L. 151-41 du code de l’urbanisme ». Par cette formule, le juge rappelle que le droit de délaissement est une prérogative exorbitante, attachée à une servitude d’urbanisme spécifique et formellement identifiée dans les documents de planification. Il refuse de l’étendre par analogie à d’autres contraintes, même si celles-ci affectent lourdement la valeur du bien. La portée de cette solution est notable : elle vient fermer la porte à une interprétation extensive du droit de délaissement qui aurait pu imposer des charges financières considérables aux collectivités publiques et créer une forte insécurité juridique dans la gestion des règles d’urbanisme. Le juge distingue ainsi clairement la servitude de zonage, qui est une limitation générale au droit de construire, de la servitude d’emplacement réservé, qui prépare une acquisition publique future et seule ouvre droit au délaissement.

B. L’écartement logique du moyen tiré du détournement de pouvoir

Enfin, la société requérante invoquait un détournement de pouvoir, soutenant que le classement de ses terrains aurait été décidé dans un but étranger à l’intérêt général. Ce moyen, souvent soulevé mais rarement accueilli en droit de l’urbanisme, suppose pour le requérant de prouver que l’administration a utilisé ses pouvoirs à des fins personnelles ou partisanes.

Sans surprise, la cour rejette ce moyen. Elle s’appuie sur les développements précédents qui ont établi que le classement en zone Nh était justifié par des considérations d’urbanisme et de protection de l’environnement. La cohérence des choix d’aménagement avec les objectifs du projet d’aménagement et de développement durables suffit à établir que l’autorité publique a agi dans le cadre de sa mission d’intérêt général. Quant à l’allégation d’une infraction pénale, le juge la balaye en soulignant qu’elle est « dépourvue des précisions permettant d’en apprécier la portée ». Cette solution classique réaffirme la présomption de légalité qui s’attache aux actes administratifs et la charge de la preuve qui pèse sur celui qui allègue un détournement de pouvoir. En l’absence d’éléments concrets démontrant une intention malveillante, le juge s’en tient à l’analyse objective de la légalité et de la rationalité de la décision attaquée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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