Cour d’appel administrative de Lyon, le 19 juin 2025, n°23LY02540

Par un arrêt en date du 19 juin 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a précisé les modalités d’attribution des terres agricoles relevant du patrimoine de sections de commune. En l’espèce, un agriculteur avait sollicité l’attribution de trois parcelles appartenant à deux sections de commune distinctes. Face au silence de l’administration municipale, puis à une correspondance du maire l’informant du rejet de sa demande, l’intéressé a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Ce dernier a identifié la véritable décision de rejet dans une délibération du conseil municipal du 28 juin 2021 et a rejeté le recours. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la délibération litigieuse méconnaissait l’étendue de la compétence du conseil municipal ainsi que les rangs de priorité prévus par le code général des collectivités territoriales. La commune et les sections de commune concernées ont conclu au rejet de la requête, arguant notamment que le courrier du maire était un simple acte informatif. Il revenait donc au juge d’appel de déterminer, d’une part, la nature et l’auteur de l’acte administratif faisant grief dans une telle procédure et, d’autre part, les conditions d’application des critères légaux d’attribution face à des situations factuelles et juridiques distinctes. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant la solution des premiers juges. Elle estime que la délibération du conseil municipal constitue bien l’unique décision attaquable et que son auteur était compétent. Sur le fond, elle valide l’application faite par la commune des règles de priorité, en distinguant selon que les parcelles étaient déjà engagées par une convention ou qu’elles étaient libres.

L’arrêt permet ainsi de clarifier le cadre formel de la décision d’attribution des biens de section avant de se prononcer sur l’application matérielle des critères de priorité. Il convient donc d’analyser la portée de la décision s’agissant de l’identification de l’acte administratif faisant grief et de la compétence de son auteur (I), avant d’étudier l’interprétation rigoureuse des règles de fond relatives à l’ordre des priorités (II).

I. La consolidation du cadre formel de la décision d’attribution

La cour administrative d’appel s’attache en premier lieu à définir précisément les contours de la décision attaquée. Pour ce faire, elle identifie l’acte véritablement décisoire en le distinguant des actes purement informatifs (A), puis elle confirme la compétence de l’organe délibérant municipal pour statuer sur de telles attributions (B).

A. L’identification de l’acte attaquable : la primauté de la délibération

Le litige initial portait sur une décision implicite de rejet ainsi que sur un courrier du maire. La cour écarte cette double qualification pour ne retenir que la délibération du conseil municipal comme étant l’acte faisant grief. Elle considère que la correspondance ultérieure du maire, bien que précisant les motifs du refus opposé au demandeur, « doit être regardé comme s’étant borné à informer l’intéressé du sens de la délibération du 28 juin 2021 en tant qu’il le concerne ». Cette analyse, classique en contentieux administratif, opère une distinction fondamentale entre l’acte qui fixe l’état du droit et celui qui ne fait que l’expliciter ou le notifier. En refusant de conférer une nature décisoire à un simple courrier d’information, même émanant du premier magistrat de la commune, le juge renforce la sécurité juridique. Il concentre le contrôle de légalité sur l’acte qui est le support juridique réel et unique de la décision, à savoir la délibération de l’organe collégial compétent. Cette solution a pour effet de purger le débat contentieux des actes intermédiaires ou subséquents qui ne modifient pas l’ordonnancement juridique, guidant ainsi le justiciable vers la seule cible pertinente pour sa contestation.

B. La confirmation de la compétence du conseil municipal

Le requérant mettait en cause la compétence du conseil municipal pour procéder à l’attribution des terres. La cour écarte ce moyen en se fondant sur l’article L. 2411-5 du code général des collectivités territoriales, lequel prévoit que les prérogatives de la commission syndicale d’une section de commune sont exercées par le conseil municipal lorsque celle-ci n’a pas été constituée. Le juge confirme par là même que le mécanisme de substitution légale confère une pleine et entière compétence à l’organe délibérant de la commune. En outre, l’arrêt précise que d’éventuelles imperfections dans la rédaction du procès-verbal de la délibération sont sans incidence sur la légalité de la décision, dès lors qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier qu’il ait omis d’examiner les critères d’attribution ou de procéder à l’attribution des terres en litige ». Cette approche pragmatique dissocie la validité de l’acte de la qualité de sa retranscription formelle, pourvu que la réalité de l’examen et de la décision soit établie. L’arrêt rappelle ainsi que la compétence s’apprécie au regard de l’organe qui délibère, et non au regard de l’autorité qui notifie ou exécute la décision, tel le maire.

II. L’application rigoureuse des critères matériels d’attribution

Après avoir validé le cadre procédural de la décision, la cour administrative d’appel procède à un contrôle approfondi de l’application des critères de fond. Elle justifie le rejet de la demande en se fondant, d’une part, sur la nécessaire stabilité des conventions en cours (A) et, d’autre part, sur une appréciation stricte des conditions géographiques d’éligibilité (B).

A. La prévalence de la convention en cours sur un rang de priorité supérieur

Concernant l’une des parcelles convoitées, le requérant arguait d’un rang de priorité supérieur à celui de l’exploitant en place. Le conseil municipal avait cependant rejeté sa demande au motif que ce dernier bénéficiait d’une convention en cours de validité. La cour valide ce raisonnement en jugeant que, même si le demandeur « disposerait d’un rang de priorité supérieur à ce dernier, il n’était pas fondé à demander l’attribution de cette parcelle avant le terme de la convention ». Cette solution consacre la sécurité des relations contractuelles. Elle implique qu’une terre sectionale engagée par un bail rural ou une convention pluriannuelle n’est pas « disponible » pour une nouvelle attribution, et ce jusqu’à son terme, sauf à ce que le titulaire en place ne remplisse plus les conditions qui avaient présidé à sa désignation initiale. L’arrêt établit ainsi une hiérarchie claire : le respect du contrat en cours l’emporte sur l’application immédiate des rangs de priorité. Cette approche protège les exploitants en place contre une remise en cause prématurée de leur titre d’occupation et assure une gestion stable du patrimoine agricole des sections.

B. L’appréciation stricte du critère d’exploitation sur le territoire de la section

Pour les deux autres parcelles, la cour examine la situation du requérant au regard des différents rangs de priorité édictés par l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales. Elle relève qu’il n’exploitait aucun bien agricole sur le territoire de la section de commune concernée. Par conséquent, il ne pouvait prétendre à un rang de priorité élevé. L’arrêt énonce qu’il « ne justifie pas utiliser de biens agricoles sur le territoire de la section de Sichard et Aubeau et ne peut ainsi prétendre à un rang de priorité supérieur au rang n° 4 ». Le conseil municipal était donc fondé à lui préférer un autre candidat qui, bien que disposant d’un rang de priorité identique, était déjà titulaire d’autorisations d’exploiter pour ces mêmes terres. Cette interprétation réaffirme le caractère sectionale, et non communal, de l’appréciation des critères d’éligibilité. La condition d’exploitation doit être remplie sur le territoire spécifique de la section propriétaire des biens, et non sur le seul territoire de la commune. L’arrêt offre ainsi une lecture stricte des conditions légales, garantissant que les biens d’une section profitent prioritairement aux agriculteurs qui contribuent déjà à la vie agricole de ce territoire délimité.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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