Cour d’appel administrative de Lyon, le 18 septembre 2025, n°24LY00485

Par un arrêt en date du 18 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a examiné la légalité d’une déclaration d’utilité publique relative à un projet d’échangeur routier. En l’espèce, un propriétaire et une exploitation agricole, affectés par le projet qui empiétait sur une parcelle abritant un verger expérimental, contestaient la décision de l’autorité préfectorale. Ils avaient initialement saisi le tribunal administratif de Grenoble, qui a rejeté leur demande d’annulation de l’arrêté déclarant le projet d’utilité publique. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’étude d’impact était insuffisante et que le bilan de l’opération était négatif au regard des atteintes portées à leur exploitation et à l’environnement. Se posait alors la question de savoir si une étude d’impact qui identifie une problématique agricole spécifique sans analyser de manière exhaustive ses conséquences économiques ou proposer des solutions définitives peut être jugée suffisante. Il s’agissait également de déterminer si le projet, malgré son coût et son incidence sur des terres agricoles, présentait un caractère d’utilité publique justifiant les atteintes portées à la propriété privée. La cour a répondu par l’affirmative, estimant que l’étude d’impact avait correctement informé l’autorité et le public sans avoir à détailler l’impact économique sur une seule exploitation. Elle a ensuite validé l’utilité publique du projet, jugeant que les bénéfices en matière de fluidification du trafic et de desserte locale l’emportaient sur des inconvénients jugés limités.

I. Le contrôle assoupli des exigences formelles de la déclaration d’utilité publique

La décision de la cour administrative d’appel illustre une approche pragmatique du contrôle des vices de procédure affectant une déclaration d’utilité publique. Elle évalue la suffisance de l’étude d’impact de manière fonctionnelle (A) avant d’appliquer rigoureusement le critère de l’influence exercée par le vice invoqué (B).

A. L’appréciation pragmatique de la suffisance de l’étude d’impact environnemental

Le juge administratif rappelle que les insuffisances d’une étude d’impact ne vicient la procédure que sous certaines conditions. En l’espèce, les requérants soutenaient que l’étude était lacunaire quant à l’impact du projet sur leur exploitation agricole expérimentale. La cour rejette ce moyen en constatant que le dossier mentionnait précisément les activités concernées, qualifiées d’enjeu à sensibilité forte, et relevait la présence du verger ainsi que le « risque de perte de variétés de cerisiers en création ». La juridiction considère que l’étude a suffisamment analysé l’impact du projet sur les activités agricoles, tant durant la phase de chantier que d’exploitation. Elle estime qu’une telle étude, dont l’objet est d’évaluer les incidences sur l’environnement et la santé, « n’avait pas à comporter une analyse plus précise de l’impact économique du projet sur leur exploitation ». Cette approche confirme que l’obligation de contenu de l’étude d’impact ne s’étend pas à une analyse micro-économique exhaustive pour chaque parcelle ou activité affectée. La suffisance de l’étude s’apprécie au regard de sa capacité à éclairer l’autorité sur les enjeux globaux du projet, non à résoudre par avance chaque préjudice individuel.

B. L’application classique du critère de l’influence sur la décision de l’autorité

La cour d’appel mobilise un principe bien établi du contentieux administratif pour écarter le moyen tiré des insuffisances de l’étude d’impact. Elle énonce que de telles insuffisances ne peuvent vicier la procédure « que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ». Cette condition, directement inspirée de la jurisprudence du Conseil d’État, agit comme un filtre puissant qui permet de ne sanctionner que les irrégularités procédurales substantielles. Dans le cas présent, la cour relève que les requérants n’apportent aucun élément pour démontrer en quoi les lacunes alléguées auraient rempli l’une ou l’autre de ces conditions. En ne soutenant pas que le public aurait été trompé ou que la décision préfectorale aurait été différente avec une étude plus détaillée, leur argumentation perd toute portée. Cette solution réaffirme que la charge de la preuve de l’influence du vice incombe au requérant, une exigence qui limite considérablement les annulations pour de simples motifs de forme et garantit une certaine sécurité aux actes administratifs complexes.

II. La confirmation traditionnelle de la validité substantielle du projet d’expropriation

Au-delà des aspects formels, la cour procède à un contrôle de fond de l’utilité publique de l’opération, qui se traduit par une validation de l’intérêt général du projet (A) et par la consécration d’une balance avantages-inconvénients favorable à celui-ci (B).

A. La caractérisation de l’intérêt général en dépit d’infrastructures existantes

Le juge administratif contrôle en premier lieu si l’opération répond à une finalité d’intérêt général. Les requérants contestaient cette finalité, arguant de la présence de deux autres échangeurs à proximité. La cour écarte cet argument en se fondant sur les objectifs du projet, qui consistent à « participer à les désengorger, compte tenu du haut niveau de trafic observé et des perspectives de développement urbain de l’agglomération ». Elle valide ainsi la vision prospective de l’administration, qui anticipe une croissance du trafic et justifie la création d’une nouvelle infrastructure pour améliorer la desserte d’une zone d’activité et éviter la congestion des zones résidentielles. En retenant ces éléments, la décision montre que l’intérêt général d’un projet d’aménagement peut résider non seulement dans la création d’un service nouveau, mais aussi dans l’optimisation ou le soulagement d’infrastructures existantes. Le juge fait ici largement confiance aux modélisations et aux objectifs présentés par l’autorité publique, dès lors qu’ils ne sont pas « utilement contredits » par les requérants.

B. La consécration d’un bilan coût-avantages favorable à l’opération

Le contrôle de l’utilité publique culmine dans la mise en balance des avantages du projet avec ses inconvénients. La cour d’appel effectue cet exercice de manière détaillée, en application de la théorie du bilan. D’un côté, elle retient les bénéfices en matière de fluidité du trafic et de desserte locale. De l’autre, elle examine les inconvénients, notamment le coût financier, l’artificialisation des sols et l’atteinte portée à l’exploitation des requérants. Cependant, la juridiction minimise ces derniers, qualifiant les surfaces agricoles supprimées de « limitées » et notant que les requérants « ne démontrent pas que le projet mettrait en péril leur exploitation ». L’atteinte portée au verger expérimental, bien que reconnue, n’est pas jugée suffisamment grave pour faire obstacle au projet. La cour conclut que l’opération, « nonobstant son coût élevé, ne comporte pas d’inconvénients excessifs au regard de l’intérêt qu’elle présente ». Cet arrêt constitue une application typique du contrôle du bilan, où le juge, sauf erreur manifeste d’appréciation, tend à valider les choix de l’administration lorsque les bénéfices du projet sont établis et que ses inconvénients, bien que réels pour certains, n’apparaissent pas disproportionnés à l’échelle de l’intérêt général poursuivi.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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