Cour d’appel administrative de Lyon, le 18 février 2025, n°24LY02236

Un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon le 11 février 2025 offre une illustration précise des critères permettant de définir une partie urbanisée de la commune, en application du règlement national d’urbanisme. En l’espèce, des particuliers se sont vu refuser un permis d’aménager visant à créer quatre lots à bâtir sur un terrain situé sur le territoire d’une commune non couverte par un document local d’urbanisme. Le maire de la commune avait opposé ce refus, se fondant sur un avis défavorable du préfet qui estimait que le projet ne se situait pas dans une partie urbanisée de la commune au sens de l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme. Saisi d’un recours contre ce refus, le tribunal administratif de Lyon l’a rejeté. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que leur terrain, desservi par les réseaux et à proximité de plusieurs constructions, constituait une dent creuse au sein d’un hameau et ne pouvait donc être regardé comme une extension de l’urbanisation. Il convenait dès lors de se demander si une parcelle, bien que bénéficiant d’une desserte par les réseaux publics et située à proximité de quelques habitations, mais formant une entité non bâtie d’une superficie conséquente à l’articulation de zones naturelles et agricoles, peut être qualifiée de partie urbanisée de la commune. La cour administrative d’appel répond par la négative, confirmant l’analyse des premiers juges. Elle juge que le projet, en raison de la configuration et de la localisation du terrain, « a pour effet d’étendre le périmètre de la partie urbanisée de la commune », ce qui justifiait légalement l’avis défavorable du préfet et, par voie de conséquence, le refus de permis d’aménager opposé par le maire.

Cette décision réaffirme avec clarté la méthode d’analyse restrictive de la notion de partie urbanisée (I), consacrant ainsi un contrôle pragmatique de l’extension de l’urbanisation en l’absence de planification locale (II).

***

I. La réaffirmation d’une appréciation restrictive de la notion de partie urbanisée

La Cour administrative d’appel, pour confirmer le refus de permis d’aménager, combine l’analyse des caractéristiques propres au terrain avec son insertion dans l’environnement local. Elle rappelle ainsi que la simple desserte de la parcelle par les réseaux est une condition insuffisante (A) et accorde une importance décisive à la situation du terrain en tant que rupture dans le tissu bâti (B).

A. Le critère nécessaire mais insuffisant de la desserte par les réseaux

Les requérants mettaient en avant que le terrain était desservi par l’ensemble des réseaux, qu’un arrêt de transport en commun lui faisait face et qu’une gare se trouvait à une distance de 650 mètres. Ces éléments sont constants dans le contentieux de l’application de la règle de constructibilité limitée, mais la jurisprudence a depuis longtemps établi qu’ils ne sauraient, à eux seuls, suffire à intégrer un terrain dans une partie urbanisée. La cour prend acte de ces faits mais les relègue au second plan de son raisonnement.

En effet, la présence de réseaux viaires, d’adduction d’eau, d’électricité ou de télécommunication constitue un prérequis à toute opération de construction viable, mais non une condition suffisante pour autoriser l’urbanisation. La logique du législateur, en conditionnant la construction à l’existence d’une urbanisation significative, est d’éviter un développement dispersé qui, bien que techniquement réalisable, engendrerait un mitage du territoire. La décision commentée s’inscrit fidèlement dans cette ligne en considérant que la desserte de la parcelle, si elle est avérée, ne préjuge en rien de son appartenance à un ensemble bâti cohérent et dense.

B. La qualification déterminante d’une rupture dans le tissu urbain

Le cœur du raisonnement de la cour réside dans l’analyse de la position du terrain par rapport aux constructions avoisinantes et aux espaces non bâtis. La juridiction relève que la parcelle, d’une superficie importante de plus de 3 000 mètres carrés, ne jouxte directement qu’un nombre limité de constructions et se situe dans « une coupure séparant » deux lieux-dits. De plus, elle observe que la route qui la borde à l’ouest « constitue une rupture d’urbanisation », la séparant d’autres constructions plus lointaines.

Cette analyse factuelle très précise permet à la cour d’écarter la qualification de « dent creuse » invoquée par les requérants. Une dent creuse se définit comme un espace non bâti entouré de parcelles construites au sein d’un tissu urbain déjà constitué. Or, en l’espèce, le terrain litigieux s’ouvre largement au nord et au sud sur des espaces naturels et agricoles. La cour en conclut logiquement qu’il « fait partie intégrante d’un ensemble d’espaces naturels et agricoles », et que son aménagement ne viserait pas à combler un vide, mais bien à entamer une nouvelle fronte d’urbanisation.

***

II. La consécration d’un contrôle pragmatique de l’extension de l’urbanisation

Au-delà de l’application technique des critères légaux, cet arrêt témoigne de la méthode du faisceau d’indices que le juge administratif met en œuvre pour contrôler l’urbanisation (A). Cette approche casuistique s’inscrit pleinement dans l’objectif plus large de lutte contre l’artificialisation des sols (B).

A. La mise en œuvre du pouvoir souverain d’appréciation du juge

Pour déterminer si une parcelle relève ou non d’une partie urbanisée, le juge administratif ne s’en tient pas à un seul critère mais procède à une appréciation globale, en pesant un ensemble d’éléments factuels. La décision commentée en est une parfaite illustration. La taille de la parcelle, sa forme, le nombre et la densité des constructions environnantes, la présence de voies constituant des coupures physiques et l’ouverture sur le paysage agricole sont autant d’indices que la cour examine et hiérarchise.

Cette méthode confère au juge un pouvoir souverain d’appréciation des faits de chaque espèce. Il ne se limite pas à une application mécanique de la loi mais se livre à une analyse concrète de la réalité du terrain. L’arrêt démontre que, dans ce cadre, la perception visuelle et la cohérence paysagère jouent un rôle prépondérant. Le projet est moins jugé sur ses qualités intrinsèques que sur son impact potentiel sur l’équilibre entre les zones bâties et non bâties, un équilibre que le juge a pour mission de préserver en l’absence de règles locales.

B. Une solution en cohérence avec l’objectif de lutte contre l’artificialisation des sols

Bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce, dont la solution est étroitement liée à la configuration particulière des lieux, l’arrêt s’inscrit dans un mouvement de fond du droit de l’urbanisme visant à maîtriser la consommation d’espace. La règle de la constructibilité limitée, posée par l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme, constitue l’un des plus anciens outils de cette politique. Son interprétation stricte par la jurisprudence administrative en fait une arme efficace contre l’étalement urbain dans les territoires non planifiés.

En qualifiant le projet d’« extension de la partie urbanisée », la cour administrative d’appel de Lyon envoie un signal clair : la densification des zones déjà urbanisées est privilégiée par rapport à la conquête de nouveaux espaces, même si ces derniers sont proches du bâti existant. Cette décision préfigure et conforte les objectifs plus récents de zéro artificialisation nette, en rappelant que la préservation des coupures d’urbanisation et des terres agricoles est une considération primordiale, qui ne cède que devant les prévisions explicites d’un document de planification locale.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture