Par un arrêt en date du 18 février 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la légalité du classement de parcelles en zone agricole par un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, des propriétaires contestaient le classement de leurs terrains, situés en bordure d’une zone urbanisée, en zone agricole non constructible, arguant de leur absence de potentiel agronomique. Saisis d’une demande d’annulation de la délibération approuvant le document d’urbanisme, les juges de première instance du tribunal administratif de Grenoble avaient rejeté le recours par un jugement du 20 avril 2023. Les requérants ont alors interjeté appel de cette décision, soutenant que le classement contesté était entaché d’une erreur de droit au regard des dispositions du code de l’urbanisme ainsi que d’une erreur manifeste d’appréciation. Se posait ainsi la question de savoir si le classement en zone agricole d’une parcelle dépourvue de valeur agronomique intrinsèque, mais située dans la continuité d’un vaste espace agricole, pouvait être considéré comme légal. La cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative en rejetant la requête. Elle juge que la légalité d’un tel classement ne s’apprécie pas au regard des seules caractéristiques de la parcelle concernée, mais en considération de son intégration dans un secteur plus large et de sa conformité avec les objectifs généraux du projet d’aménagement et de développement durables.
L’arrêt confirme ainsi la place prépondérante du parti d’urbanisme dans l’exercice du pouvoir de zonage, en vertu d’une appréciation soumise à un contrôle juridictionnel restreint (I). Il consacre par ailleurs une approche pragmatique de la protection des espaces agricoles, privilégiant la cohérence d’ensemble du secteur sur la vocation individuelle des parcelles (II).
I. La confirmation de la portée du parti d’urbanisme sous un contrôle restreint
La décision de la cour administrative d’appel réaffirme avec clarté la marge d’appréciation dont disposent les auteurs d’un plan local d’urbanisme, une latitude dont le juge administratif ne censure que les excès les plus caractérisés (A). Cette position de principe trouve une application directe dans l’analyse des faits de l’espèce, où le classement est jugé justifié au regard de la situation des parcelles (B).
A. Le rappel du principe du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation
La cour prend soin de rappeler le cadre de son office lorsqu’il est saisi d’une contestation portant sur un choix de classement. Elle énonce que « l’appréciation à laquelle [les auteurs du plan] se livrent ne peut être discutée devant le juge de l’excès de pouvoir que si elle repose sur des faits matériellement inexacts, si elle est entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ». Ce faisant, elle s’inscrit dans une jurisprudence constante qui reconnaît aux autorités compétentes une large liberté pour définir les zones et modifier l’utilisation des sols dans l’intérêt de l’urbanisme. Le juge se refuse à substituer sa propre appréciation à celle de l’administration, se bornant à vérifier que celle-ci n’est pas fondée sur une lecture manifestement erronée de la réalité ou une disproportion flagrante entre le classement opéré et les objectifs poursuivis. Ce contrôle restreint se justifie par la complexité des choix d’aménagement, qui impliquent une mise en balance d’intérêts divers et relèvent d’une opportunité politique que le juge n’a pas à contrôler.
B. L’application du contrôle restreint à la situation des parcelles
Faisant une application concrète de ce principe, la cour examine la situation de chacune des parcelles contestées pour conclure à l’absence d’erreur manifeste. Pour l’une des parcelles, elle relève qu’elle « s’ouvre, sur deux côtés sur une vaste zone agricole dont elle fait partie intégrante », écartant ainsi la qualification de « dent creuse » au sein du tissu urbanisé que soutenaient les requérants. Pour la seconde, le juge note qu’elle « s’ouvre principalement sur la parcelle cadastrée section B n°867, dépourvue de construction ». Dans les deux cas, le raisonnement s’attache moins aux caractéristiques propres des terrains qu’à leur positionnement géographique en lisière d’un espace agricole étendu. Le juge valide ainsi le choix des auteurs du plan de faire prévaloir la logique de continuité des espaces naturels et agricoles sur une urbanisation progressive en périphérie des zones bâties. Le classement est perçu comme une mesure cohérente avec le parti d’urbanisme.
II. La prévalence de la cohérence sectorielle sur la vocation intrinsèque de la parcelle
Au-delà du seul contrôle de l’erreur, l’arrêt illustre la manière dont la protection des terres agricoles est conçue en droit de l’urbanisme. Elle se fonde sur une logique de préservation d’un secteur dans son ensemble (A), en cohérence avec les objectifs d’aménagement durable définis par le plan (B).
A. La justification du classement par l’intégration à un ensemble agricole
La cour admet explicitement que le classement en zone agricole peut être légal alors même que la parcelle concernée « n’aurait pas de vocation ou de potentiel agronomique ou de valeur agricole particulière ». Cette affirmation est centrale, car elle dissocie la qualification juridique de la parcelle de son usage ou de son potentiel effectif. Ce qui importe n’est pas que le terrain soit cultivé ou cultivable, mais qu’il participe à la cohérence d’un « secteur (…) à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles », conformément à l’article R. 151-22 du code de l’urbanisme. La parcelle n’est pas analysée isolément mais comme une composante d’un ensemble plus vaste, la zone A, dont la préservation est d’intérêt général. En empêchant son urbanisation, les auteurs du plan préviennent le mitage de l’espace agricole et maintiennent une délimitation claire entre les zones urbaines et les zones naturelles.
B. La légitimation du classement par les objectifs du plan local d’urbanisme
Enfin, l’arrêt justifie la décision de classement par sa conformité avec les finalités poursuivies par le document d’urbanisme. La cour souligne que le classement « répond aux objectifs que se sont assignés les auteurs du PLU, tenant à la maîtrise du développement de l’urbanisation de façon cohérente et raisonnée et à la modération de la consommation foncière ainsi qu’à la protection et à la valorisation des espaces agricoles ». Ce faisant, elle rattache directement le choix de zonage aux orientations du projet d’aménagement et de développement durables (PADD). La décision contestée n’apparaît plus comme une contrainte arbitraire imposée à quelques propriétaires, mais comme la mise en œuvre d’une politique d’aménagement du territoire. La portée de l’arrêt, bien que rendu sur un cas d’espèce, confirme ainsi que la protection de l’activité agricole et des paysages constitue un motif légitime pour refuser l’urbanisation de terrains, y compris lorsque ceux-ci sont situés à proximité immédiate des réseaux et des zones déjà bâties.