Cour d’appel administrative de Lyon, le 18 février 2025, n°23LY01102

Par un arrêt en date du 18 février 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la légalité du classement d’une parcelle en zone agricole dans le cadre de la révision d’un plan local d’urbanisme. En l’espèce, un propriétaire avait demandé au tribunal administratif de Grenoble l’annulation de la délibération du conseil municipal d’une commune de Haute-Savoie en ce qu’elle classait sa parcelle en zone agricole, obérant ainsi ses possibilités de construction. Le tribunal administratif ayant rejeté sa demande par un jugement du 2 février 2023, le requérant a interjeté appel, soutenant que ce classement était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Il arguait notamment que sa parcelle, de taille réduite et dépourvue de potentiel agronomique, était desservie par les réseaux, entourée de constructions et devait être considérée comme une « dent creuse » au sein du tissu urbain existant, rendant son classement en zone agricole incohérent avec les orientations du projet d’aménagement et de développement durables. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si le classement en zone agricole d’une parcelle de taille modeste, située en bordure d’un hameau et desservie par les réseaux, mais intégrée à un plus vaste ensemble non bâti, caractérisait une erreur manifeste d’appréciation de la part de la commune. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que les auteurs du plan local d’urbanisme n’ont pas commis d’erreur manifeste en retenant ce classement, celui-ci étant cohérent avec les objectifs généraux de limitation de l’étalement urbain et de préservation des espaces ouverts définis par le projet d’aménagement.

La décision de la cour administrative d’appel illustre la déférence du juge administratif envers les choix d’aménagement opérés par les collectivités locales, en confirmant l’application d’un contrôle restreint en matière d’urbanisme (I). Ce faisant, elle réaffirme la primauté des objectifs d’intérêt général sur les intérêts particuliers, en consacrant une vision large de la protection des espaces agricoles et naturels (II).

I. La confirmation du contrôle restreint du juge sur les choix d’urbanisme

L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui accorde une marge d’appréciation considérable aux auteurs des documents d’urbanisme, en appliquant de manière rigoureuse le critère de l’erreur manifeste d’appréciation (A), ce qui conduit à faire prévaloir les orientations générales du plan sur la situation particulière d’une parcelle (B).

A. L’application du critère de l’erreur manifeste d’appréciation

Le juge administratif rappelle d’emblée la nature de son contrôle sur la légalité d’un zonage de plan local d’urbanisme. Il précise que l’appréciation des auteurs du plan « ne peut être censurée par le juge administratif que dans le cas où elle est entachée d’une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts ». Cette formulation classique confirme que le juge ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l’administration. Il se limite à sanctionner les erreurs les plus grossières, celles qui apparaissent évidentes au premier examen du dossier, sans qu’il soit besoin d’une analyse approfondie.

En l’espèce, la cour examine un par un les arguments du requérant pour déterminer si une telle erreur est constituée. Elle écarte la qualification de « dent creuse », relève que la parcelle est en continuité avec une vaste zone naturelle au sud et que son classement est cohérent avec la volonté de préserver des « espaces ouverts ». Le fait que la parcelle soit de petite taille, non exploitée ou raccordée aux réseaux n’est pas jugé suffisant pour rendre le choix de la commune manifestement erroné. La décision démontre ainsi que seule une incohérence flagrante ou une inexactitude factuelle avérée aurait pu conduire à l’annulation, un seuil que le requérant n’a pas réussi à atteindre.

B. La primauté du projet d’aménagement et de développement durables sur les spécificités de la parcelle

La cour fonde principalement son raisonnement sur la cohérence du classement litigieux avec les orientations définies dans le projet d’aménagement et de développement durables (PADD). Ce document, qui exprime les ambitions stratégiques de la commune, prévoyait explicitement de lutter contre le « mitage historique » et de ne « pas consommer d’espaces agricoles pour l’urbanisation en-dehors des espaces nécessaires au sein et en continuité du tissu urbain ». L’arrêt met en exergue que le hameau concerné avait été identifié comme un secteur à « développement limité, voire nul ».

Dès lors, le classement de la parcelle en zone A apparaît comme la traduction réglementaire directe de cette orientation politique. La cour considère que, même si la parcelle présente certaines caractéristiques d’un terrain urbanisable, son classement agricole est justifié par sa contribution à l’objectif plus large de maîtrise de l’urbanisation. En validant ce choix, la juridiction confirme que le PADD constitue la clé de voûte du PLU et que la cohérence avec ses objectifs est un critère déterminant pour apprécier la légalité du zonage, reléguant au second plan les caractéristiques intrinsèques du terrain.

Au-delà de la méthode de contrôle appliquée, la décision se distingue par la portée qu’elle confère à la notion de zone agricole et aux objectifs de préservation qui peuvent lui être attachés.

II. La réaffirmation du pouvoir discrétionnaire de l’autorité locale dans la protection des espaces agricoles et naturels

L’arrêt valide une conception extensive de la notion de zone agricole (A), qui conduit à une forme de marginalisation du droit de propriété individuel face aux impératifs d’urbanisme définis par la collectivité (B).

A. Une conception extensive de la vocation agricole d’un terrain

Aux termes de l’article R. 151-22 du code de l’urbanisme, les zones agricoles visent à protéger des secteurs « en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ». Or, dans le cas présent, la cour admet que la parcelle n’a peut-être pas de « vocation ou de potentiel agronomique ou de valeur agricole particulière ». Néanmoins, elle valide son classement en zone A en se fondant sur un autre objectif du PADD : celui de « maintenir des espaces ouverts qui participent à la qualité environnementale du territoire ».

Cette approche consacre une interprétation finaliste et large de la zone agricole. Elle ne se limite plus à la seule protection d’une activité économique, mais peut également servir d’outil pour la préservation des paysages, la création de coupures d’urbanisation ou le maintien de continuités écologiques. En jugeant que la parcelle fait « partie intégrante » d’un vaste espace naturel adjacent, la cour admet qu’un terrain peut être classé en zone A non pour sa valeur propre, mais pour sa fonction de transition ou de protection d’un ensemble plus vaste, renforçant considérablement les outils à disposition des communes pour maîtriser leur développement.

B. La marginalisation du droit de propriété au profit de l’intérêt général urbanistique

La solution retenue par la cour illustre la tension entre le droit de propriété et l’intérêt général poursuivi par la réglementation d’urbanisme. Le requérant faisait valoir des éléments concrets qui pouvaient légitimement fonder son espoir de pouvoir construire : un terrain situé dans un hameau, à proximité de constructions, et desservi par les réseaux publics. Ces arguments sont toutefois jugés inopérants par la cour, qui précise que le requérant « ne saurait utilement se prévaloir du classement antérieur de la parcelle en litige ni ne peut utilement se prévaloir de la possibilité d’un classement en zone urbaine ».

Cette affirmation est révélatrice : le droit de l’urbanisme est un droit prospectif, et les situations acquises ou les potentialités d’un terrain ne créent pas de droits à son classement en zone constructible. La décision réaffirme avec force que le choix d’aménagement relève de la seule compétence de l’autorité locale, agissant dans le cadre des objectifs qu’elle s’est fixés. Le préjudice subi par le propriétaire, qui voit la valeur de son bien et ses possibilités d’usage considérablement réduites, est ainsi considéré comme une conséquence acceptable de la poursuite d’objectifs d’intérêt général, tels que la lutte contre l’étalement urbain et la protection des espaces non bâtis.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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