Cour d’appel administrative de Douai, le 3 juillet 2025, n°24DA02344

Par un arrêt en date du 3 juillet 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la régularité et le bien-fondé d’une cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés. En l’espèce, une société avait conclu un contrat de crédit-bail immobilier portant sur un ensemble de bureaux et d’ateliers. À la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a remis en cause la déductibilité d’une partie des loyers versés au titre des exercices 2015 à 2017, correspondant à la fraction non amortissable du bien, soit le terrain. Ces rectifications ont conduit à une imposition supplémentaire au titre de l’exercice 2018.

La société a contesté ce rehaussement devant le tribunal administratif de Lille, qui a rejeté sa demande par un jugement du 26 septembre 2024. La contribuable a alors interjeté appel de cette décision. Devant la cour, elle soulevait plusieurs moyens de procédure, tenant notamment à l’insuffisante motivation de la proposition de rectification, à l’absence d’information sur la possibilité de saisir la commission des impôts directs, et à la prescription du droit de reprise de l’administration. Subsidiairement, elle contestait les modalités de calcul de l’imposition, en particulier la valeur du terrain retenue et le montant du résultat fiscal d’un exercice antérieur. L’administration concluait au rejet de la requête, contestant la recevabilité de la réclamation initiale et défendant la régularité et le bien-fondé de la procédure. Il revenait donc à la cour de déterminer si les vices de procédure invoqués par la société étaient de nature à entraîner la décharge de l’imposition et, à défaut, si les rectifications opérées par l’administration reposaient sur une base légale et factuelle correcte.

La cour administrative d’appel rejette l’ensemble des arguments de la société requérante et confirme le jugement de première instance. Elle juge que la procédure d’imposition a été menée de manière régulière, notamment en ce qui concerne la motivation de la rectification et l’interruption de la prescription. Elle valide également le bien-fondé du rehaussement, tant dans son principe que dans ses modalités de calcul.

L’arrêt permet ainsi de réaffirmer les exigences relatives à la régularité de la procédure fiscale (I), avant de confirmer l’application rigoureuse des règles de fond relatives à la déductibilité des charges en matière de crédit-bail immobilier (II).

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I. La consolidation des garanties procédurales du contribuable

La décision de la cour administrative d’appel vient préciser l’étendue des garanties offertes au contribuable en matière de procédure fiscale, en se prononçant d’abord sur l’obligation de motivation de l’administration (A), puis sur les conditions d’interruption de la prescription (B).

A. Une appréciation pragmatique de l’obligation de motivation

La société requérante soutenait que la proposition de rectification était insuffisamment motivée, au motif qu’elle ne détaillait pas le mode de calcul de la somme réintégrée. La cour écarte ce moyen en procédant à une analyse concrète du contenu de l’acte. Elle relève que le document mentionnait non seulement le fondement juridique de la rectification, à savoir le 10 de l’article 39 du code général des impôts, mais aussi tous les éléments de fait nécessaires à la compréhension du rehaussement. La proposition rappelait la nature de l’opération, les montants des loyers comptabilisés et les valeurs respectives du bâtiment et du terrain stipulées dans le contrat.

La cour estime que ces mentions « étaient suffisantes pour permettre à la […] société de comprendre que la quote-part de loyer que l’administration se proposait de réintégrer à son résultat […] résultait d’un calcul de proportionnalité ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui n’exige pas de l’administration qu’elle expose dans le détail l’intégralité de ses calculs arithmétiques. L’essentiel est que le contribuable soit mis en mesure de formuler des observations utiles et de contester le bien-fondé de la rectification en pleine connaissance de cause. En jugeant que le simple rappel des bases de calcul et du fondement légal permettait à la société de reconstituer le raisonnement du service, la cour adopte une approche pragmatique qui équilibre l’obligation d’information de l’administration et la nécessaire diligence du contribuable.

B. La neutralisation de la prescription par la connaissance acquise

Le moyen tiré de la prescription du droit de reprise de l’administration est également écarté par la cour, à travers un raisonnement notable sur la preuve de l’interruption du délai. La société affirmait ne pas avoir reçu l’avis de mise en recouvrement avant la date d’expiration du délai de reprise. L’administration, de son côté, n’était pas en mesure de justifier de la date de notification de cet acte. La cour contourne cette carence probatoire en se fondant sur le contenu même de la réclamation préalable formée par la contribuable.

Elle constate que, dans cette réclamation, la société avait non seulement demandé un sursis de paiement, mais aussi visé le montant exact des impositions réclamées. Pour les juges, ces éléments démontrent que « la société avait nécessairement eu connaissance de cet avis de mise en recouvrement, alors même que l’administration n’est pas en mesure de justifier de la date de sa notification ». Cette application de la théorie de la connaissance acquise prive d’effet le vice de procédure allégué. Elle rappelle que les garanties formelles ne sauraient être instrumentalisées par un contribuable dont les propres agissements prouvent qu’il a disposé en temps utile des informations nécessaires à la défense de ses droits. La solution est sévère mais logique, car elle empêche qu’une simple défaillance dans l’administration de la preuve formelle ne fasse échec à l’application de la loi fiscale.

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II. La confirmation du bien-fondé de la rectification fiscale

Après avoir validé la procédure d’imposition, la cour se prononce sur le fond du litige. Elle confirme sans surprise l’analyse de l’administration quant au principe du rehaussement (A), puis elle rejette les contestations factuelles de la société (B).

A. Le principe intangible de non-déductibilité de la part de loyer afférente au terrain

Le cœur du litige portait sur la réintégration, dans les résultats de la société, de la part des loyers de crédit-bail correspondant au prix du terrain. Sur ce point, la cour se contente d’une application littérale des dispositions du 10 de l’article 39 du code général des impôts. Ce texte prévoit que les loyers versés dans le cadre d’un contrat de crédit-bail immobilier ne sont déductibles qu’à l’exclusion de la fraction se rapportant à des éléments non amortissables.

Le terrain étant par nature un élément non amortissable, l’administration était fondée à remettre en cause la déduction de la quote-part des loyers qui lui était afférente. La solution est une illustration classique du traitement fiscal du crédit-bail immobilier, qui vise à assurer la neutralité du mode de financement de l’actif. En refusant la déduction de cette fraction du loyer, la législation fiscale assimile le crédit-preneur à un propriétaire qui ne pourrait amortir la valeur de son terrain. L’arrêt, purement confirmatif sur ce point, n’apporte pas d’innovation mais sert de rappel utile de cette règle fondamentale, souvent source de contentieux pour les entreprises mal informées.

B. La force probante des documents contractuels et fiscaux

À titre subsidiaire, la société contestait deux éléments de fait retenus par l’administration : la valeur du terrain et le montant du résultat imposable d’un exercice antérieur. La cour balaie ces deux arguments en se fondant sur les documents produits ou acceptés par la contribuable elle-même. Concernant la valeur du terrain, elle souligne que le montant retenu par l’administration « correspond au prix mentionné dans le contrat de crédit-bail conclu par cette société […] et repris dans sa propre réclamation ». La société ne pouvait donc valablement contester une valeur qu’elle avait elle-même acceptée contractuellement puis utilisée dans ses écritures.

De même, pour le calcul du résultat fiscal de l’exercice 2016, la cour privilégie les données figurant dans la liasse fiscale officiellement déposée par la société, plutôt que celles issues d’états comptables intermédiaires produits pour les besoins de la cause. Ce faisant, la cour réaffirme la primauté des actes formels et des déclarations souscrites par le contribuable. Ce dernier se trouve ainsi lié par ses propres déclarations et par les stipulations des contrats qu’il a signés. Cette approche rigoureuse garantit la sécurité juridique et empêche les parties de se dédire au gré de leurs intérêts contentieux.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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