Cour d’appel administrative de Douai, le 23 janvier 2025, n°22DA02505

Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 23 janvier 2025 vient préciser les modalités d’application du principe de réciprocité en matière de distances d’implantation entre les bâtiments agricoles et les constructions à usage d’habitation. En l’espèce, une société civile immobilière s’était vu opposer un refus par un maire pour deux demandes de certificat d’urbanisme opérationnel. Ces demandes concernaient, d’une part, la construction d’un bâtiment à usage d’habitation et, d’autre part, la réhabilitation d’un bâtiment existant en plusieurs logements. Le refus était motivé par la proximité du projet avec un élevage bovin existant, en application des règles d’éloignement prévues par le code rural et de la pêche maritime et le règlement sanitaire départemental. Saisi par la société, le tribunal administratif de Lille avait rejeté ses recours tendant à l’annulation de ces décisions. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que les bâtiments d’élevage à l’origine du refus étaient eux-mêmes irrégulièrement implantés et ne pouvaient donc lui être opposés. Il revenait dès lors aux juges d’appel de déterminer si l’autorité administrative pouvait légalement fonder son refus sur une règle de distance réciproque, alors même que la régularité du bâtiment agricole préexistant qui en constituait le point de départ était contestée. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que si le principe de réciprocité ne s’applique qu’aux bâtiments agricoles régulièrement édifiés, il appartient au pétitionnaire qui s’en prévaut d’apporter la preuve de leur irrégularité. Faute pour la société requérante de démontrer le caractère illégal de la construction des bâtiments d’élevage, le refus de l’autorité municipale est jugé fondé. La décision vient ainsi consacrer une application rigoureuse du mécanisme de réciprocité en le conditionnant à la régularité de l’installation préexistante (I), tout en livrant une solution pragmatique dont la portée est néanmoins limitée par le rôle déterminant de l’administration de la preuve (II).

I. La consécration d’un principe de réciprocité conditionné

L’arrêt rappelle avec fermeté le principe de réciprocité des règles de distance, destiné à organiser la coexistence entre activités agricoles et zones habitées (A), tout en le subordonnant à une condition essentielle de régularité de l’installation agricole (B).

A. La réaffirmation de l’obligation de respect des distances réciproques

La décision s’appuie sur l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, qui instaure une règle de réciprocité. Les distances imposées aux bâtiments agricoles vis-à-vis des habitations doivent également être respectées par les nouvelles constructions à usage non agricole vis-à-vis des bâtiments agricoles existants. La cour rappelle qu’il « appartient ainsi à l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire un bâtiment à usage d’habitation ou pour délivrer un certificat d’urbanisme en vue de la réalisation d’une telle opération de vérifier le respect des dispositions législatives ou réglementaires fixant de telles règles de distance ». Cette obligation de vérification qui pèse sur l’autorité administrative constitue un instrument de prévention des conflits d’usage de l’espace rural et périurbain.

En validant le refus du maire fondé sur ce motif, la juridiction conforte une vision équilibrée de l’aménagement du territoire. Le mécanisme de réciprocité protège les exploitations agricoles contre une urbanisation nouvelle qui pourrait, à terme, entraver leur développement ou générer des contentieux de voisinage liés aux nuisances inhérentes à leur activité. Le juge administratif confirme donc que l’application de cette règle par l’autorité d’urbanisme est non seulement une faculté, mais une obligation qui participe de la bonne application du droit des sols. Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à sécuriser juridiquement les activités agricoles face à la pression foncière.

B. La condition nécessaire de la régularité du bâtiment agricole

Toutefois, la cour apporte une nuance fondamentale à l’application de ce principe en précisant que « l’exigence d’éloignement résultant de ces dispositions ne s’applique toutefois que pour des bâtiments agricoles régulièrement édifiés et exploités ». Cette condition est essentielle, car elle empêche qu’une situation illégale puisse produire des effets de droit au détriment de tiers. Un exploitant agricole ne saurait se prévaloir de la protection offerte par la règle de réciprocité si son propre bâtiment a été construit en méconnaissance des règles d’urbanisme ou des réglementations spécifiques qui lui sont applicables. Cette solution est conforme au principe général selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

En posant cette exigence, le juge administratif assure un juste équilibre entre la protection des activités agricoles et le droit de construire. Le bâtiment agricole qui déclenche l’application de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime doit constituer un point de référence légal et incontestable. Admettre le contraire reviendrait à faire naître une servitude d’urbanisme au profit d’une construction irrégulière, ce qui constituerait une rupture d’égalité devant les charges publiques et une prime à l’illégalité. La régularité de l’installation agricole devient ainsi le pivot central de l’applicabilité de la règle de distance.

II. Une solution d’espèce dictée par l’administration de la preuve

Au-delà de la clarification du principe, la solution retenue par la cour repose sur une analyse factuelle rigoureuse des arguments soulevés (A) et fait peser la charge de la preuve de l’irrégularité sur le demandeur à la construction (B), ce qui en limite la portée générale.

A. Le rejet d’arguments factuellement non étayés

La cour examine méthodiquement chacun des moyens soulevés par la société requérante pour les écarter un à un. Elle juge d’abord inopérant le moyen tiré de l’antériorité de l’occupation des bâtiments d’habitation, en distinguant clairement le régime de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage de celui de la légalité des autorisations d’urbanisme. De même, elle écarte la qualification d’« élevage familial » en se fondant sur des pièces concrètes du dossier, notamment un courrier préfectoral faisant état d’un cheptel de plus de cent bovins, incompatible avec une telle qualification. Enfin, l’argument tiré d’une erreur de fait sur la distance est balayé par la simple lecture des plans fournis par la société elle-même.

Cette approche pragmatique témoigne de la volonté du juge de ne pas se contenter d’allégations générales, mais de se forger une conviction sur la base d’éléments matériels précis. La décision illustre parfaitement le rôle du juge administratif de l’excès de pouvoir, qui, s’il ne se substitue pas à l’administration, exerce un contrôle complet sur la matérialité et la qualification juridique des faits qui fondent une décision. Le rejet des moyens de la requérante n’est pas fondé sur une impossibilité juridique, mais sur l’insuffisance des preuves qu’elle apporte.

B. La charge de la preuve de l’irrégularité comme clé de la solution

Le cœur du raisonnement de la cour réside dans la question de la charge de la preuve de l’irrégularité des bâtiments d’élevage. Alors que le principe veut que seuls les bâtiments réguliers offrent une protection, le juge considère qu’il appartient à celui qui conteste cette régularité d’en apporter la démonstration. En l’espèce, la société requérante n’a pas réussi à prouver que les bâtiments agricoles, dont l’existence était très ancienne, avaient été édifiés en violation des règles en vigueur à l’époque de leur construction. La cour relève qu’« il n’est pas établi en l’espèce, ni même sérieusement allégué », que la réglementation invoquée était applicable à la date d’édification des bâtiments.

Cette répartition de la charge probatoire est déterminante et transforme une question de droit en une question de fait. En l’absence de preuve contraire, la régularité du bâtiment agricole ancien est présumée. Cette solution, bien que logique sur le plan procédural, peut placer le demandeur d’une autorisation d’urbanisme dans une situation difficile, la preuve de l’irrégularité d’une construction ancienne pouvant être particulièrement complexe à rapporter. L’arrêt devient ainsi une décision d’espèce, dont la solution est entièrement dépendante de la carence probatoire d’une partie. Sa portée s’en trouve limitée, car dans une autre affaire où la preuve de l’irrégularité serait rapportée, la solution serait nécessairement inverse.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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