Cour d’appel administrative de Douai, le 13 mars 2025, n°22DA01428

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Douai le 13 mars 2025 illustre avec une clarté particulière les mécanismes de régularisation des autorisations d’urbanisme en cours d’instance. En l’espèce, une société s’est vu octroyer par une commune un permis de construire pour un projet hôtelier et de thalassothérapie. Cette autorisation a fait l’objet d’un recours gracieux de la part de plusieurs riverains, lequel a été implicitement rejeté. Par la suite, un premier permis de construire modificatif a été délivré. Les riverains ont alors saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation du permis initial et de son modificatif. Par un jugement avant-dire droit, le tribunal a identifié un vice de forme susceptible d’être régularisé et a sursis à statuer en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, tout en écartant les autres moyens soulevés. Un second permis modificatif a été pris pour purger le vice constaté. Le tribunal a, par un jugement ultérieur, rejeté la requête au fond, estimant la régularisation opérante. Les requérants ont interjeté appel de ces deux jugements, tandis que la société bénéficiaire du permis a formé une demande reconventionnelle pour recours abusif. Se posait donc à la cour la question de savoir dans quelle mesure des permis de construire modificatifs successifs, dont l’un est délivré dans le cadre d’un sursis à statuer juridictionnel, peuvent neutraliser les illégalités d’une autorisation d’urbanisme initiale. De plus, il lui appartenait de déterminer si l’exercice d’un recours, finalement infructueux suite à ces régularisations, pouvait caractériser un comportement abusif. La cour administrative d’appel répond par la négative à cette seconde question, tout en confirmant l’entière légalité du projet suite aux modifications successives. Elle juge que les illégalités initiales ont été valablement purgées par les permis modificatifs, rendant les moyens correspondants inopérants. Elle écarte cependant la qualification de recours abusif, considérant que la présence d’illégalités initiales justifiait l’action en justice des riverains. La décision met ainsi en lumière la primauté accordée à la régularisation des projets, qui s’impose comme un principe directeur du contentieux de l’urbanisme (I), tout en venant préciser la portée de certaines règles de fond et les limites du droit à réparation du pétitionnaire face à un recours (II).

I. La primauté accordée à la régularisation des autorisations d’urbanisme

La cour fait une application rigoureuse des instruments de régularisation, consacrant leur effet neutralisant sur les vices affectant l’autorisation initiale (A) et confirmant ainsi le rôle central du juge administratif dans le sauvetage des projets d’urbanisme (B).

A. L’effet neutralisant des permis modificatifs sur les illégalités initiales

L’arrêt démontre que la délivrance d’un permis de construire modificatif a pour effet de rendre inopérants les moyens dirigés contre l’autorisation initiale, dès lors que les points contestés ont été amendés. La cour rappelle ce principe fondamental en énonçant que « Les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’autorisation initiale ». En l’espèce, plusieurs vices potentiels du permis de 2019, qu’il s’agisse de l’incomplétude du dossier, de la méconnaissance des règles de hauteur ou d’implantation, sont systématiquement écartés non pas en jugeant de leur bien-fondé initial, mais en constatant qu’ils ont été corrigés par le permis modificatif de 2020. Ainsi, le moyen tiré de l’irrégularité de l’avis de la commission de sécurité est jugé inopérant au motif qu’un « nouvel avis sur le permis de construire modificatif n°1 le 3 septembre 2020 » a été rendu. De même, l’illégalité tirée du non-respect de la règle d’alignement fixée par l’article UP 6 du plan local d’urbanisme, que la cour reconnaît comme avérée pour le permis initial, est neutralisée car « le permis modificatif n°1 a régularisé le vice affectant le permis initial ». Cette approche pragmatique, qui privilégie la situation du projet à la date où le juge statue, limite considérablement la portée des contestations. Elle contraint les requérants à un suivi constant des évolutions du projet en cours d’instance et à adapter leur argumentation en conséquence, déplaçant le débat contentieux de l’acte initial vers les mesures de régularisation successives.

B. Le rôle du juge administratif comme facilitateur de la régularisation

Au-delà de l’effet des permis modificatifs spontanés, la décision illustre le rôle actif du juge dans le processus de régularisation par l’usage du sursis à statuer prévu à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Le tribunal de première instance, ayant constaté un unique vice tenant à l’incomplétude du dossier de demande, a choisi de ne pas annuler l’autorisation mais de « sursis à statuer sur la requête (…) jusqu’à l’expiration d’un délai de quatre mois accordé (…) pour régulariser le vice ». La cour d’appel valide cette démarche. Elle constate que la mesure de régularisation, à savoir le second permis modificatif, a été notifiée au juge et que ce dernier a statué après avoir recueilli les observations des parties. Une fois la régularisation intervenue, la cour juge que les conclusions d’appel dirigées contre le jugement avant-dire droit en ce qu’il met en œuvre cette procédure sont « privées d’objet ». Cette solution consacre la finalité de ce mécanisme : non pas sanctionner une illégalité par l’annulation, mais permettre sa correction pour assurer la sécurité juridique du projet. Le juge n’est plus seulement un censeur, mais devient un aiguilleur, un acteur de la mise en conformité du projet, ce qui renforce l’objectif de stabilité des autorisations d’urbanisme et de poursuite des opérations de construction.

II. La portée précisée des règles d’urbanisme et du recours abusif

L’arrêt ne se limite pas à valider le processus de régularisation ; il apporte également des clarifications sur l’application des normes d’urbanisme, notamment la distinction entre compatibilité et conformité (A), et définit de manière protectrice les contours du recours abusif, préservant ainsi le droit au recours des tiers (B).

A. La distinction réaffirmée entre compatibilité et conformité

Un apport notable de la décision réside dans la censure de l’analyse du premier juge concernant la nature juridique des prescriptions d’une orientation d’aménagement et de programmation (OAP). Le tribunal avait semblé considérer qu’une orientation quantitative précise au sein d’une OAP, telle qu’une hauteur maximale de 18 mètres, s’analysait comme une règle impérative. La cour d’appel corrige cette interprétation en rappelant que les autorisations d’urbanisme sont soumises à une simple « obligation de compatibilité avec les orientations d’aménagement et de programmation ». Elle précise que « la seule circonstance que l’OAP n°15 exprime en des termes quantitatifs précis l’orientation qu’elle retient relativement à la hauteur (…) n’est pas de nature à elle seule à l’entacher d’illégalité ». Cette réaffirmation est essentielle. Elle maintient la souplesse inhérente aux OAP, qui doivent guider un projet sans le corseter dans des règles aussi strictes que celles d’un règlement de PLU. Le juge doit procéder à une « analyse globale » pour vérifier l’absence d’incompatibilité, et non une conformité point par point. Cette solution a une portée importante pour les porteurs de projet et les services instructeurs, car elle préserve une marge d’appréciation dans la mise en œuvre des OAP, qui sont des outils de planification stratégique plutôt que de réglementation parcellaire.

B. Le rejet de la qualification de recours abusif malgré les régularisations

Enfin, la cour se prononce sur la demande reconventionnelle du constructeur qui réclamait plus de quatre millions d’euros de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme. Ce dernier permet d’indemniser le bénéficiaire d’un permis lorsque le recours traduit un comportement abusif. Malgré le rejet au fond de l’intégralité des moyens des requérants après régularisation, la cour écarte fermement la qualification de recours abusif. Son raisonnement se fonde sur le fait que l’action en justice était initialement légitime. Elle retient « le caractère sérieux de certains moyens soulevés », le fait que des illégalités ont bien existé et ont nécessité des permis modificatifs, ainsi que la qualité de voisins des requérants et l’ampleur du projet. En jugeant que le recours « ne peut pas être regardé comme traduisant (…) un comportement abusif », la cour adopte une conception restrictive de l’abus du droit d’agir. Elle signifie qu’un recours fondé sur des illégalités réelles, même si elles sont purgées en cours d’instance, ne saurait être considéré comme abusif. Cette position est protectrice du droit au recours des tiers et constitue un signal important : la faculté de régulariser offerte au bénéficiaire d’un permis ne doit pas avoir pour corollaire de faire peser sur le requérant initial le risque d’une condamnation pour recours abusif. La légitimité du recours s’apprécie au regard de la légalité de l’acte au jour de son introduction, et non de sa légalité finale après correction.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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