Cour d’appel administrative de Douai, le 10 avril 2025, n°23DA00905

Par un arrêt en date du 10 avril 2025, une cour administrative d’appel a procédé à l’annulation d’un arrêté préfectoral refusant une autorisation environnementale pour la construction d’un parc éolien. En l’espèce, une société avait déposé une demande d’autorisation pour l’installation de six éoliennes, mais s’était heurtée au refus du préfet, qui invoquait plusieurs motifs liés à des atteintes environnementales et paysagères. Saisie par la société après le rejet implicite de son recours hiérarchique, la cour a examiné la légalité de cette décision administrative. Le préfet fondait son refus sur cinq arguments principaux : l’impact sur l’avifaune, l’atteinte aux paysages notamment la vallée de la Serre, l’insuffisance de l’étude concernant les chiroptères, la faible production électrique attendue en raison des mesures de bridage, et enfin la modification des interactions écologiques avec des zones naturelles protégées. La question soumise au juge était donc de déterminer si le préfet avait commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant ces motifs pour justifier son refus, au regard des éléments techniques fournis par le pétitionnaire dans son étude d’impact. La cour a répondu par l’affirmative, considérant que l’administration n’avait pas suffisamment étayé ses allégations et n’avait pas apporté la preuve d’une atteinte caractérisée aux intérêts protégés par le code de l’environnement. En conséquence, la décision de refus a été annulée, et il a été enjoint au préfet de réexaminer la demande.

La décision de la cour met en lumière l’exigence d’une motivation précise et circonstanciée pour tout refus d’autorisation environnementale, sanctionnant une argumentation administrative jugée trop générale (I). Ce faisant, elle réaffirme la place centrale de l’étude d’impact comme outil technique de référence dans le contentieux éolien, dont les conclusions ne peuvent être écartées sans contre-expertise probante (II).

I. La sanction d’un refus d’autorisation insuffisamment caractérisé

La censure du juge administratif porte d’abord sur le caractère insuffisamment démontré des atteintes que le projet aurait portées à son environnement. Elle se manifeste tant sur l’appréciation des lacunes de l’étude d’impact que sur l’évaluation de l’insertion du projet dans le paysage.

A. L’insuffisance du contrôle de l’étude d’impact

Le préfet avait notamment motivé son refus par le caractère prétendument incomplet du dossier de demande, spécifiquement sur le volet relatif aux chiroptères. L’autorité administrative relevait que « l’ensemble des données concernant les écoutes en hauteur pour les chiroptères n’ont pas été communiquées dans le dossier ». Le juge a toutefois écarté ce motif en considérant que l’administration n’allait pas au bout de son raisonnement. La cour estime en effet qu’en « se bornant à relever l’incomplétude du volet chiroptérologique de l’étude d’impact, le préfet ne démontre pas en quoi cette lacune est de nature à caractériser une insuffisance de l’étude d’impact ». Le juge ne se satisfait pas de la simple constatation d’une absence de données, mais exige que l’administration en démontre la portée, c’est-à-dire en quoi cette absence a empêché une correcte évaluation des incidences du projet. De surcroît, le juge prend acte des explications fournies par la société, qui justifiait cette lacune par un acte de vandalisme et démontrait avoir pallié ce manque par une nouvelle campagne de mesures sur un cycle biologique complet. Cette approche pragmatique souligne que le contrôle de l’administration doit porter sur la substance de l’évaluation environnementale et non sur une complétude purement formelle du dossier.

B. La nécessaire proportionnalité de l’atteinte aux paysages

Le juge a également examiné l’argumentation préfectorale relative à l’impact paysager du projet. Pour refuser l’autorisation, le préfet invoquait la sensibilité de la « vallée de la Serre » et la proximité d’une « zone de respiration autour de Laon ». La cour rappelle sa méthode d’analyse, qui consiste à évaluer la qualité du site puis l’impact de la construction sur celui-ci. Or, elle constate que le paysage concerné « ne revêt pas de caractère remarquable » et qu’il est déjà marqué par des infrastructures et d’autres parcs éoliens. Quant au concept de « zone de respiration », le juge précise qu' »aucun texte n’institue des espaces sans éoliennes qui seraient opposables à l’administration ». L’administration ne peut donc se fonder sur une telle notion non contraignante pour justifier un refus. Surtout, la cour reproche au préfet de ne pas caractériser l’atteinte excessive, se contentant d’affirmations générales. Les photomontages produits par le pétitionnaire, montrant une intégration du projet dans l’horizon, ont achevé de convaincre le juge de l’absence d’impact significatif. La décision illustre ainsi un contrôle de proportionnalité concret, qui refuse de donner une portée absolue à des notions paysagères non précisément définies par le droit positif.

II. La prééminence de l’expertise technique sur l’appréciation administrative

L’arrêt réaffirme avec force que l’évaluation des risques environnementaux doit reposer sur des données scientifiques objectives. Le juge administratif accorde ainsi une primauté aux conclusions de l’étude d’impact lorsque l’administration ne leur oppose pas d’éléments techniques contradictoires, que ce soit pour la faune ou pour les autres motifs de refus.

A. La validation des mesures de protection de la faune

Le préfet avait longuement détaillé les risques pour l’avifaune et les chiroptères, en listant les nombreuses espèces protégées présentes sur le site. Cependant, la cour relève que l’étude d’impact, dont le sérieux n’était pas contesté, avait elle-même identifié ces enjeux et proposé une série de mesures au titre de la séquence « éviter, réduire, compenser ». Ces mesures, telles que l’adaptation du calendrier des travaux, le bridage préventif des éoliennes ou l’absence d’enherbement des plateformes, permettaient de ramener les impacts résiduels à un niveau qualifié de « nul » à « faible ». Face à cette analyse détaillée, le préfet se contentait d’exprimer des doutes sur l’efficacité des mesures sans fournir de contre-expertise. La cour conclut que, dans ces conditions, « le risque pour l’avifaune n’apparaît pas significatif ». Il en va de même pour les chiroptères, où le juge estime qu’en « se bornant à relever que les inventaires ont permis d’identifier onze espèces de chiroptères, le préfet ne démontre pas en quoi le projet leur porterait une atteinte caractérisée ». La décision confirme qu’il ne suffit pas pour l’administration d’identifier un risque ; elle doit, pour légalement fonder un refus, contredire par des éléments probants les conclusions de l’étude d’impact démontrant que ce risque est maîtrisé.

B. Le rejet des motifs de refus inopérants ou non établis

Enfin, la cour écarte les derniers arguments du préfet, jugés soit non pertinents, soit non démontrés. Concernant l’atteinte aux interactions entre la biodiversité des ZNIEFF et des cours d’eau, le juge estime que « le préfet ne démontre pas en quoi le projet porterait atteinte à l’interaction de la biodiversité avec ces milieux », la simple mention de leur proximité étant insuffisante. Quant au dernier motif, tiré de la rentabilité économique du projet qui serait compromise par les mesures de bridage, il est balayé avec une clarté particulière. La cour souligne d’une part que « le préfet n’établit aucun lien entre le niveau de production électrique et un intérêt protégé par l’article L. 511-1 du code de l’environnement », et d’autre part que l’administration « n’en justifie pas la réalité ». Cet argument était donc doublement inopérant : il ne relevait pas des intérêts que la police des installations classées a pour objet de protéger, et il n’était, en tout état de cause, pas factuellement établi. L’insistance du juge à relever, pour chaque motif, que l’administration « n’a pas présenté d’écritures en défense » vient souligner la fragilité de la décision initiale et renforce l’idée qu’un refus d’autorisation ne saurait reposer sur des appréciations générales ou des craintes non étayées par une démonstration technique rigoureuse.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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