Un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux le 20 février 2025 offre un éclairage sur les conditions de régularité d’une procédure de rectification fiscale et sur la justification des provisions pour dépréciation de stock. En l’espèce, des associés d’une société de marchand de biens ont fait l’objet, à titre personnel, de rehaussements d’impôt sur le revenu au titre des années 2012 et 2013, consécutivement à une vérification de comptabilité de leur société. Les contribuables ont contesté ces impositions devant le tribunal administratif de Pau, qui a rejeté leur demande par un jugement du 6 juillet 2022. Saisis en appel par les contribuables, les juges du fond ont été amenés à se prononcer sur plusieurs moyens, tant de procédure que de fond. Les requérants arguaient en premier lieu de la prescription du droit de reprise de l’administration pour l’année 2012, au motif que la proposition de rectification n’aurait pas été régulièrement notifiée. Ils soutenaient ensuite que l’administration n’avait pas respecté la garantie tenant au délai de réponse de soixante jours à leurs observations. Enfin, sur le fond, ils contestaient la réintégration d’une provision pour dépréciation du stock de la société. La cour administrative d’appel a rejeté l’ensemble de ces moyens et confirmé pour l’essentiel les impositions litigieuses, après avoir constaté un non-lieu partiel à statuer suite à un dégrèvement prononcé en cours d’instance. La solution retenue par la cour conduit à examiner la manière dont elle a validé la procédure de contrôle menée par l’administration (I), avant d’analyser la confirmation rigoureuse du bien-fondé du rehaussement relatif à la provision pour dépréciation (II).
I. La validation de la régularité de la procédure d’imposition
La cour administrative d’appel a d’abord écarté les moyens de procédure soulevés par les contribuables en confirmant la validité de l’acte interruptif de prescription (A), puis en procédant à une interprétation stricte du champ d’application d’une garantie procédurale (B).
A. La reconnaissance d’une notification régulière par un prestataire privé
Les requérants soutenaient que le droit de reprise de l’administration était prescrit pour l’année 2012, la proposition de rectification ayant été, selon eux, notifiée de manière irrégulière. La cour écarte ce moyen en considérant que l’administration fiscale a satisfait à son obligation de notification. Elle rappelle que si l’administration choisit une voie autre que la lettre recommandée avec accusé de réception, elle doit établir par des modes de preuve équivalents la date de présentation du pli. En l’espèce, une notification avait été envoyée par un service de messagerie express à une adresse temporaire en Espagne, mais le colis était revenu avec la mention « envoi non livré : adresse inconnue ou incorrecte ». La cour relève qu’il « résulte de l’instruction, et notamment du courriel du 3 mai 2016, adressé par le service client Chronopost à l’administration fiscale, que l’adresse communiquée par le service à laquelle la société Chronopost a tenté de livrer le pli était rigoureusement la même que celle dont font état les requérants ». Elle en déduit que le défaut de remise n’est pas imputable à l’administration et que, par conséquent, le pli « doit être regardé comme ayant été régulièrement notifié aux contribuables avant le 31 décembre 2015 ». Cet arrêt confirme une position pragmatique du juge administratif, qui admet la validité d’une notification par un opérateur privé dès lors que l’administration rapporte la preuve que l’échec de la remise du pli n’est pas de son fait.
Après avoir validé la régularité de l’acte interruptif de prescription, la cour s’est prononcée sur le second argument de procédure tenant au respect d’une garantie offerte au contribuable.
B. L’application restrictive de la garantie du délai de réponse
Les contribuables invoquaient la méconnaissance de l’article L. 57 A du livre des procédures fiscales, qui impose à l’administration de répondre aux observations du contribuable dans un délai de soixante jours, sous peine d’acceptation de ces dernières. La cour rejette l’argument en adoptant une lecture littérale du texte. Elle souligne que cette garantie s’applique uniquement « en cas de vérification de comptabilité ou d’examen de comptabilité d’une entreprise ou d’un contribuable ». Or, elle constate que « si les rehaussements litigieux trouvent leur source dans la vérification de comptabilité de la SARL Sianes, en revanche, M. et Mme B… n’ont personnellement fait l’objet d’aucun examen ni vérification de leur comptabilité ». La solution est logique au regard de la lettre du texte. Elle établit une distinction nette entre la procédure de contrôle visant une société et la situation de ses associés, même si ces derniers subissent les conséquences fiscales des redressements opérés au niveau de la personne morale. Cette interprétation stricte des garanties procédurales rappelle que celles-ci ne s’appliquent qu’aux situations expressément prévues par le législateur.
II. La confirmation du rejet de la provision pour dépréciation
Sur le fond, la cour confirme le bien-fondé du rehaussement en exigeant une justification précise de la perte de valeur du stock (A) et en faisant une application stricte du principe d’annualité de l’impôt (B).
A. L’insuffisance de justifications générales pour constater une perte de valeur
La société avait constitué une provision pour dépréciation de son stock immobilier, arguant d’une baisse de valeur survenue au cours de l’exercice 2012. Pour justifier cette provision, les requérants produisaient des articles de presse économique faisant état de difficultés générales sur le marché immobilier. La cour juge ces éléments insuffisants, estimant que « ces études, qui ne portent que sur des données moyennes, ne suffisent pas à justifier la baisse de valeur des maisons de Capbreton ». Cette motivation réaffirme une exigence classique en matière de provisions : la perte doit être « nettement précisée » et rendue probable par des « événements en cours » à la clôture de l’exercice. Des considérations macro-économiques ou des tendances de marché ne sauraient suffire à établir la dépréciation d’un actif spécifique. La charge de la preuve d’une perte de valeur probable et individualisée pèse sur l’entreprise, qui doit fournir des éléments tangibles et propres aux biens concernés.
Au-delà de l’insuffisance des éléments produits, le rejet de la provision était également fondé sur le non-respect d’un principe cardinal du droit fiscal.
B. La réaffirmation de l’intangibilité du principe d’annualité
Les requérants tentaient de justifier la provision constatée au 31 décembre 2012 en se fondant sur la vente de deux maisons du stock, intervenue en 2013 à un prix inférieur. La cour écarte cet argument en se fondant sur le principe d’annualité de l’impôt. Elle observe que les compromis de vente ont été signés en juin 2013 et que « rien n’indique, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme B…, que pour ces deux transactions, l’accord sur le prix serait intervenu en décembre 2012 ». La cour en conclut logiquement que les requérants ne justifient « d’aucun événement qui, à la clôture de l’exercice 2012, aurait permis de constater une dépréciation du stock ». Cette solution est une application orthodoxe du principe d’annualité, qui impose d’apprécier les charges et les produits d’un exercice au regard des seuls événements survenus au cours de celui-ci. Les événements postérieurs à la date de clôture, même s’ils révèlent une perte de valeur, ne peuvent justifier une provision sur l’exercice clos. La cour se montre ainsi garante de l’étanchéité des exercices fiscaux, principe essentiel à la sécurité juridique et à la correcte détermination de l’assiette de l’impôt.