Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 17 avril 2025, n°24BX00908

L’arrêt soumis à commentaire, rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux le 17 avril 2025, illustre la délicate conciliation entre le développement des énergies renouvelables et la préservation de l’environnement. En l’espèce, une société s’est vu refuser une autorisation de défrichement portant sur une superficie de plus de dix hectares, nécessaire à l’implantation d’une centrale photovoltaïque. Ce refus, fondé sur les risques d’incendie et l’atteinte à la biodiversité, a été suivi d’un rejet de la demande de permis de construire afférente. La société a contesté ces décisions devant le tribunal administratif de Bordeaux, qui a rejeté ses requêtes par un jugement du 14 février 2024. Saisis en appel, les juges devaient déterminer si l’autorité administrative avait correctement apprécié les risques au regard des nombreuses mesures d’évitement, de réduction et de compensation proposées par le porteur de projet. La cour administrative d’appel répond par la négative et annule le jugement ainsi que les arrêtés préfectoraux. Elle considère que l’administration a commis une erreur d’appréciation en ne tenant pas suffisamment compte des garanties apportées par la société pétitionnaire pour maîtriser les risques identifiés. Cette décision, qui censure point par point les motifs du refus (I), renforce le contrôle du juge sur les décisions environnementales et en tire des conséquences injonctives précises (II).

I. La censure d’une appréciation jugée erronée des risques environnementaux

La cour administrative d’appel procède à une analyse détaillée des deux motifs invoqués par l’administration pour justifier son refus. Elle estime que ni le risque d’incendie (A), ni l’atteinte à l’équilibre biologique (B) ne sont suffisamment caractérisés au vu des garanties apportées par le projet.

A. La neutralisation du risque d’incendie par des mesures préventives concrètes

L’autorité préfectorale avait fondé son refus sur les dispositions du 9° de l’article L. 341-5 du code forestier, estimant que le projet augmentait le risque d’incendie dans le massif des Landes de Gascogne, classé en aléa « très fort ». La cour prend acte de ce contexte et du risque intrinsèque lié à de telles installations. Cependant, elle relève que la société pétitionnaire a substantiellement modifié son projet pour intégrer l’ensemble des préconisations émises par le service départemental d’incendie et de secours. Le juge énumère précisément les mesures additionnelles : retrait de trente mètres par rapport à la lisière forestière, création d’un pare-feu, mise en place d’une piste périphérique accessible aux engins de secours et installation d’une importante citerne. La cour souligne un fait déterminant, à savoir la confirmation par le service spécialisé que « l’ensemble de ses préconisations ont été prises en compte ». Cet avis technique favorable, corroboré par celui du commissaire enquêteur, vide de sa substance le motif tiré du risque résiduel. En conséquence, le juge considère que l’administration, en persistant dans son refus, a commis une erreur d’appréciation.

B. La prise en compte des mesures compensatoires face à l’impact sur la biodiversité

Le second motif du refus, tiré du 8° de l’article L. 341-5 du code forestier, reposait sur la nécessité de préserver l’équilibre biologique du site, qui abritait des espèces protégées et des zones humides. La cour reconnaît l’existence de cet enjeu, notant la présence d’oiseaux et d’amphibiens sensibles. Toutefois, elle opère un contrôle tout aussi concret que pour le risque d’incendie en examinant la séquence « éviter, réduire, compenser » mise en œuvre par la pétitionnaire. Le juge détaille les mesures prévues : l’évitement de la quasi-totalité des milieux aquatiques, la mise en place de mesures de compensation pour la destruction d’habitats de nidification dans un ratio de deux pour un, et la création d’une mare. La décision s’appuie également sur l’avis favorable du conseil national de la protection de la nature, qui avait validé la démarche sous réserve de la pérennité des engagements. Face à la complétude et au sérieux de ce dispositif, jugé adéquat par les autorités environnementales consultées, la cour conclut que le motif tiré de l’atteinte à l’équilibre biologique est, lui aussi, entaché d’une erreur d’appréciation.

Cette double censure, fondée sur une analyse factuelle et technique approfondie, démontre l’intensité du contrôle opéré par le juge sur les décisions de police administrative en matière d’environnement.

II. La portée du contrôle juridictionnel sur les autorisations environnementales

En annulant les décisions de refus, la cour administrative d’appel ne se contente pas de sanctionner une appréciation administrative qu’elle juge défaillante ; elle réaffirme la primauté d’une analyse concrète des projets (A) et tire les conséquences logiques de son annulation en encadrant l’action future de l’administration (B).

A. La primauté de l’analyse concrète sur l’appréciation générale des risques

Cet arrêt confirme que le juge administratif exerce un contrôle normal de l’appréciation des faits par l’administration lorsqu’il est saisi d’un refus d’autorisation de défrichement. L’autorité administrative ne peut se contenter d’invoquer un risque général, même avéré, comme la sensibilité d’un massif aux incendies. Elle doit évaluer de manière circonstanciée la capacité du projet, tel qu’il est présenté, à prévenir ou compenser ce risque. La cour ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l’administration, mais elle vérifie que cette dernière a correctement pesé l’ensemble des éléments du dossier, en particulier les avis des services experts et les engagements du pétitionnaire. En s’appuyant de manière décisive sur les validations techniques obtenues par la société, le juge rappelle que la décision administrative doit être fondée sur des éléments objectifs et proportionnée aux enjeux. La censure des deux motifs de refus témoigne d’une volonté de ne pas laisser l’administration opposer un refus de principe à un projet d’énergie renouvelable dès lors que celui-ci apporte des réponses sérieuses aux préoccupations environnementales.

B. L’enchaînement procédural des autorisations et la portée des injonctions

La cour tire logiquement les conséquences de l’illégalité du refus de défrichement. Le permis de construire ayant été refusé au seul motif que l’autorisation de défrichement n’avait pas été obtenue, son annulation découle mécaniquement de l’annulation de la première décision. L’arrêt se distingue surtout par la modulation de ses injonctions. Concernant le défrichement, l’annulation n’impliquant pas une délivrance automatique, le juge enjoint simplement au préfet de réexaminer la demande dans un délai de trois mois. En revanche, pour le permis de construire, la cour va plus loin. Constatant qu’aucun autre motif ne pourrait légalement justifier un refus, elle ordonne sa délivrance. Toutefois, elle assortit cette injonction d’une condition suspensive : l’obtention préalable de l’autorisation de défrichement. Cette solution pragmatique sécurise le porteur de projet tout en respectant la chronologie des procédures imposée par le code de l’urbanisme et le code forestier. Elle contraint l’administration à instruire le dossier à la lumière des motifs de l’arrêt, rendant un nouveau refus sur les mêmes fondements quasiment impossible.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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