Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 14 mai 2025, n°25BX00752

Par une ordonnance du 14 mai 2025, la présidente de la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur une demande de sursis à exécution d’un jugement annulant un refus de permis de construire. En l’espèce, un exploitant forestier avait sollicité l’autorisation de bâtir un local professionnel sur des parcelles boisées. Le maire de la commune concernée avait opposé un refus à cette demande. Saisi par le pétitionnaire, le tribunal administratif de Bordeaux avait annulé cette décision par un jugement du 10 janvier 2025, et enjoint au maire de délivrer le permis. La commune a alors interjeté appel de ce jugement et a assorti son recours d’une demande de sursis à exécution, afin de suspendre les effets de la décision des premiers juges. Il revenait donc à la juge des référés d’appel d’apprécier si les moyens soulevés par la commune paraissaient, en l’état de l’instruction, suffisamment sérieux pour justifier une telle suspension. La solution retenue consiste à accueillir la demande de sursis, en se fondant non sur les motifs originaux du refus, mais sur un motif nouveau tiré de la sécurité publique. L’ordonnance opère ainsi une sélection rigoureuse des arguments, écartant ceux jugés peu probants (I) pour ne retenir que ceux dont la gravité justifie la suspension de la décision de première instance (II).

I. L’appréciation différenciée des moyens relatifs à la nécessité de la construction et à la portée des avis préalables

La juge des référés écarte en premier lieu les moyens de la commune qui remettaient en cause l’analyse du tribunal administratif quant au bien-fondé du projet, confirmant la nécessité de la construction au regard de l’activité exercée (A), tout en réfutant l’interprétation d’une compétence liée du maire (B).

A. La confirmation de la nécessité de la construction au regard de l’exploitation forestière

La commune soutenait que la construction n’était pas nécessaire à l’activité de sylviculture du pétitionnaire, critiquant l’appréciation des premiers juges. Le tribunal avait en effet estimé que le projet n’était pas disproportionné par rapport aux surfaces exploitées, celles-ci s’élevant à près de 170 hectares. La présidente de la cour valide ce raisonnement, relevant que « l’importance de cette superficie (…) est corroborée par l’agrément produit en appel du centre national de la propriété forestière ». Elle en déduit que l’activité du demandeur requiert un matériel spécifique et que, par conséquent, « le moyen tiré de ce que la construction permettant notamment de l’abriter ne serait pas nécessaire à une activité agricole ne parait pas sérieux en l’état de l’instruction ». Ce faisant, elle refuse de voir dans cet argument un motif apte à justifier le sursis à exécution, considérant l’appréciation du tribunal comme solidement étayée sur ce point.

B. Le rejet de l’argument tiré de la compétence liée du maire

La commune arguait ensuite qu’elle se trouvait en situation de compétence liée pour refuser le permis. Elle se fondait sur l’avis de la préfète, favorable sous réserve d’un avis conforme de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), lequel s’est avéré défavorable. La requérante en déduisait que l’avis préfectoral devait être regardé comme négatif, liant ainsi la décision du maire. La juge des référés écarte également ce moyen, en soulignant que le pétitionnaire conteste lui-même le bien-fondé de l’avis de la CDPENAF, qui « s’est borné à estimer que les surfaces forestières exploitées ne justifient pas la construction du bâtiment projeté, sans indiquer ni les surfaces retenues ni les motifs de cette position ». Au regard de cette contestation et du manque de motivation de l’avis en question, le moyen selon lequel le maire aurait été lié n’apparaît pas, à ce stade de l’instruction, de nature à justifier le sursis.

Après avoir écarté les arguments principaux qui avaient fondé la position de la commune et l’appel, la juge se penche sur des moyens dont la portée s’avère décisive pour la solution du litige.

II. L’accueil favorable des moyens fondés sur l’urbanisme et la sécurité publique

L’ordonnance accorde le sursis à exécution en se fondant sur deux autres moyens, dont l’un était déjà présent dans la décision de refus initiale (A) et l’autre, substitué en cours d’instance, s’est révélé déterminant (B).

A. La prise en compte d’un motif de refus initial tiré du défaut de desserte par les réseaux

La décision de refus du maire était également motivée par l’application de l’article L. 111-11 du code de l’urbanisme. Il était reproché au projet de nécessiter une extension du réseau électrique dont la prise en charge n’était pas assurée. Devant le tribunal, le pétitionnaire avait soutenu qu’il était disposé à assumer le coût de cette extension. La juge des référés d’appel rappelle cependant une règle jurisprudentielle constante, en précisant que « le pétitionnaire auquel est opposée une décision de refus de permis de construire (…) ne peut utilement se prévaloir devant le juge de l’excès de pouvoir de ce que l’autorité administrative compétente aurait dû lui délivrer l’autorisation sollicitée en l’assortissant de prescriptions spéciales ». L’argument du demandeur était donc inopérant en droit. Ce motif, bien que non jugé suffisant à lui seul, est ainsi considéré comme un élément sérieux fragilisant le jugement de première instance.

B. La consécration d’un motif substitué, dirimant, fondé sur le risque pour la sécurité publique

Le point d’orgue du raisonnement de l’ordonnance réside dans l’accueil d’une demande de substitution de motif formulée pour la première fois en appel par la commune. Celle-ci invoque la méconnaissance de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, en raison du risque d’incendie majeur dans ce secteur forestier. La juge constate « le contexte local d’un risque avéré d’incendie qui s’est déjà réalisé en 2022 » et relève que les bâtiments pourraient être localisés hors des zones boisées. Elle juge que « le motif tiré d’une atteinte à la sécurité publique en application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme est de nature à fonder un refus et suffirait à lui seul à le justifier ». En qualifiant ce moyen de sérieux et de nature à justifier à lui seul le refus initial, l’ordonnance lui confère une force décisive. C’est donc principalement sur ce fondement, qui consacre la primauté de la sécurité publique, que la suspension de l’exécution du jugement est accordée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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