Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 13 mars 2025, n°23BX03070

Par un arrêt en date du 13 mars 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a eu à se prononcer sur la légalité d’un refus de permis de construire opposé par une commune à une société pour un projet d’immeuble collectif. La décision commentée illustre avec précision l’articulation entre les règles d’urbanisme protectrices de l’environnement et la densification urbaine.

Une société a déposé une demande de permis de construire pour un immeuble d’habitation de soixante-trois logements sur une parcelle fortement végétalisée. Le terrain d’assiette du projet abritait notamment deux espaces boisés classés ainsi que des arbres remarquables. Par un arrêté du 9 mars 2021, le maire de la commune a refusé l’autorisation d’urbanisme, décision confirmée sur recours gracieux le 15 juin 2021. La société pétitionnaire a alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui, par un jugement du 13 octobre 2023, a annulé ces décisions, estimant le refus de permis illégal. La commune a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le projet méconnaissait plusieurs dispositions du plan local d’urbanisme, notamment celles relatives à la protection des espaces boisés classés et des continuités écologiques.

Il revenait ainsi à la cour de déterminer si un projet immobilier, bien que respectant formellement le périmètre de protection d’espaces boisés classés, était néanmoins de nature à compromettre leur état sanitaire au sens du plan local d’urbanisme. Il s’agissait également de savoir dans quelle mesure l’aménagement d’un nouvel accès pouvait méconnaître l’obligation de conserver une lisière végétale et si, le cas échéant, de tels motifs pouvaient justifier légalement le refus de permis initialement fondé sur d’autres arguments.

La cour administrative d’appel censure le raisonnement des premiers juges et valide le refus de permis de construire. Elle retient que le projet compromet bien l’état sanitaire des arbres protégés en raison de l’ampleur des travaux de terrassement et de la proximité de la construction, en méconnaissance des règles du plan local d’urbanisme. Elle juge en outre que l’aménagement de l’accès au projet porte atteinte à la lisière végétale dont la conservation était prescrite. La cour procède enfin à une substitution de motifs, considérant que le maire aurait pris la même décision de refus en se fondant sur ces seuls arguments, qui sont légaux.

Cette décision offre l’occasion d’examiner l’interprétation extensive des normes de protection environnementale par le juge administratif (I), avant d’analyser la consolidation de la décision administrative par le mécanisme de la substitution de motifs (II).

I. L’appréciation extensive de la protection des espaces boisés classés

La cour administrative d’appel retient une interprétation exigeante des dispositions du plan local d’urbanisme, en ne se limitant pas à un contrôle de la simple absence d’empiètement sur les espaces protégés (A), mais en adoptant une approche pragmatique qui prend en compte les impacts indirects du projet sur leur pérennité (B).

A. Une protection dépassant la simple absence d’empiètement

Le règlement du plan local d’urbanisme métropolitain impose que « l’état sanitaire du ou des arbres ne doit pas être compromis de quelque façon que ce soit ». En première instance, les juges du fond avaient considéré que le projet respectait cette exigence dès lors qu’il n’empiétait pas sur la surface de protection minimale correspondant à la projection au sol du houppier des arbres. Le constructeur soutenait d’ailleurs avoir pris soin d’implanter l’édifice en dehors de ce périmètre sanctuarisé.

Or, la cour administrative d’appel ne se satisfait pas de cette analyse purement géométrique. Elle souligne que la surface de protection mentionnée par le règlement ne constitue qu’une « surface minimale ». Le juge se livre ainsi à une analyse plus globale des incidences du projet. Il prend en considération les travaux de terrassement importants nécessaires à la création d’un parking en sous-sol sur toute la superficie de l’édifice. Le juge relève que cette artificialisation massive à proximité immédiate des arbres protégés est de nature « à porter atteinte au système racinaire d’arbres sains ».

En retenant une telle approche, la cour donne sa pleine portée à l’interdiction de compromettre l’état sanitaire des arbres « de quelque façon que ce soit ». Le juge ne se contente pas de vérifier que la construction ne touche pas directement l’espace protégé, il évalue les conséquences fonctionnelles et biologiques du projet dans son ensemble sur l’écosystème à préserver.

B. La consécration d’une approche pragmatique de la préservation sanitaire des arbres

Pour fonder son analyse, la cour s’appuie sur des éléments factuels précis, notamment un « avis technique du service espaces verts de Bordeaux Métropole ». Bien que postérieur aux décisions attaquées, ce document est jugé recevable car il « révèle une situation existant antérieurement ». Cet avis met en lumière les risques que l’imperméabilisation des sols et les travaux de grande ampleur font peser sur le système racinaire, en particulier pour un marronnier adulte et un cèdre du Liban. Le juge en déduit que la zone de protection réelle de ces arbres s’étend, en l’espèce, « au-delà de la superficie de son houppier ».

Cette motivation témoigne de la volonté du juge administratif de ne pas se limiter à une application littérale et abstraite de la norme d’urbanisme. Il intègre des considérations techniques et écologiques pour apprécier concrètement si la finalité de la règle, à savoir la préservation effective de l’élément de paysage, est respectée. Le projet, par son ampleur et la nature des travaux qu’il induit, est considéré comme incompatible avec la survie à long terme des arbres protégés, quand bien même il respecterait les distances minimales d’implantation.

Ainsi, la cour confirme qu’un projet de construction peut être légalement refusé s’il crée un risque significatif pour un espace boisé classé, même sans empiètement direct. Cette interprétation renforce l’effectivité des outils de protection des continuités écologiques en milieu urbain.

II. La confirmation du refus par la mobilisation de motifs complémentaires et substitués

Au-delà de la violation des règles de protection des espaces boisés, le juge identifie une seconde illégalité tenant à l’atteinte portée à la lisière végétale (A). Ces deux motifs, jugés fondés, permettent à la cour de sécuriser juridiquement la décision de refus du maire par le biais de la substitution de motifs (B).

A. La violation caractérisée de la prescription de maintien de la lisière végétale

Le plan local d’urbanisme, par le biais d’une prescription spécifique, imposait de « conserver une lisière végétale sur la rue ». Cette disposition visait à préserver l’impact visuel et l’intérêt paysager du site. Le projet prévoyait un nouvel accès pour les véhicules, entraînant une ouverture dans cette lisière végétale.

La cour compare la situation existante, où l’accès se limitait à « un petit portail », avec l’aménagement projeté. Elle constate que le nouvel accès génère « une coupure beaucoup plus importante que celle existant avant le projet ». Le juge en conclut que cette modification substantielle méconnaît l’obligation de conservation imposée par le règlement d’urbanisme. L’appréciation se fonde ici sur une comparaison qualitative de l’atteinte portée au paysage, et non sur une simple mesure de la largeur de l’ouverture.

Ce faisant, la cour confirme que les prescriptions paysagères contenues dans un plan local d’urbanisme ne sont pas de simples vœux, mais des normes contraignantes dont la violation peut à elle seule justifier un refus de permis de construire. Le maintien d’un écran végétal sur la rue est considéré comme un élément essentiel du caractère des lieux, que le projet ne pouvait ignorer.

B. L’application de la substitution de motifs pour sécuriser la décision administrative

L’arrêté de refus initial du maire et la décision sur recours gracieux étaient fondés sur d’autres motifs, que le tribunal administratif avait écartés. Devant la cour d’appel, la commune a soulevé de nouveaux arguments, tirés de la méconnaissance des règles de protection des espaces boisés et de la lisière végétale. La cour, après avoir jugé ces deux motifs fondés, les substitue à ceux initialement invoqués par le maire.

Elle applique pour cela une jurisprudence constante, en vérifiant que le maire aurait pris la même décision s’il s’était fondé initialement sur ces motifs. La cour affirme explicitement qu’« il résulte de l’instruction que le maire aurait pris la même décision en se fondant sur ces seuls motifs ». Cette substitution permet de valider le refus de permis, même si sa motivation originelle était défaillante. L’administration a ainsi le droit à l’erreur dans le choix de ses justifications, à condition qu’il existe bien une raison légale à sa décision et que cette substitution ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale.

En procédant de la sorte, la cour fait prévaloir la légalité matérielle sur la légalité formelle de la décision. L’acte administratif est consolidé, et le juge évite d’annuler une décision qui, sur le fond, était justifiée au regard des règles d’urbanisme applicables. Le recours à ce mécanisme démontre la recherche d’un équilibre entre la protection des droits des administrés et la nécessité d’assurer le respect effectif du droit de l’urbanisme.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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