L’acte administratif unilatéral, et singulièrement le document d’urbanisme, constitue un instrument de la puissance publique dont l’élaboration est soumise à des règles de procédure strictes. Dans un arrêt en date du 1er juillet 2025, une cour administrative d’appel a eu à se prononcer sur la légalité d’une délibération approuvant un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, un propriétaire foncier s’est vu opposer le classement de sa parcelle en zone naturelle, faisant obstacle à tout projet de construction. Suite au rejet de son recours gracieux par l’autorité administrative, il a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de la délibération. Le tribunal ayant rejeté sa demande par un jugement du 30 décembre 2022, le requérant a interjeté appel. Il soutenait devant la cour que le jugement de première instance était irrégulier pour avoir omis de répondre à l’un de ses moyens. Il arguait également de l’illégalité externe de la délibération, en raison de vices affectant la procédure de concertation et d’une insuffisance de l’évaluation environnementale. Sur le fond, il invoquait l’incompatibilité du plan avec le schéma de cohérence territoriale ainsi qu’une erreur manifeste d’appréciation quant au classement de son terrain. La question se posait donc de savoir si des vices de procédure affectant l’élaboration d’un plan local d’urbanisme intercommunal étaient nécessairement de nature à en entraîner l’annulation, et si le choix de classer une parcelle en zone naturelle, en limite d’urbanisation, constituait une erreur manifeste d’appréciation. La cour administrative d’appel, après avoir annulé le jugement pour irrégularité et évoqué l’affaire, a rejeté l’ensemble des prétentions du requérant. Elle a certes constaté une irrégularité dans la procédure de concertation, mais a jugé qu’elle n’avait exercé aucune influence sur la décision finale ni privé le public d’une garantie. Pour le reste, elle a écarté tous les autres moyens.
La décision illustre ainsi une application rigoureuse mais pragmatique du contrôle des procédures d’urbanisme (I), avant de réaffirmer la portée limitée du contrôle du juge sur les choix d’aménagement retenus par l’administration (II).
I. Une neutralisation des vices de procédure par un contrôle pragmatique
La cour administrative d’appel examine avec attention la légalité externe de la délibération contestée. Si elle admet l’existence d’une irrégularité affectant la concertation, elle en écarte les conséquences (A), de la même manière qu’elle refuse de retenir une insuffisance substantielle de l’évaluation environnementale ayant pu vicier la procédure (B).
A. L’admission d’une irrégularité de la concertation jugée non substantielle
Le requérant soutenait que les modalités de la concertation préalable à l’adoption du plan local d’urbanisme intercommunal avaient été méconnues. La complexité procédurale naissait ici de la fusion de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale, dont l’un avait prévu des modalités de concertation spécifiques non intégralement reprises par la nouvelle structure. La cour relève effectivement que la nouvelle communauté d’agglomération, en décidant « de faire application des dispositions de l’article L. 153-9 du code de l’urbanisme, (…) devait reprendre les modalités de la concertation fixées par les anciens établissements ». En ne le faisant pas, la délibération prescrivant l’élaboration du plan « est irrégulière ».
Toutefois, le juge administratif applique une jurisprudence constante en matière de vices de procédure. Il vérifie si l’irrégularité a eu une influence sur le sens de la décision ou si elle a privé le public d’une garantie. En l’espèce, la cour estime que tel n’est pas le cas, « dès lors que les autres modalités de la concertation ont permis aux personnes intéressées d’être suffisamment informées sur l’évolution du projet de PLUi et d’émettre des observations ». Cette solution témoigne du souci du juge de ne pas sanctionner par une annulation des erreurs formelles qui n’ont pas eu de portée concrète, assurant ainsi une certaine sécurité juridique aux documents d’urbanisme dont l’élaboration est particulièrement complexe.
B. La validation de l’évaluation environnementale et de l’information du public
Le second volet de la légalité externe portait sur l’évaluation environnementale, dont le requérant pointait les insuffisances en s’appuyant sur un avis de l’autorité environnementale. La cour procède à une analyse détaillée pour réfuter ce moyen. Elle constate que l’avis en question a bien été joint au dossier d’enquête publique, et que l’évaluation a été « complétée après l’enquête publique pour tenir compte de l’avis de la MRAe ». Elle détaille ensuite les réponses apportées aux critiques sur plusieurs secteurs géographiques précis, montrant que les enjeux environnementaux ont fait l’objet d’une analyse spécifique et de mesures correctrices.
La cour conclut que les lacunes alléguées « n’ayant en tout état de cause pas nui à l’information du public ni été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la délibération », le moyen doit être écarté. L’arrêt confirme que l’évaluation environnementale est une procédure itérative et que sa complétude s’apprécie au regard de l’information globale fournie au public et de son impact effectif sur la décision. Le juge se refuse à censurer le plan pour des imperfections documentaires dès lors que l’esprit de la procédure, à savoir une information complète et une prise en compte des enjeux, a été respecté.
Une fois la régularité de la procédure confirmée dans ses aspects essentiels, la cour a pu se consacrer à l’examen de la légalité interne de la délibération.
II. Une confirmation des choix d’aménagement face à un contrôle restreint
Sur le fond, l’arrêt réaffirme le pouvoir d’appréciation des auteurs d’un plan local d’urbanisme. Le juge vérifie la compatibilité du document avec la norme supérieure sans exercer un contrôle de pure opportunité (A), et ne censure le classement d’une parcelle qu’en cas d’erreur manifeste (B).
A. L’appréciation globale de la compatibilité avec le schéma de cohérence territoriale
Le requérant invoquait l’incompatibilité du plan local d’urbanisme intercommunal avec le schéma de cohérence territoriale (SCOT), notamment sur la protection des cours d’eau. La cour rappelle la distinction fondamentale entre conformité et compatibilité. Un plan doit être compatible, ce qui signifie qu’il ne doit pas « contrarier les objectifs qu’impose le schéma », sans pour autant suivre à la lettre chaque prescription. L’appréciation de cette compatibilité se fait « dans le cadre d’une analyse globale » et « à l’échelle de l’ensemble du territoire ».
Appliquant cette méthode, la cour observe que si le SCOT préconise des zones tampons, le PLUi prévoit lui-même de nombreuses mesures de protection. Il instaure des « marges de recul », délimite des zones naturelles spécifiques (Ne) où la constructibilité est quasi nulle, et impose des bandes inconstructibles le long des cours d’eau. Au vu de « l’ensemble de ces éléments », le juge conclut que le plan ne contrarie pas les objectifs du SCOT. Cette approche globale laisse une marge de manœuvre considérable aux auteurs du PLUi pour traduire les grandes orientations du SCOT en règles précises adaptées au contexte local.
B. Le rejet de l’erreur manifeste d’appréciation concernant le zonage
Le moyen ultime du requérant, et sans doute le plus personnel, concernait le classement de sa propre parcelle en zone naturelle. Pour censurer un tel choix, le juge administratif exige la preuve d’une erreur « manifeste », c’est-à-dire une erreur grossière, évidente, que rien ne saurait justifier. La cour rappelle d’abord qu’il appartient aux auteurs du plan de « déterminer le parti d’aménagement à retenir », et que leur appréciation n’est que très subsidiairement contrôlée.
Analysant la situation de la parcelle, le juge constate qu’elle « se situe en dehors des tissus urbains constitués », qu’elle est « arborée et contigüe à des parcelles arborées ou en nature de prairie », et qu’elle « ne constitue pas une dent creuse ». Le classement en zone N apparaît donc cohérent avec les objectifs du plan, qui visent à « renforcer l’urbanisation dans les zones déjà urbanisées et à protéger les espaces agricoles et naturels de l’extension de l’urbanisation ». Dès lors, même si la parcelle est proche d’une zone urbanisée, son classement protecteur n’a rien d’aberrant et ne peut être qualifié d’erreur manifeste. L’arrêt illustre parfaitement le caractère limité du contrôle du juge, qui ne se substitue pas à l’administration pour décider de l’opportunité d’un zonage.