Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 1 juillet 2025, n°23BX00624

Par un arrêt en date du 1er juillet 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a été amenée à se prononcer sur la légalité du classement d’une parcelle dans un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, des administrés étaient propriétaires d’une parcelle située sur le territoire d’une commune membre d’un établissement public de coopération intercommunale. Par une délibération du 19 décembre 2019, cet établissement public a adopté un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), classant ladite parcelle en zone agricole. Les propriétaires ont alors saisi le tribunal administratif de Pau d’une demande tendant à l’annulation de cette délibération. Par un jugement du 30 décembre 2022, la juridiction de première instance a fait partiellement droit à leur demande, annulant la délibération uniquement en tant qu’elle classait leur parcelle en zone agricole, mais rejetant leurs autres conclusions qui visaient une annulation totale du document d’urbanisme. L’établissement public a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le classement contesté n’était pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Par la voie de l’appel incident, les propriétaires ont demandé l’annulation du jugement en ce qu’il n’avait pas annulé l’intégralité de la délibération, soulevant à cette fin plusieurs moyens de légalité externe et interne. La question de droit qui se posait à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si le classement en zone agricole d’une parcelle enclavée dans un tissu urbain dense, bien qu’utilisée à des fins agricoles, caractérisait une erreur manifeste d’appréciation de la part des auteurs du plan. D’autre part, il convenait de statuer sur la recevabilité d’un appel incident soulevant un litige distinct de celui qui faisait l’objet de l’appel principal. La cour administrative d’appel rejette l’appel principal de l’établissement public, confirmant l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation. En revanche, elle déclare l’appel incident des propriétaires irrecevable. La décision apporte ainsi une illustration du contrôle juridictionnel sur les choix d’urbanisme (I), tout en rappelant les règles procédurales strictes encadrant l’office du juge d’appel (II).

I. La confirmation du contrôle de l’erreur manifeste dans la délimitation des zones

La cour administrative d’appel confirme l’annulation du classement litigieux en s’appuyant sur une appréciation concrète de la situation de la parcelle, réaffirmant ainsi la portée de son contrôle sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration (A). Cette solution consacre la primauté de la cohérence urbanistique sur l’utilisation effective du sol (B).

A. L’exercice d’un contrôle restreint sur le parti d’aménagement

Les auteurs d’un document d’urbanisme disposent d’une large marge d’appréciation pour définir le parti d’aménagement et fixer en conséquence le zonage des terrains. Le juge administratif, respectueux de ce pouvoir discrétionnaire, ne censure les choix opérés qu’en cas d’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, la cour rappelle ce principe et l’applique avec rigueur. Elle relève que la parcelle litigieuse, bien que formellement destinée à une activité agricole, se trouve dans une situation factuelle particulière. La juridiction souligne en effet qu’elle « est enclavée au sein d’un secteur urbanisé, dépourvu de tout caractère rural et agricole. Elle est entourée de parcelles construites et classées en zone UBr ». C’est cet enclavement au sein d’un tissu urbain déjà constitué et densifié qui conduit la cour à considérer le classement en zone agricole comme manifestement erroné. La décision des juges du fond ne se fonde pas sur une remise en cause de l’objectif de préservation des espaces agricoles poursuivi par le PLUi, mais sur l’incohérence évidente de l’application de cet objectif à une parcelle isolée et entièrement cernée par l’urbanisation.

B. La prévalence de la situation géographique sur l’usage agricole effectif

L’argumentation de l’établissement public reposait sur le fait que la parcelle supportait des serres agricoles, justifiant ainsi son classement en zone A au regard de l’article R. 151-22 du code de l’urbanisme, lequel vise à protéger le potentiel agronomique, biologique ou économique des terres. Toutefois, la cour écarte cet argument en privilégiant une analyse in concreto de la situation de la parcelle. Le fait qu’elle soit exploitée pour une activité agricole ne suffit pas à justifier son classement dans une zone dont la vocation est de protéger des ensembles cohérents de terres agricoles. La décision met en lumière que la qualification d’une zone ne saurait dépendre uniquement de l’usage présent du sol, mais doit s’inscrire dans une logique d’aménagement globale du territoire. En jugeant que « le classement de la parcelle AB n°546 en zone agricole, eu égard à son caractère enclavé, est entaché d’erreur manifeste d’appréciation », la cour fait prévaloir la réalité urbanistique et la cohérence du zonage sur l’activité économique effectivement exercée. Cette approche pragmatique empêche la création d’enclaves agricoles non pertinentes au milieu de zones urbaines, qui seraient contraires à un développement harmonieux de la commune.

II. L’irrecevabilité de l’appel incident portant sur un litige distinct

Au-delà de la question de fond relative au classement de la parcelle, l’arrêt se prononce sur un point de procédure essentiel en déclarant irrecevable l’appel incident des administrés. Cette solution repose sur une interprétation stricte de la notion de litige en appel (A), laquelle garantit une saine administration de la justice (B).

A. L’application rigoureuse de la condition d’indivisibilité du litige

Par leur appel incident, les requérants ne se contentaient pas de défendre le jugement de première instance en ce qu’il leur donnait raison ; ils cherchaient à obtenir davantage, à savoir l’annulation totale de la délibération approuvant le PLUi pour divers motifs de légalité. La cour relève que l’appel principal de l’établissement public portait « exclusivement sur le classement de la parcelle section AB n° 546 ». Or, les conclusions de l’appel incident, visant l’ensemble du PLUi, soulevaient des questions entièrement nouvelles et distinctes de ce périmètre restreint. La cour en déduit que ces conclusions « soulèvent ainsi un litige distinct et ne sont, dès lors, pas recevables ». Cette décision est une application orthodoxe de la jurisprudence administrative, qui subordonne la recevabilité de l’appel incident à l’existence d’un lien suffisant avec l’appel principal. Le litige doit être indivisible ; l’appel incident ne peut servir à ouvrir un front contentieux entièrement nouveau, indépendant de celui initié par l’appelant principal.

B. La finalité de la règle procédurale au service de la sécurité juridique

Cette rigueur procédurale n’est pas un pur formalisme. Elle répond à un impératif de bonne administration de la justice et de sécurité juridique. Permettre à une partie d’utiliser l’appel incident pour contester des pans entiers d’un jugement qui ne sont pas remis en cause par l’appel principal reviendrait à lui offrir une nouvelle voie de recours en dehors des délais légaux. En l’espèce, les propriétaires avaient laissé passer le délai d’appel pour contester le rejet de leurs conclusions en annulation totale. L’irrecevabilité de leur appel incident les empêche de contourner les règles relatives aux délais de recours, qui sont d’ordre public. Cette solution garantit également que le débat en appel reste centré sur l’objet du litige tel que défini par la requête principale. Elle assure ainsi la prévisibilité et la stabilité des situations juridiques, en empêchant que le champ du contentieux ne soit élargi de manière imprévisible au gré des écritures des parties. La décision rappelle ainsi que si le droit au recours est fondamental, son exercice demeure encadré par des règles de procédure destinées à assurer l’équilibre des droits des parties et l’efficacité de l’office du juge.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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