Un litige opposant des créanciers domiciliés en Belgique à des débiteurs domiciliés aux Pays-Bas a donné lieu à une décision préjudicielle de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 4 juillet 1991. En l’espèce, une juridiction belge avait condamné les débiteurs au paiement d’arriérés de loyers par un jugement déclaré exécutoire par provision. Les débiteurs avaient interjeté appel de cette condamnation en Belgique. Parallèlement, les créanciers avaient obtenu l’autorisation d’exécuter le jugement aux Pays-Bas auprès du président de l’arrondissementsrechtbank te Zwolle. Les débiteurs ont formé un recours contre cette autorisation d’exécution, demandant uniquement à la juridiction néerlandaise de surseoir à statuer, conformément à l’article 38 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, au motif qu’un appel était pendant en Belgique. L’arrondissementsrechtbank te Zwolle a rejeté la demande de sursis, estimant que les moyens invoqués avaient déjà pu être examinés par le juge belge, mais a subordonné l’exécution à la constitution d’une garantie par les créanciers. Les débiteurs se sont alors pourvus en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden contre le refus de surseoir à statuer. Saisi de cette question, le Hoge Raad a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si une décision relative à un sursis à statuer, prise en application de l’article 38 de la convention, constituait une « décision rendue sur le recours » susceptible d’un pourvoi en cassation au sens de l’article 37, deuxième alinéa, de cette même convention. Il lui a également été demandé de préciser l’étendue des pouvoirs du juge saisi d’une demande de sursis, notamment les moyens qu’il peut prendre en considération pour fonder sa décision. La Cour de justice a jugé qu’une décision prise sur le fondement de l’article 38 ne constitue pas une « décision rendue sur le recours » au sens de l’article 37, deuxième alinéa, et ne peut donc faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Elle a en outre précisé que la juridiction statuant sur le sursis ne peut prendre en considération que les moyens que la partie n’était pas en mesure de faire valoir devant le juge de l’État d’origine. L’arrêt clarifie ainsi de manière restrictive la procédure d’exécution des décisions au sein de l’espace judiciaire européen, d’une part en délimitant fermement les voies de recours (I) et d’autre part en encadrant strictement les motifs justifiant une suspension de l’exécution (II).
I. L’immunité de la décision de sursis à statuer face au pourvoi en cassation
La Cour de justice établit une distinction nette entre la décision statuant sur l’exequatur et celle, accessoire, concernant le sursis à statuer. Cette distinction conduit à une interprétation stricte de la notion de « décision rendue sur le recours » (A), consacrant l’autonomie fonctionnelle des deux procédures, même lorsqu’elles sont jointes dans un même jugement (B).
A. L’interprétation restrictive de la notion de « décision rendue sur le recours »
La Cour rappelle que l’un des objectifs fondamentaux de la convention de Bruxelles est de « simplifier les procédures dans l’État où l’exécution est demandée ». Dans cette optique, l’ouverture large des voies de recours contre des décisions qui ne tranchent pas le fond du litige principal relatif à l’exécution serait contre-productive. Elle risquerait de multiplier les incidents dilatoires et de paralyser l’efficacité du système d’exequatur. En jugeant que l’article 37, deuxième alinéa, ne vise que les décisions qui statuent sur le bien-fondé du recours contre l’autorisation d’exécution, la Cour opte pour une lecture finaliste du texte. Elle exclut ainsi du champ du pourvoi en cassation les décisions préparatoires ou interlocutoires, parmi lesquelles figurent les mesures ordonnées en application de l’article 38. Cette solution, déjà esquissée dans une jurisprudence antérieure, trouve ici une application claire et préserve l’effet utile du mécanisme d’exécution rapide voulu par les États contractants. Permettre un pourvoi contre le refus de surseoir à statuer reviendrait en effet à créer une « entrave à la libre circulation des jugements », ce que la convention vise précisément à éviter.
B. L’autonomie fonctionnelle de la procédure de sursis à statuer
La Cour prend soin de préciser que sa solution demeure identique y compris lorsque « la décision prise au titre de l’article 38 de la convention et la ‘décision rendue sur le recours’ au sens de l’article 37, deuxième alinéa, de la convention, figurent dans un même jugement ». Cette précision est essentielle car elle ancre la distinction non pas sur un critère formel, tenant à l’instrumentum, mais sur un critère fonctionnel, tenant à l’objet de chaque décision. Le recours prévu par l’article 36 porte sur une question de droit : l’autorisation d’exécution a-t-elle été accordée à juste titre au regard des motifs de refus limitativement énumérés par la convention ? En revanche, la décision sur le sursis à statuer ou sur la constitution d’une garantie est une mesure d’administration judiciaire qui relève de l’appréciation du juge. Elle implique une « mise en balance des intérêts respectifs du créancier et du débiteur » afin de prévenir le préjudice qui pourrait résulter de l’exécution d’une décision encore susceptible d’être réformée. En dépit de leur concomitance procédurale, les deux décisions n’ont donc ni le même objet ni la même nature, ce qui justifie un traitement différencié quant aux voies de recours. Cette rigueur procédurale se double d’une approche tout aussi restrictive quant aux conditions de fond du sursis à statuer.
II. L’encadrement strict des motifs de sursis à statuer
La Cour de justice, en interprétant l’article 38, premier alinéa, de la convention, limite considérablement les moyens que le juge de l’État requis peut examiner. Elle le fait d’abord en réaffirmant l’interdiction de toute révision au fond, même déguisée (A), pour ensuite consacrer une forme de sanction de la négligence procédurale de la partie débitrice (B).
A. La prohibition d’une révision déguisée de la décision d’origine
Le raisonnement de la Cour repose sur un principe cardinal de la convention, énoncé à son article 34, troisième alinéa : « en aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond ». Or, autoriser le juge saisi d’une demande de sursis à statuer à prendre en considération des moyens déjà soumis au juge de l’État d’origine, ou à évaluer les chances de succès du recours ordinaire formé dans cet État, reviendrait à contourner cette interdiction. Une telle démarche impliquerait nécessairement que le juge de l’exequatur porte une appréciation sur le bien-fondé de la décision étrangère, ce qui est formellement prohibé. En limitant le pouvoir du juge du sursis, la Cour assure la cohérence du système et prévient le risque que la procédure d’exequatur ne se transforme en un second procès. La confiance mutuelle entre les systèmes judiciaires des États contractants, qui sous-tend l’ensemble de la convention, impose que l’appréciation des faits et du droit opérée par le premier juge ne soit pas remise en cause, même indirectement, au stade de l’exécution.
B. La sanction de la négligence procédurale du débiteur
L’apport le plus significatif de l’arrêt sur ce point réside dans sa conclusion finale : le sursis à statuer ne peut être justifié que par des « moyens que la partie qui a introduit le recours n’était pas en mesure de faire valoir devant le juge de l’État d’origine ». Cette formule exclut non seulement les arguments déjà débattus, mais aussi ceux que la partie aurait pu invoquer mais a omis de le faire. La Cour applique ici, par analogie, une solution déjà retenue pour le recours de l’article 36, instaurant une forme de forclusion. Une partie qui s’est abstenue de présenter un moyen de défense devant le juge du fond ne peut se prévaloir de sa propre inaction pour paralyser l’exécution de la décision à l’étranger. Cette solution responsabilise les plaideurs et renforce la primauté des procédures menées dans l’État d’origine. La phase d’exequatur n’est pas une session de rattrapage. En interprétant strictement le caractère dérogatoire de l’article 38, la Cour garantit l’effet utile de l’article 31, qui pose le principe de la mise à exécution des décisions exécutoires même si elles n’ont pas encore acquis force de chose jugée.